La cigarette électronique en Australie

L’Australie : quand une politique restrictive sur le vapotage produit l’effet inverse

L’Australie s’est longtemps présentée comme un modèle mondial en matière de lutte antitabac. Pays pionnier de l’emballage neutre en 2012 et appliquant les taxes sur le tabac les plus élevées au monde avec un paquet à 29 euros, le pays-continent affichait une trajectoire impressionnante : le tabagisme avait diminué de 24 % en 1991 à 8,3 % en 2023 chez les plus de 14 ans. Pourtant, cette réussite historique connaît aujourd’hui de sérieux revers, en grande partie dus à une politique extrêmement restrictive sur le vapotage.

Une hausse alarmante du tabagisme chez les jeunes

Les dernières données officielles révèlent une tendance inquiétante : le tabagisme chez les 14-17 ans a presque triplé en trois ans. Le pays compte désormais 12,8 % de fumeurs dans cette tranche d’âge en 2023, contre 6,7 % en 2022, 6,2 % en 2021 et seulement 4,8 % en 2020. Cette augmentation spectaculaire intervient précisément après les premières mesures de restriction du vapotage.

Parallèlement, le nombre de vapoteurs exclusifs a considérablement diminué, passant de 6,9 % en 2021 à 3,8 % en 2023. Les statistiques gouvernementales démontrent d’ailleurs une corrélation claire : plus le pourcentage d’utilisateurs de vape est élevé (chez les 18-44 ans), plus le tabagisme décroît rapidement. À l’inverse, moins la vape est utilisée (chez les 45 ans et plus), plus le tabagisme stagne.

Le modèle pharmaceutique : une approche unique et contestée

Depuis octobre 2021, l’Australie a interdit à ses citoyens de se procurer des produits nicotinés sans ordonnance médicale. En juillet 2024, le pays est allé encore plus loin en imposant un modèle pharmaceutique unique au monde : toutes les cigarettes électroniques, qu’elles contiennent ou non de la nicotine, ne peuvent être vendues qu’en pharmacie pour aider à arrêter de fumer ou gérer la dépendance à la nicotine.

Depuis octobre 2024, les adultes de 18 ans et plus peuvent acheter des cigarettes électroniques avec une concentration en nicotine de 20 mg/mL maximum dans les pharmacies participantes sans ordonnance, mais uniquement après une consultation obligatoire avec le pharmaciste. Les achats sont limités à un mois d’approvisionnement. Les cigarettes électroniques jetables sont totalement interdites.

Les arômes sont strictement limités au tabac, menthe et menthol. Les emballages doivent respecter des normes pharmaceutiques neutres. Ces restrictions drastiques s’accompagnent d’une interdiction totale de la publicité sur tous les supports, y compris les réseaux sociaux.

Des conséquences contre-productives multiples

Cette politique restrictive génère plusieurs effets pervers. Premièrement, la Nouvelle-Zélande voisine, qui avait un taux de tabagisme supérieur à celui de l’Australie il y a quatre ans mais a légalisé les cigarettes électroniques en 2020, affiche aujourd’hui un taux de tabagisme considérablement plus bas que l’Australie.

Deuxièmement, la taxation extrême du tabac (paquet à 29 euros) combinée à l’inaccessibilité du vapotage a provoqué une explosion du marché noir. Entre juillet 2023 et juin 2024, la police aux frontières a saisi 1,8 milliard de cigarettes et plus de 436 tonnes de tabac illicites. En mars 2025, le gouvernement a dû réviser à la baisse de 4 milliards d’euros ses prévisions de recettes fiscales sur le tabac d’ici 2029, créant ce que le ministre des Finances qualifie de “crise fiscale”.

La consommation de nicotine par personne est restée “relativement stable” depuis 2016 selon les analyses des eaux usées, suggérant que les fumeurs se tournent vers le marché noir plutôt que d’arrêter réellement.

Un fardeau sanitaire persistant

Le tabagisme devrait tuer plus de 24 000 Australiens chaque année, soit plus de 66 personnes par jour. Les fumeurs actuels ont 36 fois plus de risques de mourir d’une maladie pulmonaire chronique, 18 fois plus de risques de cancer du poumon et 60 % plus de risques de démence par rapport aux non-fumeurs. Le tabagisme provoque environ un quart des décès chez les 45-74 ans.

Les populations aborigènes et insulaires du détroit de Torres sont particulièrement touchées, avec un taux de tabagisme de 40 % en 2019, près de trois fois supérieur aux Australiens non-autochtones. Le tabagisme est responsable de 50 % des décès prématurés chez ces populations âgées de 45 ans et plus.

Les pharmaciens pris au piège

La Guilde des pharmacies d’Australie, qui représente les propriétaires de pharmacies du pays, s’est opposée à ce système, arguant qu’elle ne souhaitait pas vendre des cigarettes électroniques “hautement addictives”. La guilde a qualifié d'”insultante” l’attente du gouvernement que les pharmacies deviennent des “détaillants et collecteurs de déchets de cigarettes électroniques”. Chaque pharmacie est désormais libre de décider si elle vend ou non ces produits.

Une politique à contre-courant des données scientifiques

L’approche australienne ignore largement les données scientifiques internationales démontrant que le vapotage est significativement moins nocif que la combustion du tabac. Alors que le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, la France et le Canada ont intégré le vapotage dans leurs stratégies de santé publique avec des résultats probants, l’Australie fait le choix d’une restriction maximale.

Les premières évaluations du modèle pharmaceutique montrent une diminution de l’intérêt pour le vapotage chez les jeunes, mais cette baisse s’accompagne malheureusement d’une augmentation spectaculaire du tabagisme dans la même population, suggérant que sans alternative de réduction des risques accessible, les jeunes se tournent vers la cigarette traditionnelle.

Perspectives

L’Australie représente un cas d’école de ce qui peut se produire lorsqu’une politique de santé publique traite le vapotage au même titre que le tabac combustible, voire de manière plus restrictive. Avec près de 24 000 décès annuels liés au tabagisme et une augmentation inquiétante du tabagisme chez les jeunes depuis les restrictions sur le vapotage, le pays se trouve face à un paradoxe : en voulant protéger sa population des risques potentiels du vapotage, il a créé les conditions d’un retour en force du tabagisme, particulièrement chez les jeunes générations.

L’exemple néo-zélandais, avec des taux de tabagisme désormais inférieurs à ceux de l’Australie grâce à une approche pragmatique du vapotage, suggère qu’une réévaluation de la politique australienne pourrait sauver des milliers de vies.

Sources