Une nouvelle méta-analyse américaine cumule les inepties et se targue de vouloir communiquer des données probantes sur la cigarette électronique.
La qualité au rabais
Nouvelle entrée dans notre florilège des pires études sur la cigarette électronique. Baptisée Risk and safety profile of electronic nicotine delivery systems (ENDS): an umbrella review to inform ENDS health communication strategies, cette méta-analyse1 conduite par des chercheurs américains cumule les biais jusqu’à arriver à des conclusions hors-sol. Son objectif, qui était de « résumer les données probantes sur le profil de risque et de sécurité des systèmes électroniques d’administration de nicotine (ENDS) afin d’éclairer les stratégies de communication sur la santé », semble loin d’être atteint.
Résumer des résumés
Comme il est de rigueur lors de la préparation d’une méta-analyse, celle-ci a démarré par la sélection des études à inclure ou exclure. Premier élément à noter, les auteurs ont uniquement souhaité se concentrer sur d’autres méta-analyses. Le principe de ce type d’étude étant de résumer les résultats de plusieurs analyses en une seul, les chercheurs ont donc souhaité résumer des résumés. À force de résumer, difficile d’imaginer que les résultats de chaque étude n’ont pas été très largement dilués, perdant de fait en précision.
Les auteurs indiquent ainsi avoir réalisé une recherche exhaustive parmi six bases de données médicales (PubMed, MEDLINE, EMBASE, PsycINFO, CINAHL) puis listé tous les résultats contenant un ou plusieurs mots-clés. Six chercheurs ont ensuite tenu le rôle d’examinateurs pour trier les méta-analyses retenues et choisir de les inclure, ou exclure, de la méta-analyse qu’ils souhaitaient eux-mêmes réaliser.
Quelques lignes suffisent
Lorsqu’on se penche en détail sur les procédés d’inclusion et d’exclusion utilisés, première surprise : il semble que ces derniers soient pour le moins légers. D’abord, parce que les auteurs indiquent que pour trier les nombreuses études, ils se sont uniquement appuyés sur les titres et les résumés. Autrement dit, quelques lignes seulement qui, bien souvent, ne résument pas, ou très mal, l’ensemble du travail réalisé par les auteurs.
Une fois cette première sélection achevée, les études retenues ont quant à elles été analysées à l’aide de leur titre, du premier auteur, du pays et de l’année de publication, du nombre et de la conception des études incluses, des résultats, des conflits d’intérêts et de la source de financement.
Ni les parties « discussion » et « méthodologies » n’ont été prises en compte. Sachant que la première sert à relier les résultats à l’hypothèse de l’étude, et que c’est en son sein que les chercheurs font part de leurs réflexions, il paraît inconcevable de ne pas en tenir compte. Quant à la partie méthodologie, il s’agit tout simplement de l’explication de la manière dont l’étude a été conduite, autrement dit le point principal de tout travail scientifique. Deux sections particulièrement importantes qui ont tout simplement été ignorées par les examinateurs.
Partant du fait que les auteurs de cette méta-analyse ont résumé des résumés tout en ignorant des sections vitales inhérentes à la compréhension d’une étude, il semble déjà clair que leurs résultats pourront très simplement être remis en question. Et pourtant, les surprises ne s’arrêtent pas là.
Une analyse erronée d’études considérées comme erronées
Pour continuer le processus de tri, les examinateurs ont ensuite « analysé » chaque étude. Nouvelle surprise, sur le tableau résumant les études qui ont été incluses et exclues de l’analyse, la grande majorité des exclusions l’a été pour cause de « mauvaise conception de l’étude ». Autrement dit, sans consulter la méthodologie des études, les examinateurs ont quand même réussi à juger celle-ci. Plus étonnant encore, de nombreuses études ont été exclues pour cause de « résultats de l’étude erronés ». Là encore, sans même consulter les méthodes de recherche, les chercheurs ont visiblement réussi à reproduire les études et en déduire que leurs résultats étaient faux. Notons, au passage, qu’une des nombreuses recherches effectuées par le professeur Farsalinos, reconnu pour le sérieux de son travail, a vu ses résultats être qualifiés de faux par les examinateurs.
Se baser sur des résultats de faible qualité pour en tirer des conclusions de haute qualité
Une fois le sérieux de ce travail d’inclusion et d’exclusion réalisé, les examinateurs ont évalué la qualité des 90 études retenues. 20 concernaient la toxicité du vapotage, 40 ses effets sur la santé, 24 sa capacité à aider à arrêter de fumer, 9 la transition vers le tabagisme (effet passerelle), et 4 concernaient le marketing des produits de la vape. Certaines des études retenues étaient présentes dans plusieurs catégories.
Suite à l’évaluation de la qualité de toutes ces études, 100 en comptant celles présentes dans plusieurs catégories, 45 ont été qualifiées de qualité « faible », 39 de qualité « moyenne », et 16 de qualité « haute ». Les auteurs ont donc tiré des conclusions en se basant sur un groupe d’études dont près de la moitié est qualifiée de mauvaise qualité. Plus surprenant encore, parmi les rares études de haute qualité, se trouvaient une méta-analyse sur l’effet passerelle entre vapotage et consommation de cannabis, ou encore sur les effets pulmonaires de la consommation d’e-liquide contenant de l’acétate de vitamine E, ingrédient totalement absent des e-liquides traditionnels. Pour rappel, l’acétate de vitamine E est le composé ayant conduit au décès de plusieurs vapoteurs aux États-Unis durant l’été 2019. Tous avaient consommé des e-liquides au THC dans lesquels l’acétate de vitamine E jouait le rôle d’additif.
Pour résumer, les auteurs de cette méta-analyse se sont appuyés sur un mix entre études de mauvaise qualité et recherches n’ayant rien à avoir avec le vapotage traditionnel.
Des résultats ubuesques
Après un travail d’analyse d’une telle qualité, il fallait bien des conclusions du même acabit. Les auteurs indiquent donc qu’après avoir étudié les 90 études retenues, ils possèdent des preuves de « haut niveau » concernant les points suivants, cités telles qu’ils apparaissent dans la méta-analyse :
- La plupart des cigarettes électroniques contiennent des substances toxiques (p. ex., métaux, cancérigènes) capables de causer des dommages à l’ADN et de la mutagenèse.
- Les émissions du vapotage augmentent les substances toxiques en suspension dans l’air.
- Les cigarettes électroniques peuvent exploser et causer des brûlures.
- Un empoisonnement liquide intentionnel ou accidentel peut provoquer des convulsions, des lésions cérébrales anoxiques ou la mort.
- Le vapotage exacerbe l’asthme.
- La nicotine contenue dans les e-liquides peut provoquer une dépendance.
- Le vapotage aide à arrêter de fumer dans un cadre clinique étroitement contrôlé.
- Les cigarettes électroniques en tant que produits de consommation dans les études observationnelles du monde réel n’étaient pas significativement associées à l’abandon du tabac.
- Plusieurs études montrent que le vapotage empêche le sevrage tabagique.
- La cigarette électronique augmente le risque d’initiation du tabagisme chez les jeunes et les jeunes adultes.
Ils notent également avoir trouvé des « preuves limitées » concernant le vapotage et le risque de cancers, mais que « des études de génomique humaine et d’études animales ont constamment montrées que l’utilisation d’une cigarette électronique peut être cancérigène ».
Et comme si ce n’était pas suffisant, la dernière phrase de la conclusion de cette méta-analyse est la suivante :
« La communication au sujet des cigarettes électroniques doit transmettre des messages transparents sur des données probantes et éviter les comparaisons directes entre les méfaits du tabagisme et ceux du vapotage ».
Dommage pour un produit dont la seule raison d’exister est justement de remplacer le tabagisme.
1 Asfar T, Jebai R, Li W, et alRisk and safety profile of electronic nicotine delivery systems (ENDS): an umbrella review to inform ENDS health communication strategies. Tobacco Control 2024;33:373-382. https://doi.org/10.1136/tc-2022-057495.