La cigarette électronique en Espagne

Vape et cigarettes, la même chose ?

La situation de la cigarette électronique en Espagne est compliquée. Celle-ci n’est que très peu différenciée du tabac, malgré la réduction des risques qu’elle propose.

Un pays qui ne sait pas sur quel pied danser

Très dépendante de l’économie du tabac, l’Espagne continue de se chercher concernant la cigarette électronique.

En 2022, le gouvernement a annoncé être en train de réfléchir à confier le monopole de la vape aux buralistes.

Les communications officielles sur l’e-cigarette ne différencient que très peu de celles sur le tabagisme.

Les dernières nouvelles de la cigarette électronique en Espagne

Consultez ci-dessous l’ensemble de nos articles qui parlent de la vape en Espagne.

Le Tabagisme en Espagne : Un Fléau en Régression

L’Espagne, pays de près de 47 millions d’habitants, a longtemps été confrontée à l’un des taux de tabagisme les plus élevés d’Europe. Pendant des décennies, les mesures traditionnelles de lutte antitabac n’ont produit que des résultats modestes, laissant plus d’un adulte espagnol sur quatre prisonnier du tabagisme. Cependant, les statistiques récentes révèlent un tournant historique qui pourrait redéfinir l’avenir sanitaire du pays.

Une Baisse Spectaculaire et Inattendue

Les dernières données du ministère de la Santé espagnol ont créé la surprise en révélant une diminution impressionnante de 22% du taux de tabagisme quotidien entre 2022 et 2024. La prévalence est ainsi passée de 33,1% de la population adulte à 25,8% en seulement deux années. Cette évolution marque une rupture significative avec la stagnation observée durant les décennies précédentes, où le pays peinait à faire reculer le fléau du tabac malgré de multiples initiatives.

En 2022, environ 10,3 millions d’Espagnols de 15 ans et plus consommaient des produits du tabac, soit 24,9% de la population adulte. Les disparités de genre restent marquées, avec 27,5% des hommes fumeurs contre 22,5% des femmes. Contrairement à d’autres pays européens où l’écart entre hommes et femmes est considérable, l’Espagne se distingue par un taux de tabagisme féminin relativement élevé, conséquence d’une adoption plus récente et massive du tabagisme par les femmes espagnoles à partir des années 1970-1980.

Un Lourd Bilan Sanitaire

Les conséquences du tabagisme sur la santé publique espagnole demeurent considérables. En 2021, le tabac a été responsable d’environ 45 137 décès, représentant 23,2% de l’ensemble des décès dans le pays. Le tabagisme constitue le premier facteur de risque évitable de mortalité en Espagne, devant l’alcool et l’obésité.

La répartition de ces décès souligne la dimension dramatique du phénomène : 84% surviennent chez les hommes, reflet d’un tabagisme historiquement plus marqué dans cette population. La moitié des décès attribuables au tabac concerne des cancers, dont 65% sont des cancers du poumon. Un décès attribuable au tabac sur quatre survient avant l’âge de 65 ans, illustrant l’impact du tabagisme sur la mortalité prématurée.

Le coût économique du tabagisme pour l’Espagne s’élève à plus de 17 milliards d’euros annuellement, incluant les dépenses de santé directes et les coûts indirects liés aux pertes de productivité. Ces chiffres placent le tabagisme parmi les principaux défis de santé publique auxquels le système sanitaire espagnol doit faire face.

Des Prix Parmi les Plus Bas d’Europe

L’Espagne a longtemps maintenu des prix du tabac significativement inférieurs à ceux de ses voisins européens, ce qui a contribué à entretenir des taux de tabagisme élevés. En 2025, un paquet de cigarettes coûte entre 5,50€ et 6,40€, contre environ 12€ en France. Cette différence de prix a fait de l’Espagne une destination privilégiée pour les achats transfrontaliers de tabac, notamment par les fumeurs français.

Cette situation s’explique par une fiscalité relativement clémente. Les taxes sur le tabac représentent environ 51% du prix final en Espagne, un taux nettement inférieur à la moyenne européenne située entre 80% et 90%. Cependant, depuis janvier 2025, le gouvernement espagnol a engagé une politique de hausse progressive des prix, augmentant les accises de 12% et alignant progressivement la fiscalité sur les standards européens.

Le Plan Antitabac 2024-2027

En avril 2024, le ministère de la Santé espagnol a adopté un nouveau plan global de prévention et de lutte antitabac pour la période 2024-2027, succédant à un plan précédent resté inachevé. Ce programme ambitieux s’inscrit dans l’engagement européen d’atteindre une génération sans tabac d’ici 2040.

Parmi les mesures phares figurent l’extension massive des espaces sans tabac, incluant les terrasses des bars et restaurants, les arrêts de transports publics, les plages et les aires de jeux pour enfants. Sept communautés autonomes espagnoles avaient déjà anticipé cette mesure en interdisant de fumer sur les terrasses dès 2020. Le gouvernement envisageait également d’interdire de fumer dans les véhicules et au domicile en présence de mineurs, bien que cette mesure ait été temporairement suspendue face aux controverses qu’elle a suscitées.

La Cigarette Électronique en Espagne : Entre Espoir et Restrictions

Une Progression Remarquable

Parallèlement à la baisse du tabagisme, l’Espagne a connu une augmentation significative du vapotage. Entre 2022 et 2024, le taux de vapotage quotidien a progressé de 30%, passant de 1% à 1,3% de la population adulte. Plus impressionnant encore, le nombre d’Espagnols ayant vapoté au cours des douze derniers mois a presque doublé, passant de 4,1% à 7,1%.

Cette croissance du vapotage coïncide temporellement avec la baisse spectaculaire du tabagisme, suggérant que la cigarette électronique pourrait avoir joué un rôle dans la transition de nombreux fumeurs vers une alternative moins nocive. Selon l’Eurobaromètre 2024, la cigarette électronique est l’outil le plus utilisé par les fumeurs espagnols tentant d’arrêter, après le sevrage sans aide. Les vapoteurs espagnols privilégient les dispositifs rechargeables et les arômes fruités, la principale motivation invoquée étant l’arrêt ou la réduction du tabagisme.

Le Cadre Réglementaire : La TPD et Au-Delà

Comme tous les États membres de l’Union européenne, l’Espagne applique la Directive sur les produits du tabac (TPD) qui réglemente la cigarette électronique depuis 2016. Cette directive impose plusieurs contraintes : limitation des flacons de e-liquide nicotiné à 10ml maximum, concentration en nicotine plafonnée à 20mg/ml, avertissements sanitaires obligatoires sur les emballages, et notification préalable des produits auprès des autorités.

L’Espagne a rapidement transposé ces dispositions dans sa législation nationale, intégrant les produits de vapotage dans un cadre réglementaire similaire à celui du tabac traditionnel. Le vapotage est interdit dans les mêmes espaces que le tabagisme, et la vente est interdite aux mineurs de moins de 18 ans.

La Taxe sur les E-Liquides : Un Tournant Fiscal

Le 1er avril 2025, l’Espagne a franchi une étape supplémentaire en instaurant une taxe d’accise spécifique sur les liquides pour cigarettes électroniques, s’appliquant sur l’ensemble du territoire à l’exception des îles Canaries et des villes autonomes de Ceuta et Melilla. Cette mesure vise officiellement à aligner la fiscalité des produits de vapotage sur celle des produits du tabac traditionnels.

Le montant de la taxe varie selon la concentration en nicotine : 0,15€ par millilitre pour les e-liquides contenant jusqu’à 15mg/ml de nicotine, et 0,20€ par millilitre pour ceux dépassant ce seuil. Les e-liquides sans nicotine sont également taxés, tout comme les sachets de nicotine à hauteur de 0,10€ par gramme. Cette taxation entraîne une augmentation substantielle des prix pour les consommateurs et impose des obligations administratives supplémentaires aux professionnels du secteur.

Des Restrictions Croissantes à l’Horizon

Le plan antitabac 2024-2027 ne se contente pas de viser le tabac traditionnel, mais place également les produits de vapotage dans son viseur. Le gouvernement espagnol a annoncé son intention de réglementer les cigarettes électroniques au même titre que les cigarettes traditionnelles, avec plusieurs mesures particulièrement controversées.

En septembre 2025, le gouvernement a approuvé un projet de loi visant à interdire les cigarettes électroniques jetables (puffs) sur l’ensemble du territoire. Cette mesure, présentée comme un outil de protection de la santé publique et de l’environnement, s’inscrit dans une tendance observée dans plusieurs pays européens. La Belgique a banni les puffs en janvier 2025, suivie par la France en février de la même année.

Plus préoccupant encore pour les utilisateurs de cigarettes électroniques, le vapotage sera interdit sur les terrasses des cafés, bars et restaurants, au même titre que le tabagisme. Cette mesure, critiquée par l’Association espagnole des utilisateurs de vaporisateurs personnels (ANESVAP), est perçue comme contre-productive par les défenseurs de la réduction des risques, qui craignent un retour au tabagisme pour de nombreux vapoteurs et une hausse du marché noir.

La Menace sur les Arômes

Le gouvernement espagnol envisage également d’interdire tous les arômes dans les cigarettes électroniques et les sachets de nicotine, à l’exception du tabac. Cette proposition, annoncée en janvier 2024 par le ministre de la Santé, devrait se concrétiser par décret. L’Espagne fait partie des douze États membres de l’Union européenne qui, en mars 2025, ont adressé une lettre commune à la Commission européenne pour demander une interdiction des arômes à l’échelle de l’UE.

Cette position ignore délibérément les nombreuses études scientifiques démontrant que les arômes jouent un rôle crucial dans l’aide au sevrage tabagique, en permettant aux fumeurs de se distancier du goût du tabac et en rendant la transition vers le vapotage plus agréable. Les restrictions sur les arômes pourraient ainsi compromettre l’efficacité de la cigarette électronique comme outil de réduction des risques.

Un Paradoxe Inquiétant

L’Espagne se trouve aujourd’hui face à un paradoxe troublant. Au moment même où le pays enregistre sa plus forte baisse de tabagisme en deux décennies, coïncidant avec une augmentation significative du vapotage, les autorités multiplient les restrictions sur les alternatives au tabac combustible. Cette contradiction soulève des interrogations légitimes sur la cohérence des politiques de santé publique.

Selon une étude de l’organisation Smoke Free Sweden, si l’Espagne avait adopté l’approche suédoise de réduction des risques (favorisant le snus, les sachets de nicotine et les cigarettes électroniques), 30 865 vies auraient pu être sauvées entre 2000 et 2019. La Suède, qui a embrassé la réduction des risques, affiche aujourd’hui le taux de tabagisme le plus bas de l’Union européenne (5,3%), soit à peine un cinquième de celui de l’Espagne, et l’incidence de maladies liées au tabagisme la plus faible d’Europe.

Les professionnels du secteur du vapotage et les associations de consommateurs s’inquiètent des conséquences potentielles de ces restrictions. La taxation élevée, l’interdiction des puffs, les restrictions d’usage et la menace sur les arômes risquent de fragiliser un secteur indépendant de l’industrie du tabac, tout en favorisant le développement d’un marché noir et en poussant certains vapoteurs vers un retour au tabagisme.

L’Avenir Incertain de la Réduction des Risques

L’Espagne se situe à un carrefour crucial de ses politiques de santé publique. Le pays a démontré qu’une baisse rapide du tabagisme est possible, et les données suggèrent fortement que la cigarette électronique a contribué à ce succès. Cependant, au lieu de reconnaître et d’encourager ce rôle positif, les autorités semblent déterminées à traiter le vapotage comme un problème équivalent au tabagisme, voire pire.

Cette approche restrictive, guidée davantage par une idéologie de prohibition que par les preuves scientifiques, pourrait compromettre les progrès récents. Les experts en réduction des risques avertissent que l’Espagne risque d’inverser la tendance favorable observée depuis 2022, privant ainsi des millions de fumeurs d’un outil qui pourrait les aider à se libérer du tabac combustible.

Dans un contexte où plus de 45 000 Espagnols meurent chaque année de maladies liées au tabac, la question n’est pas de savoir si la cigarette électronique est parfaitement inoffensive, mais si elle représente une alternative significativement moins nocive que la cigarette traditionnelle. La littérature scientifique internationale répond par l’affirmative, et les résultats observés en Espagne ces dernières années semblent le confirmer. Reste à savoir si les décideurs politiques sauront faire preuve de pragmatisme en privilégiant une approche de réduction des risques plutôt qu’une politique prohibitionniste aux effets potentiellement contre-productifs.

Sources