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Suisse : entretien sur le nouveau projet de loi sur le vapotage et les produits du tabac

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Une nouvelle version du projet de loi sur “les produits du tabac et les cigarettes électroniques” était proposée au début du mois de décembre par le gouvernement suisse. Philippe Poirson, blogueur helvète et militant en faveur de l’approche de réduction des risques tabagiques analyse pour Vaping Post la nouvelle donne.

Vaping Post : Un nouveau projet de loi va être discuté en Suisse, incluant des mesures vers la cigarette électronique et le SNUS. Quel en est le contenu par rapport à ces deux moyens de réduction des risques ?

Philippe Poirson : Précisons que c’est un avant-projet qui doit encore suivre un long parcours en consultation publique et au parlement, avec beaucoup de possibilités de modifications, avant d’être éventuellement une loi en vigueur d’ici 2022 au plus tôt. Actuellement, les liquides de vapotage nicotinés et le snus sont interdits de vente, mais leur consommation est légale.

Ce second avant-projet de “loi sur les produits du tabac et les cigarettes électroniques” (LPTab) prévoit de légaliser et réglementer leurs ventes. Les deux produits seraient soumis à un âge limite d’achat de 18 ans. Ce texte assimile le vapotage avec ou sans nicotine au tabagisme sur la question de l’usage dans les lieux publics. Alors qu’actuellement ce sont les tenanciers des lieux qui sont libres de tolérer ou non le vapotage.

Un texte avec des éléments assez précis, en partie inspirés de la directive européenne (TPD).

Cet avant-projet stipule des éléments assez précis, en partie inspirés de la directive européenne (TPD), sur la réglementation de la mise sur le marché de produits de vapotage. L’obligation de notification des produits aux autorités, des limites de contenance, plus souples que les européennes : 100 ml pour les fioles de liquides nicotinés et 10 ml pour la contenance des atomiseurs. Enfin, le texte de l’avant-projet lui-même ne le précise pas, mais l’argumentaire (provisoire) l’accompagnant explique que les autorités veulent limiter à 20 mg/ml (2%) la concentration maximale de nicotine des liquides de vape.

La vape : un produit du tabac « utilisé sans tabac ».

Par ailleurs des avertissements sanitaires devraient être apposés, similaires à celui erroné contre la nicotine de l’Union européenne sur les produits de vape. Pour le snus, ce serait «Ce produit du tabac nuit à votre santé et crée une forte dépendance». A noter enfin que les cigarettes de tabac chauffé sont aussi mentionnées dans le texte. Un amalgame est fait d’ailleurs entre celles-ci et le vapotage sur la question du «tabagisme passif». Bien que le vapotage serait un produit du tabac « utilisé sans tabac », selon la définition à l’arôme orwellien de cet avant-projet de loi.

VP : Dans quelle mesure le rapport GREA a-t-il pesé dans l’établissement de ces propositions ?

PP : Selon toute vraisemblance, le rapport de la fédération des professionnels des addictions, qui regroupe le GREA, Fachverband Sucht et Ticino Addiction, n’a pas pesé sur l’élaboration de cet avant-projet. Celui-ci était bouclé avant la sortie du rapport.

Les professionnels des addictions n’ont pas été consultés ni les représentants des usagers

Les services de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) qui l’ont élaboré n’ont d’ailleurs pas consulté le milieu des professionnels des addictions ni les représentants des usagers. Cependant, à côté des auditions des organisations traditionnelles antitabac, des lobbys des cigarettiers et de la pharmaceutique, le préposé à la rédaction de l’avant-projet a reçu Stefan Meile, le président de l’association des professionnels de la vape indépendants (SVTA). Les limites portées à 100 ml pour les fioles et 10 ml pour les atomiseurs sont probablement une prise en compte de ses remarques.

La consultation publique, qui s’ouvre, va permettre à la société civile et au public de s’exprimer sur la question. La prise de position des professionnels des addictions a motivé aussi certains tabacologues a prendre leurs responsabilités sur le vapotage. Cela donne plus de consistances à une voie d’intégration intelligente de la réduction des méfaits. Dans cet avant-projet, son évocation apparaît comme une pièce rajoutée maladroitement et de manière incohérente.

Réfléchir à une politique anti-combustion, un challenge à relever pour ce projet.

On peut garder l’espoir que la suite du processus corrige ce texte bancal qui pourrait avoir des effets contre-productifs. Par exemple, l’interdiction infondée de vapoter dans les lieux publics interdit de fait aux fumeurs de pouvoir même essayer des produits de vapotage avant de les acquérir ou lors de séances de soutien à l’arrêt tabagique. Réfléchir à une politique anti-combustion qui tienne compte de la situation actuelle et anticipe son action dans les prochaines décennies est un challenge à relever pour ce projet actuellement «so eighties».

VP : On a vu qu’un amendement demandant une étude sur la vape a été abandonné. Pourquoi ?

PP : Basiquement, parce que ce n’était qu’une diversion politicienne demandant un rapport qui, en toute logique, aurait dû être mené en 2009 lorsque l’administration a interdit la vente locale des liquides nicotinés. Presque dix ans après, demander de réfléchir aux conséquences du vapotage alors que des rapports scientifiques de pointe sont ignorés par les tenants de la demande est ridicule. L’intention de l’ultra puritaine Verena Herzog de produire un rapport anti-vapoteurs était transparente.

Dans le détail du «cirque politicien», la demande de la Conseillère nationale était une réaction contre une suggestion de son camarade de parti (UDC) Raymond Clottu d’envisager une motion pour légaliser les liquides nicotinés à brève échéance sans attendre encore cinq ans ou plus. Cette suggestion a été abandonnée en Commission par Raymond Clottu et l’amendement de Verena Herzog a été refusé par une nette majorité des députés.

VP : Qu’aurait pu apporter cet amendement ?

PP : Éventuellement, l’opportunité d’une réflexion de fond sur les options d’avenir pour réorienter la Suisse vers une politique anti-combustion. A quelques détails de contexte près, le Royal College of Physicians britannique a répondu dans les grandes lignes à cette question. Mais Verena Herzog et ses fidèles traditionalistes anti-vape refusent de lire son rapport scientifique…

Concrètement, la possibilité d’un apport positif de cet amendement était mince, d’autant plus qu’Alain Berset, le Conseiller fédéral socialiste en charge du dossier, ne veut pas d’une réflexion plus globale aux limites étroites qu’il a fixées avec son projet de loi. A l’opposé de la réorientation de la politique en Nouvelle-Zélande, les autorités suisses ont beaucoup de mal à penser et s’adapter au nouveau contexte de la consommation de nicotine.

VP : Rapport aux « forces en présence », que va-t-il finalement se passer pour ce corpus législatif ?

PP : Pas simple de savoir comment vont s’articuler les différents intérêts croisés sur le sujet. A mon sens, Alain Berset a commis à sa conception une erreur à la fois d’intelligence de santé publique, mais aussi de tactique politicienne. En voulant assimiler de force le vapotage au tabagisme, il a poussé les défenseurs d’une approche de réduction des méfaits et les défenseurs des libertés individuelles dans le camp adverse. Ce dont a profité le lobby opposé aux restrictions de publicité sur le tabac.

La demande d’un statut clairement différencié pour le vapotage est restée ignorée.

Sa nouvelle version tient compte de deux demandes de la majorité du parlement qui avait rejeté le premier jet il y a un an : la légalisation du snus et l’abandon de la plupart des nouvelles restrictions de publicité. Mais il ignore la demande du parlement d’un statut clairement différencié du vapotage. Des critiques se sont déjà exprimées sur ce point dans les médias suisse-alémaniques.

 Le premier objectif des antitabac est que la Suisse soit en mesure de ratifier la Convention antitabac de l’OMS.

De l’autre côté, le camp antitabac menace d’un référendum si la loi était adoptée sans restriction plus forte contre la publicité. Ils tiennent notamment à ce que la Suisse soit en mesure de ratifier la Convention antitabac de l’OMS. Dans la bataille politique qui s’enclenche, le statut accordé au vapotage par l’un et l’autre camp peut les amener à se renforcer ou s’affaiblir. La vape pourrait avoir un rôle déterminant, en quelque sorte d’arbitre, malgré son poids relativement faible en regard des deux principaux lobbys.

VP : Vous qui êtes un fin connaisseur de la vape en Suisse, que vous inspirent ce projet et ce qui se passe autour ?

PP : C’est un chamboulement du champ de la lutte antitabac où des scissions se font entre l’approche coercitive et celle intégrant la réduction des méfaits. En coulisses, c’est d’une rare violence dans le contexte Suisse. Des calomnies grossières, des mensonges, des menaces d’exclusion et de cassages de carrière à peine voilées, etc. Cela laissera des traces dans le mouvement antitabac à terme.

L’opportunité de créer une mouvance pour une sortie de masse du tabagisme dans la joie se dessine.

Une face plus positive est l’émergence des usagers du vapotage et d’une pratique de soutien par les pairs. Ainsi que l’arrivée récente sur la question des professionnels des addictions porteurs d’une autre culture, bien plus ouverte, inclusive et globale que la vision étriquée des antitabac traditionnels. Si les professionnels de la vape peuvent aussi s’impliquer, il y a une vraie opportunité de créer une mouvance pour une sortie de masse du tabagisme dans la joie, à «la britannique».

Je reste résolument optimiste, même si parfois le peu de prise de responsabilité ou la lenteur à évoluer des différentes parties peuvent m’exaspérer. En surface, cela semble désespérément calme, mais des mouvements de fond se sont enclenchés.