Un reportage qui se veut long et complet sur Juul est actuellement disponible sur Netflix. Si la plate-forme de VOD est réputée pour ses (parfois) bonnes séries, certains de ses reportages ont, par le passé, laissé dubitatifs. Est-ce le cas ici ?
Documentaires Netflix en rase-mottes
L’an dernier, Netflix avait produit un documentaire, en trois épisodes d’une heure, sur la disparition mystérieuse du vol MH370 de Malaysian Airlines. Le documentaire était parti de la réalité, la disparition jamais élucidée d’un avion et de tous ses passagers, pour rapidement partir sur… autre chose, disons.
Moment de bravoure, cette brave dame, retraitée, amatrice de romans policiers, qui s’était prise de passion pour l’enquête, et, après avoir « étudié le fonctionnement d’un avion » sur Wikipédia, avait « vu quelque chose qui avait totalement échappé aux experts ». Par experts, entendez les centaines d’ingénieurs de conception, de pilotes, de spécialistes radars, tous complètement largués, donc, par une mamie qui a juste lu Wikipédia. Alors qu’eux n’y avaient pas pensé.
Votre serviteur se rappelle s’être dit, à ce moment précis « il ne manque plus que les OVNIS ». Il suffisait d’être patient, puisque l’hypothèse extraterrestre fut évoquée environ trente minutes plus tard.
Et, globalement, le documentaire sur le MH370 était considéré à ce jour comme le pire de ce qui pouvait se faire quand une chaîne voulait faire de l’audience et du spectacle au détriment de l’information du public. Forcément, cela fit des jaloux, et le documentaire sur Juul s’avance dans l’arène, bien décidé à détrôner le champion. A-t-il les moyens de ses ambitions ?
En vitesse de croisière
La série est produite par Amblin Télévision. Une société lancée dans le milieu des années 1980 par un jeune réalisateur pour lui permettre de proposer des fictions à la télévision. Ce petit gars a ensuite eu une carrière plutôt bien remplie : Steven Spielberg.
L’histoire de Juul et de ses deux fondateurs en elle-même est intéressante : comme les deux étudiants ont trouvé des investisseurs, comment ils ont créé la Ploom, à base de tabac chauffé, puis la Pax, adoptée par les consommateurs de cannabis.
Les ennuis commencent lorsque, une fois le modèle Juul finalisé, le marketing est confié à un influenceur, qui va lancer une campagne ciblant les “millenials”, une génération pourtant peu touchée par le tabagisme. Selon les intervenants, il porte la responsabilité de l’échec de Juul en l’ayant détournée de sa mission.
Cependant, la société, à cette époque, c’étaient six investisseurs siégeant au Conseil d’Administration, et les deux fondateurs. Sur ces huit décideurs, sept ont donné leur feu vert, seul un des financiers émettant des doutes et mettant en garde contre le chemin sans retour que Juul prenait.
La suite du reportage se concentre sur les réactions négatives de l’opinion publique, à juste titre : clairement, la campagne de lancement de Juul ne visait pas que les fumeurs. À se demander même si le “que” de la phrase précédente n’est pas en trop.
Le développement de Juul chez les ados occupe ensuite la quasi-totalité du deuxième et du troisième épisode. La montée en puissance de la vape chez les jeunes, la réaction de la FDA et des parents d’élèves, ces derniers se focalisant contre les arômes.
S’ensuit le feuilleton des ennuis judiciaires, un peu vite résumé, mais qui met en perspective un fait intéressant : la guerre contre Juul mené par des parents l’a été par une classe privilégiée, aidée, et dotée de contacts politiques, une minorité qui impose sa volonté à la majorité, sans tenir compte de ses intérêts. Le reportage lâche le mot en les nommant les “woke”.
L’avion tombe, avec Juul dedans
La crise EVALI est le meilleur moment, tant son traitement est parfait : le début est raconté du point de vue du grand public, avec les témoignages d’adolescents victimes qui accusent Juul et la vape, les médias déchaînés, et tout ce qui s’en est ensuivi. Puis vient la déclaration de la FDA qui absout Juul, et l’air contrit des mêmes témoins qui reconnaissent avoir vapoté du THC. Le reportage souligne que la presse a bien relayé le scandale, mais été très discrète sur l’absolution donnée à la vape.
La chute de Juul est également bien expliquée. La campagne de marketing viral qui a ciblé les adolescents, l’entrée de Altria au capital, et la prise de contrôle de la société par l’industrie du tabac, s’achevant par le départ des deux fondateurs, placardisés par un PDG tout droit venu de Big Tobacco.
Au final, mitigé
Alors, comment est ce reportage, au final ? Difficile, très honnêtement, de se faire une opinion. Des erreurs factuelles viennent ternir un tableau pas si mauvais, au final, même s’il a fallu à votre serviteur trois visionnages complets et l’avis plus nuancé d’un collègue pour voir ses qualités.
L’histoire proprement dite est partiellement réécrite, avec ces deux brillants étudiants qui, lors d’une pause cigarette dans leur université, se demandent pourquoi personne n’a jamais eu l’idée de vaporiser la nicotine plutôt que de l’absorber par combustion. La scène se passe en 2007.
Herbert A. Gilbert (1963) et Hon Lik (2002), qui ont pourtant déposé chacun un brevet, respectivement en 1965 et en 2005, pour Netflix, et pour Juul, ça n’a pas existé. Dès lors, le narratif est posé : Juul, c’est la vape, et la vape, c’est Juul. On le verra plus tard, dans le reportage : le reste de la vape américaine et mondiale y apparaît à peine. Juul a causé la perte du secteur tout entier aux USA, mais, à en croire le reportage, seuls eux comptaient vraiment sur le marché.
Le choix de certains témoins laisse aussi un goût amer. Ainsi, Stanton Glantz, avec son petit sourire narquois, affirme sans complexe que « la vape n’a jamais permis à qui que ce soit d’arrêter de fumer ». Il intervient régulièrement, se donnant le beau rôle dans une histoire qu’il réécrit au fur et à mesure, toutes ses apparitions pouvant se résumer par “je les avais pourtant bien prévenus que ça allait se passer comme ça”. Mais quel crédit donner à un homme qui a pour habitude de s’appuyer sur des études discutables ? Tendre le micro à toutes les parties, soit, mais à un menteur notoire, la question se pose.
Et les OVNIS ?
Plusieurs fois, dans le reportage, votre serviteur a été tenté de se demander, comme pour le documentaire sur le MH370 évoqué plus haut, et qui sert ici de modèle à ce qu’il ne faut jamais faire, “et les OVNIS ?” avant que la mise en scène ne revienne rétablir la vérité. Le passage sur l’EVALI est le meilleur exemple.
Et c’est finalement là que réside tout le problème : c’est une bonne histoire bien racontée. Ce reportage est un honnête divertissement, mais absolument pas un outil pour se bâtir une opinion fiable.
Le coup de génie de Juul est d’avoir lancé les sels de nicotine, d’après des études de l’industrie du tabac. Ce que le reportage ne précise pas, c’est le taux de presque 40 mg de nicotine des cartouches, consommées par des adolescents qui, souvent, n’avaient jamais fumé. Et c’est dommage, tant ce point est crucial. Le marché européen s’est vu protégé de cela grâce à un taux limité à 20 mg. Une aberration pour certains, mais, sur cette affaire, une véritable chance.
Quant au portrait des deux fondateurs, il est ambigu. Tour à tour présentés comme deux naïfs désireux de bien faire, puis d’accepter des montagnes d’argent contre leur âme en pleine conscience, bien malin celui qui saura s’il faut les absoudre ou les maudire.
Même la conclusion est discutable. Un intervenant de la FDA explique que “la tragédie, c’est que Juul avait réussi là où tous les autres ont échoué, disposer d’un outil capable de vaincre le tabac, et qu’ils ont tout gâché”. C’est vrai que Juul a tout gâché, mais ils n’étaient pas les seuls à disposer de cet outil ni ses inventeurs. En revanche, leurs erreurs ont entraîné toute la vape dans leur chute aux USA.
S’il y a une conclusion, en tout cas, à tirer de cette histoire, c’est de ne jamais, sous aucun prétexte et quel que soit le sujet, faire confiance à l’industrie du tabac. Une leçon que certains devraient méditer.
Donc, non, “Big Vape” sur Netflix est loin d’être aussi catastrophique que certains reportages qu’ils ont pu faire, à base d’avions perdus par exemple. Ce n’est pas non plus le reportage parfait pour se faire peur à Halloween, ni, et c’est dommage, pour avoir toute la vérité, rien que la vérité. Mais il permet d’avoir de solides pistes pour répondre à la question : comment en sont-ils arrivés là ? Le meilleur conseil est : faites-vous votre propre avis.
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