C’est une première mondiale. Trois cigarettiers vont directement indemniser des victimes individuelles du tabagisme.
Une longue bataille pour une belle victoire

C’est la première fois que la responsabilité directe des cigarettiers envers leurs clients est reconnue.
En 1998, aux États-Unis, le verdict d’un procès historique était rendu. Opposant 46 États à l’industrie du tabac, cette dernière était condamnée à verser 206 milliards de dollars, destinés à « couvrir les frais médicaux liés aux maladies du tabagisme ». Aujourd’hui, au Canada, s’est joué l’épilogue d’une action en justice tout aussi historique.
En 2015, lors de la plus grande action collective dans l’histoire du pays, qui se sera étalée sur 17 ans, la Cour supérieure du Québec condamnait trois compagnies de tabac (Benson & Hedges Inc., Imperial Tobacco Canada Ltd. et JTI-Macdonald Corp.). Celles-ci étaient attaquées par plus de 918 000 fumeurs canadiens qui les accusaient de leur avoir caché les méfaits du tabagisme sur la santé. Les entreprises étaient alors condamnées à verser 15,5 milliards de dollars canadiens (10,3 milliards d’euros) de dommages et intérêts à 99 000 des victimes, ayant toutes comme point commun d’être atteintes d’un emphysème pulmonaire, d’un cancer de la gorge ou des poumons. 24 000 $ devaient être attribués dans le cas d’un emphysème, et 100 000 $ pour un cancer. Sans surprise, Big Tobacco faisait appel de cette décision.
En 2019, suite à la confirmation de leur condamnation en appel, les cigarettiers ont demandé la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Cette loi fédérale canadienne permet à des entreprises en difficulté financière de suspendre toutes leurs obligations de paiement afin de négocier un accord avec leurs créanciers, Big Tobacco ayant indiqué que le paiement de cette condamnation les conduirait à la faillite.
Cette demande de protection ayant été acceptée, un médiateur indépendant a été nommé afin de trouver un arrangement entre les trois entreprises et les victimes du tabagisme qui avaient remporté le procès. Les gouvernements provinciaux, qui avaient eux aussi poursuivi les cigarettiers pour récupérer les coûts de santé liés au tabagisme, font également partie des créanciers indemnisés.
La durée de cette médiation a été de cinq ans et il aura fallu attendre le mois d’octobre 2024 pour qu’un plan de règlement à hauteur de 32,5 milliards de dollars canadiens (21,5 milliards d’euros) soit trouvé. Ce matin, le plan aurait été accepté par les cigarettiers, laissant présager que la Cour supérieure de l’Ontario, qui était chargée d’examiner l’accord fin janvier 2025, l’aurait validé, malgré l’absence de communication officielle à ce sujet pour l’instant.
Il s’agit de la première indemnisation directe des victimes du tabac sur une base collective au monde. Jusqu’à présent, les nombreux procès contre Big Tobacco n’avaient servi qu’à rembourser les coûts de santé publique liés au tabagisme, mais sans qu’aucun fumeur individuel ne soit indemnisé. C’est donc la première fois que la responsabilité des cigarettiers est directement admise envers leurs clients.
Jean-Yves Blais, le Québécois ayant déposé la première requête en autorisation d’exercer un recours collectif contre ces cigarettiers, ne profitera pas de cette victoire. Ce dernier est décédé d’un cancer des poumons en 2012.
Et maintenant ?
Par le passé, l’industrie du tabac avait toujours réussi à éviter une responsabilité directe envers les fumeurs. En brisant cette barrière, le Canada pourrait bien permettre le lancement d’une nouvelle vague de procès en provenance du monde entier. Ce précédent pourrait inspirer d’autres recours collectifs, notamment en Europe et aux États-Unis, où des fumeurs continuent de chercher réparation. L’impact de cette décision pourrait donc largement dépasser les frontières nordiques.
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