La guerre contre les arômes prend de l’ampleur à Bruxelles, et elle est menée au nom de la jeunesse. Avec, parfois, un discours particulièrement inquiétant.
- Douze pays européens, menés par l’Irlande, ont appelé à de nouvelles restrictions sur la cigarette électronique lors du Conseil de la Santé européen du 20 juin 2025.
- Ils demandent une révision de la directive européenne sur les produits du tabac pour interdire les arômes, restreindre l’emballage et contrôler les ventes transfrontalières.
- La République tchèque a exprimé sa volonté de « décourager les fumeurs » d’utiliser des alternatives moins nocives, tandis que la Lettonie amalgame nicotine et tabac comme également mortels.
- Le Commissaire européen à la Santé a évoqué le “popcorn lung”, un problème résolu depuis près de dix ans dans l’industrie du vapotage.
- Des positions politiques qui ignorent aussi les données scientifiques qui démontrent que le vapotage détourne les jeunes du tabac plutôt que de les y conduire.
Des États de plus en plus nombreux à exiger des restrictions européennes

Frank Vandenbroucke, Vice-Premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique en Belgique, lors de sa prise de parole au conseil EPSCO, le 20 juin 2025
Ces derniers mois, les Pays-Bas étaient, semble-t-il, le pays le plus agressif envers le vapotage. Depuis qu’ils ont interdit les arômes sur leur territoire à la fin de l’année 2023, les Hollandais n’ont cessé de pousser pour que leurs voisins fassent de même. Fin mars 2025, Vincent Karremans, ministre de la Santé, envoyait ainsi une lettre au Commissaire européen dans laquelle il écrivait que le report des discussions sur la TPD était « néfaste » et qu’il était urgent d’imposer « des restrictions complètes sur les arômes, les niveaux maximaux de nicotine et l’emballage neutre. » Le mois dernier, à l’occasion du lancement d’une campagne nationale contre la cigarette électronique, ce même ministre indiquait que « les vapes sont souvent remplies de nicotine, parfois 400 fois plus que dans une cigarette », et qu’elles étaient même « la drogue la plus addictive qui soit, après l’héroïne et le crack. »
Si, jusqu’à présent, les Pays-Bas étaient les seuls à s’exprimer aussi fermement contre le vapotage, les choses pourraient bien être sur le point de changer. Il y a quelques jours, à l’occasion du Conseil luxembourgeois de la Santé (EPSCO), plusieurs pays ont appelé1 à de nouvelles restrictions sur la cigarette électronique.
Lorsque ce thème a été abordé, c’est l’Irlande qui a d’abord pris la parole, en indiquant que le pays, accompagné par la Belgique, la Croatie, l’Estonie, la Finlande, la France, la Lettonie, la Lituanie, Malte, les Pays-Bas, la Slovénie et l’Espagne, « lance un appel à l’action sur la publication d’une révision sur la directive des produits du tabac (TPD) et de la nicotine. » Tous les pays cités par l’Irlande avaient participé aux dernières pressions mises sur la Commission pour accélérer les restrictions sur la cigarette électronique.
Selon eux, « il convient de protéger les jeunes des dommages causés par ces produits du tabac et de la nicotine sous toutes ses formes », rappelant que la directive actuelle n’a pas été mise à jour depuis dix ans, poussant les pays membres de l’UE à prendre des mesures nationales. Des mesures que l’Irlande indique être difficiles à mettre en place, car l’absence de législation européenne n’empêche pas le commerce transfrontalier. De son côté, elle souhaite notamment interdire la publicité pour les produits du tabac et de la nicotine sur les réseaux sociaux, ainsi que la vente aux mineurs dans toute l’Union européenne.
Suite à cette intervention, c’est Frank Vandenbroucke, représentant de la Belgique, qui a souhaité prendre la parole. Le ministre a lui aussi rappelé que l’évolution rapide du marché des produits de la vape nécessitait de revoir la TPD, mais a également souligné que les pays membres « ne peuvent pas attendre cette révision avant d’agir. »
« Nous avons maintenant des arômes fraise, chocolat, chewing-gum ou que sais-je, qui n’aident pas les fumeurs à surmonter leur dépendance. Ce sont des nouveaux produits qui attirent les mineurs (…). », a poursuivi Vandenbroucke, avant d’ajouter que « des restrictions sur l’utilisation des cigarettes électroniques sont nécessaires pour préserver la santé de nos jeunes (…). »
La Slovénie a renchéri en acquiesçant tout ce qui avait été dit auparavant, soulignant la nécessité d’agir « en interdisant les arômes, certains types d’emballages, en restreignant l’utilisation de ces produits et en ayant la possibilité d’agir sur les ventes transfrontalières. » Des mesures nécessaires pour « protéger la santé publique et [les] jeunes de pratiques nuisibles de l’industrie qui exploite les lacunes de [la] réglementation. »
L’Allemagne, de son côté, s’est contentée de soutenir ce qui avait été dit précédemment, précisant que la nouvelle réglementation devrait « englober les cigarettes électroniques jetables, les arômes dans les cigarettes électroniques et les sachets de nicotine. »
Quelques discours lunaires
Olivér Várhelyi, Commissaire européen à la Santé et au Bien-être animal, lors de sa prise de parole au conseil EPSCO, le 20 juin 2025
Soulignons l’intervention de la République tchèque, particulièrement édifiante. Václav Pláteník, vice-ministre de la Santé, après avoir expliqué que le pays a mis en place de nombreuses taxes sur les nouveaux produits du tabac (tabac chauffé, e-liquides, etc.), a fait part de sa volonté d’instaurer « des approches réglementaires strictes qui décourageront les fumeurs d’utiliser ce type de produits tout en permettant de protéger les jeunes et les nouveaux utilisateurs. »
La République tchèque exprime donc clairement sa volonté de décourager les fumeurs de son pays à passer à des alternatives qui ont été scientifiquement reconnues comme étant moins nocives que le tabagisme. Une drôle de mesure lorsqu’il s’agit d’un discours censé protéger la santé publique, et une déclaration révélatrice d’une méconnaissance persistante du rôle des produits de réduction des risques2, 3.
De son côté, la Lettonie s’est félicitée de ce débat au sein de l’Union européenne, et a « [confirmé son] engagement à lutter contre les effets néfastes de la consommation de nicotine et de tabac », car il s’agit d’une « cause évitable de maladies et de morts prématurées. » Le pays ne fait donc aucune distinction entre la nicotine et le tabac, les deux étant également responsables de maladies et de décès à ses yeux.
Juste avant le mot de la fin, qui sera prononcé par Olivér Várhelyi, Commissaire européen à la Santé, La Roumanie a clos le bal en exprimant son accord avec tout ce qui avait été dit par les ministres des pays voisins, assurant que toutes ces actions « vont contribuer à mieux protéger la santé de la population et les jeunes. »
De son côté, le Commissaire a remercié les participants et indiqué « [partager] les préoccupations » exprimées lors de cette réunion. Citant des chiffres de l’OMS, il a souligné que 30 % des mineurs de moins de 15 ans auraient déjà expérimenté le vapotage, et fait part de sa préoccupation au sujet de la maladie des « poumons pop corn » (popcorn lung).
10 ans de retard
La petite histoire du popcorn lung
Le terme popcorn lung désigne la bronchiolite oblitérante, une pathologie pulmonaire obstructive chronique caractérisée par une obstruction et/ou une oblitération des voies aériennes distales4. Cette maladie a été renommée ainsi suite à sa découverte en mai 2000 chez huit anciens employés d’une usine de popcorn pour micro-ondes. Elle est notamment favorisée par l’inhalation de diacétyle, un arôme de beurre utilisé pour la fabrication du maïs soufflé.
Il y a plusieurs années, le diacétyle était régulièrement utilisé dans certains e-liquides gourmands, pour sa capacité à offrir cette saveur. Après que des scientifiques aient alerté sur la présence de ce composé dans certains e-liquides, et les risques encourus lors de son inhalation, la grande majorité des fabricants qui l’utilisait a cessé de le faire. De plus, l’article 20, paragraphe 3(e), de la TPD5, entrée en application en 2016, oblige les États membres à veiller à ce que « seuls soient utilisés dans le liquide contenant de la nicotine, à l’exception de la nicotine, des ingrédients qui, chauffés ou non, ne présentent pas de risques pour la santé humaine. »
Si le diacétyle ne profite d’aucune classification harmonisée au niveau européen (auprès de l’ECHA), il tombe toutefois sous le coup d’une autoclassification6. En bref, à l’heure actuelle, 17 entreprises ont classé le diacétyle comme étant nocif par inhalation (H332). Et puisque la TPD interdit l’utilisation de composés qui présentent un risque pour la santé au sein des e-liquides, le diacétyle ne doit pas être utilisé. Et c’est le cas dans l’immense majorité des liquides vendus depuis près de dix ans maintenant.
En citant la bronchiolite oblitérante, le Commissaire européen à la Santé a démontré un retard d’une décennie sur la réalité de la composition des e-liquides destinés au vapotage.
Mais pas de quoi freiner son discours, puisque l’homme a également indiqué que « les preuves suggèrent que [les nouveaux produits de la nicotine] sont une passerelle vers l’addiction à la nicotine et les produits du tabac traditionnels (les cigarettes, N.D.L.R.). » Là encore, des propos bien éloignés du monde réel puisque nombreuses sont les études qui ont conclu que le vapotage ne conduit pas au tabagisme7, 8, 9, 10, mais qu’au contraire, il joue un rôle de substitution à ce dernier. Et particulièrement chez les jeunes11.
Pour conclure, le Commissaire a souligné que les réseaux sociaux participent à l’accroissement du nombre de mineurs qui vapotent, et que « les arômes ont joué un énorme rôle pour attirer les jeunes utilisateurs et consommateurs. »
Entre volonté politique et déni scientifique
À Bruxelles, le ton continue donc de durcir au sujet du vapotage. Mais plus les discours montent en intensité, plus ils semblent s’éloigner des données.
Les arômes semblent être devenus la cible idéale, parfois au prix de raccourcis ou d’affirmations infondées. Et derrière l’affichage d’une protection des jeunes, on observe surtout une volonté de contrôle, souvent déconnectée des réalités du terrain et des recommandations scientifiques. Reste à savoir si l’Union européenne saura, dans les mois à venir, faire la différence entre politique de santé publique… et posture politique.
Sources et références
1 Employment, Social Policy, Health and Consumer Affairs Council. Public session (morning). Friday, 20 June 2025 10:19. Voir le replay vidéo
2 McNeill, A., Simonavicius, E., Brose, L. S., Taylor, E., East, K., Zuikova, E., Calder, R., & Robson, D. (2022). Vaping in England: An evidence update including vaping for smoking cessation, February 2022. Office for Health Improvement and Disparities. https://www.gov.uk/government/publications/vaping-in-england-evidence-update-february-2022
3 Hartmann‐Boyce, J., Lindson, N., Butler, A. R., et al. (2022). Electronic cigarettes for smoking cessation. Cochrane Database of Systematic Reviews, 11(11), CD010216. https://doi.org/10.1002/14651858.CD010216.pub7
4 Mazenq, J., Dubus, J.-C., Chanez, P., & Gras, D. (2025). La bronchiolite oblitérante post-infectieuse chez l’enfant : une maladie rare et potentiellement dévastatrice. Revue des Maladies Respiratoires, 42(3), 148–152. https://doi.org/10.1016/j.rmr.2025.02.009
5 Union européenne (2014). Directive 2014/40/UE relative aux produits du tabac. Journal officiel de l’Union européenne, L 127, 29 avril 2014. Récupéré de https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=celex:32014L0040
6 European Chemicals Agency. Diacetyl (CAS 431-03-8). Substance Information, ECHA Database. https://chem.echa.europa.eu/100.006.428/overview
7 Dautzenberg, B., Legleye, S., Underner, M., Arvers, P., Pothegadoo, B., & Bensaidi, A. (2023). Systematic review and critical analysis of longitudinal studies assessing effect of e-cigarettes on cigarette initiation among adolescent never-smokers. International Journal of Environmental Research and Public Health, 20(20), 6936. https://doi.org/10.3390/ijerph20206936
8 O’Leary, R., MacDonald, M., Stockwell, T., & Reist, D. (2017). Clearing the Air: A systematic review on the harms and benefits of e-cigarettes and vapour devices. Centre for Addictions Research of BC, University of Victoria.
9 Foxon, F., Selya, A., Gitchell, J., & Shiffman, S. (2024). Increased e-cigarette use prevalence is associated with decreased smoking prevalence among US adults. Harm Reduction Journal, 21, Article 136. https://doi.org/10.1186/s12954-024-01056-0
10 Park-Lee, E., Jamal, A., Cowan, H., Gentzke, A. S., Cornelius, M., Cullen, K. A., Neff, L. J., & King, B. A. (2024). Tobacco product use among middle and high school students—National Youth Tobacco Survey, United States, 2024. Morbidity and Mortality Weekly Report, 73(41), 929-936. https://doi.org/10.15585/mmwr.mm7341a2
11 Selya, A. S., & Foxon, F. (2021). Trends in electronic cigarette use and conventional smoking: quantifying a possible ‘diversion’ effect among US adolescents. Addiction, 116(7), 1848-1858. https://doi.org/10.1111/add.15385
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