La cigarette électronique et le tabac chauffé au Japon
Un pays sur la bonne voie
Alors que le Japon comptait plus de 50 % de fumeurs dans les années 60, les dernières données de l’OMS, datant de 2021, parlent d’un taux de prévalence tabagique désormais passé à 18 %. Une diminution considérable due à la politique antitabac des gouvernements successifs.
La contrée du tabac chauffé
Si le Japon est un pays particulier à bien des égards, sa politique en matière de lutte contre le tabagisme ne déroge pas à la règle. Alors que dans le monde entier, la cigarette électronique s’impose progressive, au Japon, c’est bien le tabac chauffé qui occupe l’espace.
De nombreux cigarettiers ciblent le Japon lorsqu’il s’agit de leurs produits du tabac chauffé. Philip Morris, par exemple, promeut largement son IQOS dans le pays, tandis que Japan Tobacco tente de s’y imposer à l’aide de sa marque Ploom.
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Consultez ci-dessous tous les articles traitant de l’actualité de la cigarette électronique, du tabac chauffé, et du sevrage tabagique, au Japon.
Le Japon et le tabagisme : une transformation historique
Le Japon a connu l’une des transformations les plus spectaculaires en matière de tabagisme au cours des dernières décennies. Dans les années 1960, le pays affichait des taux de tabagisme parmi les plus élevés au monde, avec un pic historique atteint en 1966 où 83,7% des hommes japonais fumaient. Cette prévalence exceptionnellement élevée faisait alors du tabagisme une véritable norme sociale dans l’archipel.
Depuis lors, le Japon a entrepris un long chemin vers la réduction du tabagisme. Les chiffres témoignent d’une baisse constante et significative : le taux de tabagisme chez les hommes est passé de 30,3% en 2014 à 25,4% en 2022, tandis que celui des femmes est descendu de 9,8% à 7,7% sur la même période. Encore plus frappant, une étude récente menée par le ministère japonais de la Santé révèle une diminution globale de 46% de la prévalence du tabagisme entre 2014 et 2022, passant de 19,6% à 10,6% de la population adulte. Ces données positionnent désormais le Japon dans une dynamique de santé publique encourageante, même si environ 130 000 à 140 000 Japonais décèdent encore chaque année de maladies liées au tabagisme.
Une réglementation progressivement renforcée
L’évolution du cadre législatif japonais en matière de lutte antitabac a connu une accélération notable dans les années 2010. L’adoption de la loi sur la promotion de la santé en 2003 a marqué les premiers pas vers une réglementation plus stricte, en se concentrant notamment sur la protection contre le tabagisme passif dans les espaces de travail.
Le tournant majeur s’est produit à l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo, initialement prévus en 2020. Cet événement international a servi de catalyseur pour renforcer significativement la législation. Depuis avril 2020, il est interdit de fumer dans les lieux publics fermés tels que les restaurants, les bureaux, les halls d’hôtels et autres établissements recevant du public. Cette mesure visait à aligner le Japon sur les standards internationaux en matière de protection contre le tabagisme passif.
Une particularité de la réglementation japonaise réside dans l’interdiction de fumer dans la rue, contrairement à la plupart des pays occidentaux. Les fumeurs doivent se rendre dans des zones fumeurs spécialement aménagées, principalement situées à l’intérieur des gares et dans certains espaces urbains dédiés. Cette approche inverse à celle adoptée en Occident témoigne d’une volonté de maintenir la propreté des espaces publics et de limiter les nuisances liées aux mégots de cigarettes.
Les obstacles politiques à une régulation plus stricte
Malgré ces avancées, le Japon reste confronté à des défis importants dans sa lutte antitabac. Le pays a été classé parmi les plus mauvais élèves au niveau international par l’Organisation mondiale de la santé, notamment en raison de l’influence persistante des lobbys du tabac. Le gouvernement japonais détient encore 33% des actions de Japan Tobacco, le troisième cigarettier mondial, créant ainsi un conflit d’intérêts structurel entre les impératifs de santé publique et les revenus fiscaux générés par l’industrie du tabac, estimés à environ 6,5 milliards d’euros annuels.
Cette situation explique en partie pourquoi le prix des cigarettes reste relativement bas au Japon, avec un paquet vendu entre 500 et 600 yens (environ 2,83 à 3,40 euros), bien en dessous des prix pratiqués dans de nombreux pays occidentaux. De plus, contrairement à de nombreux pays, les paquets de cigarettes japonais ne comportent pas de photos chocs, mais uniquement des avertissements sanitaires sous forme de messages écrits.
La cigarette électronique au Japon : une réglementation restrictive
Le marché de la cigarette électronique au Japon se distingue par une réglementation particulièrement stricte qui limite considérablement son développement. La législation japonaise classe la nicotine comme un produit médical, ce qui a des implications majeures pour les vapoteurs.
La vente d’e-liquides contenant de la nicotine est totalement interdite sur le territoire japonais. Seuls les e-liquides sans nicotine peuvent être commercialisés légalement dans les boutiques. Cette restriction constitue un obstacle majeur pour les fumeurs souhaitant utiliser la cigarette électronique comme outil de sevrage tabagique, la nicotine étant généralement considérée comme un élément essentiel de la transition.
Toutefois, la réglementation autorise les particuliers à importer pour leur usage personnel jusqu’à 120 millilitres d’e-liquide nicotiné par personne et par mois. Il est recommandé aux voyageurs de déclarer leurs e-liquides nicotinés à la douane japonaise à leur arrivée afin d’éviter toute confiscation. Cette limite d’importation peut s’avérer insuffisante pour les vapoteurs réguliers, particulièrement lors de séjours prolongés dans l’archipel.
En termes d’usage, la cigarette électronique est soumise aux mêmes restrictions que la cigarette traditionnelle. Il est interdit de vapoter dans la rue, sauf dans les zones fumeurs dédiées, et le vapotage est également prohibé dans les lieux publics fermés. Cette équivalence réglementaire entre vapotage et tabagisme, malgré les différences substantielles en termes de réduction des risques, témoigne d’une approche prudente, voire restrictive, des autorités japonaises vis-à-vis des nouveaux produits de sevrage.
Le marché japonais de la cigarette électronique reste donc relativement modeste comparé à d’autres pays développés. Cette situation s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs : l’interdiction de vente d’e-liquides nicotinés, les restrictions d’usage, et la disponibilité d’alternatives comme le tabac chauffé qui bénéficie d’un cadre réglementaire plus favorable.
Le tabac chauffé : une révolution japonaise
Si la cigarette électronique peine à se développer au Japon, le pays s’est en revanche positionné comme le laboratoire mondial du tabac chauffé. Le Japon représente aujourd’hui le premier marché mondial pour cette technologie, avec une adoption massive qui a profondément transformé le paysage du tabagisme dans l’archipel.
L’essor fulgurant de l’IQOS
Le lancement de l’IQOS de Philip Morris International en novembre 2014 à Nagoya a marqué un tournant décisif. Le Japon, choisi comme marché test aux côtés de l’Italie, s’est révélé être un terrain particulièrement fertile pour cette innovation. Le dispositif, qui chauffe le tabac jusqu’à 350°C sans provoquer de combustion, a connu un succès rapide auprès des fumeurs japonais.
L’adoption du tabac chauffé au Japon a été accélérée par un phénomène médiatique inattendu. En avril 2016, l’émission de télévision populaire “Ame Talk” a consacré un épisode entier à l’IQOS, avec des animateurs présentant en détail le fonctionnement du dispositif. Cette exposition médiatique a eu un impact considérable : une étude a révélé que 10,3% des téléspectateurs ayant vu l’émission utilisaient l’IQOS, contre seulement 2,7% chez ceux qui ne l’avaient pas vue.
Les chiffres de croissance du marché témoignent de cet engouement. Entre 2015 et 2019, les ventes de sticks d’IQOS sont passées de 5,1 milliards à 37,1 milliards d’unités. En 2020, les produits à risques réduits, dont principalement le tabac chauffé, représentaient déjà 26% du marché global du tabac au Japon. Cette part de marché exceptionnelle fait du Japon un cas unique au monde.
Une corrélation avec la baisse du tabagisme
L’une des observations les plus remarquables concerne la corrélation entre l’introduction du tabac chauffé et l’accélération du déclin du tabagisme traditionnel au Japon. Entre 2015 et 2019, les ventes de cigarettes combustibles ont chuté de 34%, une diminution qui coïncide précisément avec la montée en puissance du tabac chauffé.
La baisse spectaculaire de 46% de la prévalence du tabagisme entre 2014 et 2022, passant de 19,6% à 10,6% des adultes, s’est produite durant la période d’expansion massive des produits à tabac chauffé. Cette corrélation temporelle suggère que ces dispositifs ont pu jouer un rôle significatif dans la transition d’une partie importante des fumeurs japonais vers des alternatives potentiellement moins nocives.
Il est important de noter que plusieurs facteurs ont contribué simultanément à cette baisse : le vieillissement de la population, les campagnes de sensibilisation, le renforcement de la réglementation, et l’augmentation des prix du tabac. Néanmoins, l’ampleur et la rapidité de la transition vers le tabac chauffé constituent un phénomène unique qui fait du Japon un cas d’étude fascinant pour les chercheurs et les acteurs de la santé publique.
Les différents acteurs du marché
Si Philip Morris International domine largement le marché avec son IQOS, d’autres acteurs sont également présents. Japan Tobacco, le géant local, commercialise sa propre gamme de produits à tabac chauffé sous la marque Ploom, lancée dès 2013, soit un an avant l’IQOS. KT&G, le sud-coréen, propose également son dispositif Lil, aujourd’hui distribué internationalement dans le portefeuille IQOS suite à un partenariat avec PMI.
Philip Morris International a continué d’innover sur le marché japonais avec le lancement en août 2021 de l’IQOS Iluma, une nouvelle version du dispositif utilisant un système de chauffage par induction, sans lame, et ne nécessitant plus de nettoyage régulier. Cette évolution technologique témoigne de l’importance stratégique du marché japonais pour le développeur.
Perspectives et défis futurs
Le Japon se trouve aujourd’hui à un carrefour en matière de politique de santé publique liée au tabac. D’un côté, les chiffres de prévalence du tabagisme n’ont jamais été aussi bas, témoignant d’une transformation sociétale profonde. De l’autre, le pays fait face à des défis persistants : l’influence de l’industrie du tabac sur les politiques publiques, une taxation encore insuffisante selon les recommandations de l’OMS, et une couverture partielle des services d’aide au sevrage tabagique.
La situation paradoxale de la réglementation japonaise, qui restreint sévèrement la cigarette électronique nicotinée tout en favorisant implicitement le tabac chauffé, soulève des questions importantes sur la hiérarchie des risques et les stratégies de réduction des méfaits. Pour les défenseurs de la réduction des risques liés au tabagisme, le modèle japonais offre néanmoins des enseignements précieux sur la manière dont les fumeurs peuvent massivement adopter des alternatives lorsque celles-ci sont disponibles, accessibles et culturellement acceptées.
L’expérience japonaise démontre qu’une transformation rapide du comportement tabagique est possible, même dans un pays ayant une longue histoire de forte prévalence. Avec une baisse de près de 50% du tabagisme en moins d’une décennie, le Japon prouve que des alternatives moins nocives, combinées à des politiques publiques cohérentes, peuvent accélérer significativement le déclin du tabagisme traditionnel et contribuer à l’amélioration de la santé publique.
Sources
- Le Monde du Tabac – Japon : la prévalence tabagique passe sous le seuil des 20%… sans les photos-choc
- Génération sans Tabac – Japon : une application médiocre des mesures antitabac induit une forte prévalence et mortalité
- Vaping Post – Japon : le nombre de fumeurs a diminué de plus de 3 % en 3 ans
- Le Monde du Tabac – Japon : baisse de la prévalence tabagique
- Japon Infos – Moins de 20% de fumeurs chez les Japonais pour la 1ère fois
- Nippon.com – Fumer au Japon : des comportements qui changent
- Kanpai – Fumer au Japon – Les Japonais et la cigarette
- France 24 – Journée mondiale sans tabac : au Japon, la cigarette reste un défi de santé publique
- SPF Affaires étrangères Belgique – Législation locale au Japon
- Le Monde du Tabac – Japon : des chiffres convaincants pour les 10 ans de l’Iqos
- Vaping Post – Premier bilan de l’utilisation du tabac chauffé au Japon
- Génération sans Tabac – Tabac chauffé : un document interne révèle l’offensive de Philip Morris au Japon
- Génération sans Tabac – Japon : le tabac chauffé perturbe l’industrie de la cigarette
- Vaping Post – Japon : déclin du tabagisme depuis le lancement de produits du tabac chauffé
- Le Petit Journal – Tokyo 2020 : politique antitabac très stricte pour les JO
- Nippon.com – Le Japon, très mauvais élève dans la lutte antitabac
- Infos Locales au Japon – Loi sur le tabac dans les établissements publics







