Parmi les intervenants du 1er Sommet de la vape, qui s’est tenu il y a deux jours, au Cnam à Paris, Daniel Thomas, vice-président du Comité national contre le tabagisme (CNCT), faisait partie des plus sceptiques concernant la cigarette électronique. Si ses positions ont pu en hérisser certains, il est intéressant de voir comme elles ont évolué au cours des dernières années.
Un produit de sortie du tabac : « Pourquoi pas, mais ça reste à démontrer »
Pour bien situer le CNCT, il faut savoir que c’est une association créée en 1868, sous le nom d’Association française contre l’abus du tabac. Après plusieurs changements de noms, elle a pris son nom actuel en 1968 et est reconnue d’utilité publique depuis 1977. Le CNCT a eu un rôle actif dans l’adoption des lois Veil (1976) et Evin (1991). Elle est également membre de l’Alliance contre le tabac.
Aujourd’hui, le CNCT n’est plus réfractaire à l’idée que la cigarette électronique puisse être un produit de sortie du tabac, mais tempère en ajoutant que cela « reste à démontrer par des données scientifiques ».
On peut mesurer le chemin parcouru en comparant cette position aux déclarations de son président, le professeur Yves Martinet, qui déclarait à l’AFP en décembre 2010, que la cigarette électronique était à la fois « une arnaque et un gadget ». Il ajoutait même à l’époque : « Ce produit ne présente aucun intérêt médical pour arrêter de fumer, il y a d’ailleurs des pays qui l’interdisent. Pour l’instant, ce produit n’a pas été évalué de façon scientifique » [1].
Depuis fin 2010, de nombreuses études se sont penchées sur le cas du vaporisateur personnel, notamment celle du Public Health England publiée en août 2015, qui estime que les émissions de l’e-cigarette sont environ 95% moins nocives que celles de la cigarette classique. Le CNCT s’est rangé à cet avis en admettant que c’est une « approximation acceptable pour une différenciation avec la toxicité du tabac combustible. »
« Notre ennemi, c’est le tabac »
Lundi, c’est donc Daniel Thomas qui représentait le CNCT au 1er Sommet de la vape. Outre ses fonctions au sein du CNCT, il est également professeur des universités et praticien hospitalier en cardiologie à l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI). Il a indiqué être venu « dans un état d’esprit d’objectivité et de dialogue. » Avant d’ajouter « Les associations de lutte contre le tabagisme sont généralement vécues comme des anti-tabac et des anti-vapotage. Ce qui est totalement faux ! Notre ennemi c’est le tabac et c’est la première chose qui a été dite ce matin. »
En tant que médecin, Daniel Thomas se veut cartésien et justifie les positions du CNCT, que certains jugent frileuses, « la problématique, c’est d’utiliser les données scientifiques et de rester sur ces données de la façon la plus proche possible. Le fait de croire que c’est un produit miracle risque de faire dériver les avis sur des choses qui ne reposent pas sur des données scientifiques pures et dures. Sans données scientifiques, vous ne pouvez pas demander à des médecins ou même des politiques de prendre certaines décisions. »
« Pas de bénéfices, en cas de double usage » …
Daniel Thomas et le CNCT voient deux freins à la réduction des risques par la cigarette électronique. Il estime qu’en cas de double usage, c’est le cas des vapofumeurs, « il n’y a pas de bénéfices à attendre en réduction de risque, surtout sur les maladies cardiovasculaires. » Enfin, il redoute des effets sympathomimétiques (stimulation du système nerveux sympathique) et catécholergiques pour les vapoteurs cardiaques, surtout avec les e-cigs de dernière génération, qui diffusent mieux la nicotine. Des positions contre lesquelles Jacques Le Houezec s’inscrit en faux. « Daniel Thomas se trompe sur la rapidité d’absorption de la nicotine avec les vaporisateurs personnels de dernière génération, et que la tolérance aux effets de la nicotine chez les fumeurs est très importante. Si ces effets sont théoriquement possibles, ils sont cliniquement peu significatifs » estime le tabacologue et co-organisateur du Sommet de la vape.
Le CNCT soutient totalement l’interdiction de vapoter dans les lieux publics. L’association souhaite que l’on ne puisse pas vapoter là où il est interdit de fumer. Selon elle, il existe un vapotage passif avec passage de nicotine dans le sang des non-fumeurs non-vapoteurs, bien que des études aient démontré le contraire. Enfin, d’un point de vue préventif, le CNCT estime que « l’interdiction de fumer dans les lieux publics a pour objet de “dénormaliser” la consommation de tabac. Ce retour en grâce affiché dans les lieux publics de la dépendance à la nicotine et de sa consommation par le biais de l’usage des cigarettes électroniques va redonner un côté glamour à cette dépendance. »
… mais « un produit sans doute très intéressant »
Concernant l’encadrement légal de la cigarette électronique, Daniel Thomas voit la TPD d’un bon œil. « Dans le rapport du Royal College of Physicians, ils disent très bien que la difficulté c’est de ne pas freiner l’évolution de ce produit, qui est sans doute très intéressant. Et en même temps de ne pas le laisser partir n’importe comment sans qu’il y ait de régulation de qualité, se justifie-t-il. La TPD va valoriser le produit puisque ça va le fiabiliser, c’est mon avis. Que ce soit un peu restrictif, que ça favorise l’industrie du tabac, oui peut-être, mais à nous de veiller à ce que ça ne se passe pas comme ça, car c’est une menace. »
[1] La cigarette électronique, leurre ou panacée ? Marie-Noëlle Blessig, © AFP – 30 déc. 2010