Par quoi faire entrer les débutants dans la vape ? Aujourd’hui, tout shop a à disposition deux grandes familles de matériel : le combo box et atomiseur à connexion 510, et les pods tout-en-un. Chacun a ses avantages et ses inconvénients. Nous avons demandé aux shops de nous expliquer leurs préférences. Et la conversation a pris un tour inattendu.
Propriétaire contre 510
En simplifiant beaucoup les choses, on peut considérer qu’il y a aujourd’hui deux grands formats dans la vape : le format propriétaire, où la batterie et l’atomiseur vont ensemble et ne peuvent être dissociés, et le format 510, du nom du pas de vis, constitué d’une batterie, généralement une box réglable, et d’un atomiseur.
Les avantages de ce dernier système sont de pouvoir constituer un kit sur mesure, de conserver l’atomiseur lorsque la batterie est hors d’usage, d’offrir plus de personnalisation du style de vape, et surtout, en général, une bonne autonomie.
En comparaison, le pod est simple d’utilisation : on y installe une résistance de la puissance qui correspond à sa vape, habituellement entre deux et trois choix, on règle l’arrivée d’air lorsque cela est possible, et il n’y a plus qu’à vaper. Les inconvénients : si le style de vape ne plaît pas, il faut changer le système entier et, surtout, une autonomie qui va souvent, pour les gros fumeurs, du ridicule à la sinistre plaisanterie.
Alors, que choisir de conseiller ? Nous avons fait le tour de quelques boutiques, pour essayer de trouver la réponse. Et alerte divulgâchage : ici, il n’y aura pas d’avis définitif et tranché, mais de quoi alimenter la réflexion.
En parlant avec beaucoup de professionnels, nous nous sommes rendu compte que le débat purement matériel, qui était le sujet initial de l’article, était en réalité stérile si l’on ne rentrait pas dans la peau du primo. Et même si des professionnels ont la parole, une grande partie ici est une synthèse des observations de nombreux conseillers sur le terrain, sans pouvoir en citer un nommément. Merci donc à toutes celles et tous ceux qui nous ont accordé un peu de leur temps.
Un tour en boutique
Un client classique entre en boutique. Il veut une cigarette électronique pour arrêter de fumer, mais quelque chose de pas trop cher et de pas trop gros pour commencer. Il fume un paquet par jour.
Là va se poser le dilemme : ce qu’il lui faut, c’est un kit, avec un réservoir qu’il ne va pas passer sa journée à remplir, et une batterie qui ne va pas le laisser en rade avant la pause déjeuner. Ce qu’il veut, sans le savoir, c’est un pod.
Une parenthèse sur le réservoir : les vendeurs interrogés ont constaté que le fait de remplir régulièrement son réservoir avait tendance à inquiéter les défumeurs. Plus souvent il aura besoin de compléter son niveau de liquide, plus il aura l’impression de “vaper beaucoup”, ce qui, pour un vapoteur expérimenté, ne veut plus rien dire, mais pour un débutant, donne l’impression (trompeuse) de vapoter plus qu’il ne fumait.
Impression renforcée par le fait de recharger souvent sa batterie. Et on vient sur un point délicat : l’expérience des conseillers dans les boutiques de vape.
Un peu de psychologie
Derrière les comptoirs des boutiques de vape, on trouve des conseillers, parfois spécialisés dans un domaine précis, parfois généralistes, parfois très bien formés sur les addictions, mais qui partagent dans leur immense majorité un point commun : ils sont vapoteurs. Généralement, ils sont vapoteurs depuis quelque temps, et, de surcroît, ils ont accès à un vaste choix de matériel.
Lorsqu’un primovapoteur soulève une objection ou pose une question, c’est fréquemment un problème qui n’en est pas un pour le conseiller, qui sait que ce problème est résolu ou n’en est pas vraiment un. Seulement, c’est tellement une évidence pour lui qu’il ne parvient plus à se mettre à la place du primovapoteur, ou, du moins, à considérer ledit problème avec la même valeur que lui accorde le primo.
Exemple typique : un fumeur qui consomme une quinzaine de cigarettes par jour entre dans une boutique de vape. Son choix se porte sur un pod : c’est facile, simple, pas cher. Seulement, le conseiller sait qu’il n’aura pas assez de batterie pour tenir la journée. Solution simple : acheter deux pods, pour avoir deux batteries. De toute façon, il faut toujours une vape de secours, et puis, dans une semaine, avec l’économie réalisée sur le tabac, l’achat sera amorti. C’est évident, oui, mais que pour le conseiller.
Parce que le futur primo ne sait rien de tout ça. Il a sans doute essayé plusieurs fois d’arrêter, a dépensé une fortune en patchs, en hypnotiseur, a acheté et appris par cœur le bouquin d’Allen Carr, et il fume toujours. Selon la période du mois où on est, son budget est déjà grevé par les cigarettes qu’il a achetées, mais il compte aussi celles qu’il aura besoin d’acheter avant la fin du mois.
Et un soupçon de confiance
Le conseiller sait que son budget tabac va passer de douze euros par jour à zéro, mais le fumeur, lui, ne le sait pas. Il prend le risque de venir dépenser une trentaine d’euros, et on lui explique qu’il va falloir dépenser le double pour avoir un espoir. Ce sont soixante euros dont il pourrait avoir besoin en fin de mois, pour mettre de l’essence dans le véhicule qui lui sert à aller travailler ou nourrir sa famille.
Un élément qui semble essentiel à comprendre pour s’immiscer dans la tête d’un primovapoteur, c’est la confiance en soi, ou plutôt l’absence de confiance en soi, et aussi dans l’autre.
Un fumeur qui tente la vape à la motivation d’arrêter de fumer. Et ce n’est sans doute pas sa première tentative. Mais il est certainement également entouré de fumeurs, dont certains ont fait les mêmes tentatives que lui, alors qu’il a échoué. Un oncle, à table, à Noël, qui explique qu’il a arrêté de fumer grâce à la volonté. Un collègue de travail qui, lui, n’a plus touché une cigarette grâce aux patchs. Un autre qui a été consulter un acupuncteur.
Sur ces conseils, le fumeur va donc tenter la volonté, puis les patchs, puis l’acupuncture, et échouer là où les autres ont réussi. Subséquemment, il va développer un complexe : il n’est pas capable de faire ça, arrêter de fumer, et, sans doute, le tabac finira par le tuer et/ou le ruiner.
D’ailleurs, ce manque de confiance en soi porte sur ce point précis, et ne concerne absolument pas la confiance en lui que le fumeur peut avoir. Il peut être un vrai gagnant dans la vie, tout réussir, et quand même éprouver ce manque de confiance en soi sur ce sujet précis. C’est même pire : moins il a l’habitude de faire l’expérience du manque d’assurance, plus il aura du mal à l’exprimer.
On pourra observer qu’acheter deux pods revient tout de même un peu moins cher que d’acheter un kit, mais là encore, l’effet est psychologique : en achetant un kit, il se dit que ça revient un peu plus cher que ce qu’il pensait, alors qu’en achetant deux pods, il pense acheter en double quelque chose qui ne lui sera peut-être pas utile. Cela semble étrange, mais… C’est avéré, en discutant avec des clients en boutique.
Donc, les contraintes à résoudre ne sont pas seulement techniques : la solution apportée au primo ne peut se contenter d’être pragmatique, elle doit ensuite être confrontée à la psyché du futur défumeur. Cette psyché que le conseiller a partagée durant les premières heures de sa vie de vapoteur, mais qu’il a, la plupart du temps, occultée.
Cette longue partie posée, reste la question : kit ou pod ?
Choisir la nicotine, pas le matériel
Pour Thomas Cornec, chef des ventes de Cigatec, la question sur le matériel est en réalité secondaire. “Nous, ce qu’on fait avec les débutants, c’est leur faire tester du 10 mg/ml puis du 15, puis du 18, en MTL (en leur montrant comment on vape en inhalation indirecte – beaucoup ont testé seulement en DL avec les potes), puis en DL. Et on leur met le plus fort qu’ils encaissent afin de les saturer le plus efficacement possible. Si même le 10 mg/ml ne passe pas (MTL ou DL), on fait tester des sels. Mais, en jouant avec les taux, les puissances et les airflows, en général, on réussit à les passer à un minimum de 15 mg/ml. Et, selon les sondages qu’on fait tous les deux ans, c’est le seuil à partir duquel on a une chance de les faire décrocher de la clope. En dessous de 15, ça tient du miracle de quitter durablement la clope. Ça arrive, mais c’est rare.”
Jusqu’ici, la question du matériel a été complètement mise de côté. Elle arrive dans un second temps, en tant qu’objet, pas comme sujet. “En fonction des tests de taux de nico, on les oriente vers un kit ou un pod en restant dans une autonomie nécessaire à leur journée de vape. Et, s’il y a un budget max à ne pas dépasser, notre job est de réussir à trouver tous les points précédents rentrant dans le budget demandé.”
Il y a des caractéristiques qui se dégagent : “Les pods sont souvent pour ceux qui viennent des puffs ou les petits fumeurs. Parfois aussi pour les petits budgets (mais, venant du tabac, on trouve toujours un kit rentrant dans le budget).”
L’objectif final est donc clair : “Grosso modo : on trouve ce qui a le plus de chance de réussir à faire quitter le tabac. Si possible, on reste dans le format souhaité, quitte à proposer deux pods s’ils veulent un petit appareil, mais une grosse autonomie. L’objectif qui surpasse tous les objectifs et toutes les demandes, c’est : qu’est-ce qui a le plus de chance de marcher avec la personne en face de nous. Peu importe toute autre considération.”
Les pods, oui mais…
Audrey Le Fur, directrice et fondatrice de Ô Mon VapO, est nuancée sur les pods. “Il y a une différence entre ce qu’on aimerait vendre et ce qu’on vend. On aimerait vendre des kits, mais on vend des pods.”
Les raisons à cela sont simples : “Simplicité, prix, on peut les comprendre. Mais, du point de vue du consommateur, je soulève deux ‘mais’ : le prix psychologique, tout d’abord. Moins on paie son matériel cher, moins on s’implique dans son processus de sevrage tabagique. C’est exactement comme chez le psy. Ensuite, de moins en moins de pods ont des résistances remplaçables, ce sont des réservoirs entiers qu’il faut changer. Et beaucoup de plastique qu’il faut jeter. Ça nous ennuie, mon équipe et moi, mais ça ennuie aussi les clients. C’est peut-être un message à passer aux fabricants.”
Il y a un autre “mais”, pour les boutiques de vape cette fois-ci : “Avec la vente de pods, au niveau de la marge et du chiffre d’affaires, on prend cher, sans mauvais jeu de mots. C’est réellement impactant, ce qui peut jouer sur la vie de nos entreprises, et donc de la vape indépendante.”
Kit vs pods : le verdict
À la question : que vendez-vous au primo qui vient arrêter de fumer, un kit ou un pod, la seule conclusion que nous pouvons tirer de la vingtaine d’échanges que nous avons eus avec des professionnels sur le sujet, c’est : aucune importance.
Ce qui est important, au final, c’est que l’aspirant à l’arrêt du tabac parte avec le bon taux de nicotine et la meilleure façon pour lui de la consommer. D’où l’importance d’avoir les deux à proposer.
Mais ce qui ressort avant tout, c’est que le plus important, dans une boutique de vape, ce n’est pas ce que vous mettez dans vos vitrines, mais qui vous placez derrière le comptoir.
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