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« Nazis », « Fascistes »… Quand les grandes industries s’en prennent aux scientifiques

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Lorsque la science menace les intérêts de grands secteurs industriels, les réactions ne manquent pas. Et les choses vont parfois très loin.

Chercheur, un métier à risque ? 

Face à la science, les grandes industries ne restent pas les bras croisés lorsque leur gagne-pain est menacé.

Dans notre société, les intimidations sont malheureusement monnaie courante. Qu’il s’agisse d’une mauvaise rencontre dans la rue, ou d’une pression exercée dans le cadre professionnel ou familial, tout le monde peut être victime d’un acte d’intimidation à un moment de sa vie. Les scientifiques n’échappent pas à cette règle, loin de là. Il y a quelques jours, une équipe composée de six chercheurs a publié une étude1 sur le sujet. Leur objectif était de mettre en lumière les intimidations dont peuvent être victimes certains scientifiques lorsque les conclusions de leur travail dérangent de grandes industries, comme celle du tabac, de l’alcool, ou encore des aliments ultra-transformés.

Pour explorer ce sujet, les chercheurs ont répertorié tous les papiers scientifiques qui faisaient mention de cas d’intimidation. Après avoir supprimé les doublons et rejeté les documents qui n’entraient pas dans leurs critères d’inclusion, ils se sont retrouvés avec 64 sources différentes. Près des deux tiers étaient des articles évalués par des pairs, et les 35,9 % restants, diverses sources, comme des articles de journaux ou de blog, mais également un séminaire, une étude de cas, un livre, ou encore un communiqué de presse.

Parmi les formes d’intimidations subies par les chercheurs, dix principales ont été retenues :

  • Le discrédit public : la forme d’intimidation la plus courante, qui consiste à critiquer publiquement les auteurs de recherches, ou les recherches elles-mêmes. Parmi les incidents documentés par ce travail, plusieurs termes ont été relevés pour avoir été utilisés contre les chercheurs. Parmi eux, les « fascistes », les « extrémistes », les « nazis », les « démons de l’excès de zèle et de la droiture morale », les « prohibitionnistes », ou encore les « zélotes ». Pour l’alcool, des termes comme « nannyistes » ont été utilisés, tandis que le secteur alimentaire préférait des mots comme « fascistes alimentaires » ou encore « Gestapo gastronomique ». La religion était aussi attaquée, parfois, avec des termes comme « djihad anti-alimentaire » ou encore « djihadistes de la santé ». Parmi les autres stratégies utilisées dans le cadre du discrédit, le fait de critiquer les chercheurs sur leurs capacités à traiter le sujet. Certains ont ainsi été traités de « faux », d’être « indignes de confiance », « fous », ou encore d’être « avides d’argent », de véritables « abreuvoirs financés par des fonds publics ».
  • Les menaces et actions en justice : cette stratégie est particulièrement utilisée par Big Tobacco, mais pas seulement. Les scientifiques parlent par exemple d’un cas en Colombie, où il a été légalement interdit à un groupe de défense des consommateurs de parler publiquement des effets néfastes du sucre sur la santé. En Suisse, un groupe de défense a quant à lui été poursuivi, et avec succès, pour avoir simplement traduit le titre d’un rapport rédigé par l’entreprise qu’elle ciblait.
  • Les plaintes auprès des autorités : là encore, il s’agit d’une méthode principalement utilisée par l’industrie du tabac. Celle-ci dépose des plaintes auprès d’organismes gouvernementaux contre des recherches sur ses produits. L’industrie alimentaire, quant à elle, faisait pression en expliquant aux chercheurs que les financements de l’OMS seraient coupés s’ils ne modifiaient pas leurs recommandations. Une affirmation qui pose une nouvelle fois question quant à la neutralité de l’Organisation mondiale de la santé.
  • Les plaintes à l’endroit de la personne ou de l’organisation : six cas ont été recensés, tous en rapport avec l’industrie alimentaire, sauf une, qui concernait le tabac. Les pressions consistaient par exemple à envoyer une critique détaillée de la recherche, à demander les données originales utilisées afin de réaliser des analyses « appropriées », ou encore un courrier qui demandait directement aux chercheurs d’arrêter leur travail ou de modifier leurs conclusions.
  • La surveillance : si cette méthode a été principalement utilisée par Big Tobacco dans les années 90, elle continue parfois de l’être aujourd’hui. Les chercheurs rapportent par exemple le cas du membre d’une organisation en Colombie, qui a été suivi et dont les appareils (téléphones et ordinateurs) ont été mis sur écoute. Des écoutes qui se sont également produites au Mexique chez des défenseurs travaillant sur une augmentation des taxes sur les boissons sucrées dans le pays. Un cas plus inquiétant encore a été rapporté, celui de chercheurs ayant reçu des appels téléphoniques anonymes, dont l’interlocuteur indiquait suivre les enfants des chercheurs jusque chez eux, après leur sortie de l’école.
  • Les demandes d’accès à des informations supplémentaires : là encore, l’industrie du tabac est en tête de liste de celles qui utilisent cette méthode. Les auteurs de l’étude la décrivent comme étant utilisée pour retarder le travail des scientifiques dont les trouvailles leur sont défavorables, ou encore pour s’informer des tâches réalisées afin de mettre en place une « feuille de route que l’industrie a utilisée pour planifier ses attaques ». À noter toutefois : une demande d’informations peut être tout à fait légitime, ne serait-ce que pour reproduire une étude dont les résultats semblent incorrects. Mais ce procédé a toutefois été classé comme une forme d’intimidation par les chercheurs.
  • Les violences physiques réelles ou menaces de violences physiques : ces événements se produisent majoritairement hors de l’Europe et des États-Unis. Au Nigéria, par exemple, en 2012, un éminent défenseur de la lutte antitabac, et ses enfants ont été menacés directement chez eux, par des hommes armés (par la suite abattus). Au Népal, des menaces de mort ont été reçues par des défenseurs de la lutte antitabac, tout comme en Colombie et au Mexique, pour des personnes qui plaidaient en faveur d’une augmentation des taxes sur les boissons sucrées. Une liste non exhaustive des nombreux cas recensés dans l’étude, dont aucun n’a jamais été relié à une ou plusieurs entreprises précises.
  • La corruption : trois cas ont été recensés, deux au Népal et un en Inde. Tous concernant l’industrie du tabac.
  • Les cyberattaques : deux cas ont été rapportés, mais il ne s’agit que de cyberattaques « présumées », notamment à l’aide de logiciels espions.
  • Les cambriolages : le seul vol de ce type a été réalisé dans des locaux regroupant plusieurs ONG de lutte antitabac au moment de la dernière révision de la TPD. Au cours de ce cambriolage, des ordinateurs portables contenant des fichiers confidentiels ont été dérobés. Personne n’a jamais été appréhendé.
  • D’autres types de menaces non répertoriés parmi les dix sus-cités.

L’impact de ces menaces

Bien que près de 40 % des sources rapportant des cas d’intimidation n’ont pas discuté de leurs répercussions, parmi celles qui l’ont faite se trouvaient plusieurs conséquences.

Concernant les menaces d’actions en justice, les plaintes, le discrédit public ou encore les demandes d’accès aux informations, les chercheurs ciblés auraient vu leur temps et leurs ressources réduites pour poursuivre leur travail. Les cyberattaques empêchaient quant à elles physiquement les chercheurs de poursuivre leurs travaux, puisque leurs ordinateurs étaient inutilisables. Les actions en justice ont également permis l’arrêt des recherches et l’abandon de la mise en place de certaines politiques défavorables aux industries ciblées. Et lorsque les politiques ont bien été mises en place, elles l’ont été bien plus tardivement que prévu à l’origine.

Enfin, certains chercheurs ont été jusqu’à retirer leur nom des recherches qu’ils ont réalisées, lorsque d’autres se sont contentés de se montrer moins « radicaux » contre les industries qu’ils ciblaient, et qui les ciblaient. Dans les cas les plus extrêmes, certains chercheurs ou défenseurs ont déménagé ou engagé du personnel de sécurité.

Les plus déterminés ont quant à eux utilisé ces menaces pour lutter contre les industries incriminées, notamment en les dénonçant dans les médias ou encore en déposant des plaintes auprès de la justice.

Dans leurs conclusions, les chercheurs notent que la « surreprésentation » de l’industrie du tabac est probablement due à la disponibilité de documents internes révélés au cours des nombreux procès ayant eu lieu dans les années 90, et que la sous-représentation de l’industrie de l’alcool pourrait être le résultat de son « meilleur comportement », ou tout simplement d’un manque de preuves actuellement disponibles.

Une étude intéressante, mais incomplète

Bien que cette recherche soit intéressante et utile à bien des égards, notamment car elle permet de se rendre compte des pressions exercées sur certains chercheurs lorsque leur travail va à l’encontre des objectifs de grandes industries, il convient toutefois de la considérer avec une certaine prudence.

D’abord, parce que le fait de demander des informations ou des données à des chercheurs ayant réalisé une étude est un procédé normal lorsqu’on souhaite reproduire soi-même cette étude dont les résultats paraissent erronés. Si les auteurs de ce travail ont catégorisé cette pratique comme étant intimidante, elle fait, en réalité, partie intégrante du travail scientifique.

Ensuite, parce que s’il peut être intimidant d’être victime de plaintes ou d’actions en justice, le fait est que, dans certains cas, ces actions peuvent être justifiées. L’industrie du vapotage en est le parfait exemple. Nous ne comptons plus le nombre d’études biaisées, erronées, et parfois même malhonnêtes, qui ont été publiées au sujet de la cigarette électronique. Une pratique que l’on retrouve forcément dans toutes les industries, dont certains membres peuvent simplement chercher à se défendre à travers un dépôt de plainte ou une action judiciaire.

Enfin, parce que ce travail ne reflète qu’une partie de la réalité. D’abord, parce que ses auteurs ont recherché des articles publiés entre 2000 et 2021, mais dont les faits rapportés peuvent remonter bien plus loin, et représentent donc des pratiques qui ne sont (peut-être) plus d’actualité. Ensuite, parce que les chercheurs n’ont pas examiné les études dont les auteurs ont été intimidés d’une manière ou d’une autre. Et peut-être que, dans certains cas, les plaintes et autres actions judiciaires étaient parfaitement justifiées.


1 Karen A Evans-Reeves, Britta K Matthes, Phil Chamberlain, Nino Paichadze, Anna B Gilmore, Melissa Mialon, Intimidation against advocates and researchers in the tobacco, alcohol and ultra-processed food spaces: a review, Health Promotion International, Volume 39, Issue 6, December 2024, daae153, https://doi.org/10.1093/heapro/daae153