Au Japon, sans aucun plan anti-tabac, la consommation de cigarettes s’effondre au profit des systèmes de réduction des risques. Un laboratoire à ciel ouvert ? Rien n’est moins sûr, pour une simple question de civilisation.
Le Japon, paradis du fumeur
C’est un rapport préliminaire qui pourrait faire croire que le Japon est en pointe dans la lutte contre le tabagisme : la vente de cigarettes s’effondre au Japon, tant en nombre d’unités vendues, qu’en terme de revenus. Ainsi, Japan Tobacco accuse une baisse de ses ventes en mars 2018 de 14,5 %, sur un marché global japonais qui subit lui aussi une baisse de 13,9 % par rapport à 2017.
Au mois de mars 2017, déjà, Japan Tobacco avait perdu 20,4 % dans un marché en baisse de 16,4 % en comparaison avec la même période en 2016.
Pourtant, le Japon fait figure d’exception en matière de lutte contre le tabagisme : il n’y en a pas. Ou presque pas : quelques timides avancées ont été faites, en prévision des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020. Par avancées, il faut entendre interdiction de fumer dans les endroits publics, mais de façon plus timorée qu’en Europe. Par exemple, l’interdiction de fumer au restaurant ne concernerait que les établissements de plus de 30 mètres carrés, très minoritaires au Japon, et ceux-ci seraient autorisés à avoir un fumoir.
A noter aussi qu’un nombre certain de localités (plus de 230) ont interdit de fumer dans la rue. Souci de santé publique ? Pas du tout, ou du moins, pas au sens où on l’entend : cette décision a été prise au nom de la lutte contre les incendies, et pour des motivations ayant trait aux « bonnes manières ».
Les divers projets de loi pour contrer le tabagisme, aussi timides qu’ils soient, font toujours l’objet d’une forte opposition, que ce soit des politiques, des lobbys, et même de la population, bien que le tabac tue 130 000 personnes chaque année au pays du soleil levant.
La dernière mesure effective en termes de lutte contre le tabagisme au Japon portait sur une augmentation de prix « retentissante » de 30 % des cigarettes, portant le tarif à 500¥ (3,80 euros) en l’an 2000. Un simple message informatif figure par ailleurs sur le paquet, mais ni images choquantes ni paquet neutre ne sont envisagés. Seul point sur lequel le Japon ne transige pas : la vente aux mineurs. Il est impossible d’acheter un paquet de cigarettes sans avoir d’abord prouvé son âge.
Paradoxalement, la vape y est très sévèrement contrôlée, la vente de e-liquides nicotinés étant purement et simplement interdite.
Des chiffres à interpréter
L’effondrement des ventes de Japan Tobacco dans l’archipel nippon pourrait donc être vu comme une manifestation spontanée de santé publique, les citoyens s’emparant eux-même du sujet. Rien de plus faux : c’est nier les spécificités culturelles du Japon.
En réalité, c’est un remplacement d’une habitude par une autre : l’iQos voit ses ventes exploser au pays du soleil levant, suite à une émission de télévision dont nous nous étions fait l’écho.
Ce succès est lié à des aspects autant pratiques que civilisationnels. Les aspects pratiques étant détaillés dans notre article précédent, détaillons les aspects civilisationnels.
La culture japonaise est basée sur l’acceptation sociale et la compétition. Ainsi, l’iQos est perçue comme une mode dont les consommateurs s’emparent parce que leur groupe social s’en empare. Les consommateurs d’iQos, d’ailleurs, l’utilisent en parallèle avec la cigarette à combustion, tout en diminuant leur consommation de cette dernière. C’est donc principalement un facteur d’acceptation sociale typiquement nippon qui prévaut, plutôt qu’un souci de santé individuel.
“La fascination du Japon : Idées reçues sur l’archipel japonais” de Philippe Pelletier – éditions Le Cavalier Bleu
“Introduction à la culture japonaise” Hisayasu Nakagawa – Presses Universitaires de France
“Histoire du Japon et des Japonais. 2. De 1945 à nos jours” de Edwin O. Reischauer – éditions du Point “histoire”
Le Japon n’est pas le laboratoire de l’Europe
Il existe certes une proximité entre le Japon et l’Europe, du fait des échanges commerciaux et culturels. Mais il ne faut pas perdre de vue un point essentiel : l’archipel nippon et les pays occidentaux relèvent de deux civilisations radicalement différentes. Ces facteurs civilisationnels impliquent, pour chacun, un mode de pensée et de raisonnement sans point de comparaison.
Ce serait donc une grave erreur de considérer que, si ça fonctionne au Japon, alors cela peut fonctionner en Suisse, en Allemagne, en France… La façon dont est considéré le produit, et donc les motivations d’achat et d’utilisation, sont aux antipodes l’une de l’autre.