Des millions de personnes vapotent quotidiennement dans le monde, mais peu connaissent l’impact potentiel de leur cigarette électronique sur le sommeil. Entre idées reçues et réalités scientifiques, que disent vraiment les études sur la nicotine et nos nuits ?
- La nicotine, pas le vapotage en lui-même, influencerait le sommeil : elle réduit le temps total de sommeil, diminue le sommeil paradoxal (REM) et rallonge la latence d’endormissement.
- Les patchs de nicotine ont révélé les premiers effets négatifs : administrée en continu la nuit, la nicotine perturberait l’architecture du sommeil.
- Les études sur le tabagisme confirment l’impact : EEG modifiés, sommeil moins profond et difficultés d’endormissement, avec une relation dose-dépendante.
- Aucune recherche directe sur le vapotage : mais les données disponibles suggèrent que réduire la nicotine ou éviter de vapoter avant le coucher peut améliorer la qualité des nuits.
Patchs de nicotine : les premières preuves scientifiques
Vous avez du mal à trouver le sommeil ? Vous êtes victimes de réveils intempestifs au cours de la nuit ? La cigarette électronique pourrait-elle être responsable de la mauvaise qualité de votre sommeil ? Nous allons voir que oui… et non ! En fait, ce n’est pas le vapotage qui pourrait influer sur la qualité de votre sommeil, mais plutôt la nicotine que peuvent contenir les e-liquides.
La nicotine étant une substance largement étudiée par la science, les recherches à son sujet ne manquent pas. Parmi elles, plusieurs se sont intéressés à ses effets sur le sommeil. Et toutes convergent dans une même direction : la nicotine influence le sommeil et sa qualité.
Les premiers travaux sur les effets de la nicotine sur le sommeil remontent au début des années 90. À l’époque, les recherches s’intéressaient principalement à la nicotine administrée de manière transdermique, notamment par le biais des patchs. L’une des études pionnières sur le sujet a été réalisée en 1994. Baptisée Acute effects of transdermal nicotine on sleep architecture, snoring, and sleep-disordered breathing in nonsmokers1, elle a consisté à recruter vingt sujets non-fumeurs ayant des antécédents habituels de ronflements. Dix d’entre eux ont reçu un patch de nicotine dosé à 11 mg, et les dix autres, un placebo. Le patch était appliqué à 18h puis retiré à 6h le lendemain.
Durant la nuit, plusieurs techniques ont été utilisées afin d’évaluer la qualité du sommeil et son architecture. Dans leurs conclusions, les chercheurs ont indiqué que la nicotine transdermique avait diminué le temps total de sommeil de 33 minutes, l’efficacité du sommeil, et le temps de sommeil REM (Rapid Eye Movement, également appelé sommeil paradoxal). Ce dernier correspond à la phase de sommeil où surviennent les rêves les plus intenses et qui joue un rôle crucial dans la récupération mentale et la consolidation de la mémoire.
La latence d’endormissement initial aurait quant à elle été prolongée. Des résultats confirmés la même année par une autre recherche2.
Il existe toutefois une différence majeure entre les patchs de nicotine et le vapotage. Alors que les patchs libèrent de la nicotine en continu tout au long de la nuit, le vapotage le fait sur une plus courte durée. Quid de son effet sur le sommeil ?
Tabagisme et sommeil, des leçons pour le vapotage ?
À l’heure actuelle, aucune étude fiable ne s’est spécifiquement penchée sur les effets du vapotage pour la qualité du sommeil. En revanche, certains travaux se sont intéressés au tabagisme. Bien que vapotage et tabagisme soient très différents, ces recherches représentent actuellement les meilleurs indices quant à d’éventuels méfaits du vaporisateur personnel sur le sommeil.
L’une des premières recherches3 à ce sujet remonte à l’année 1980. À l’époque déjà, ses auteurs concluaient que les fumeurs avaient plus de difficultés à dormir que les non-fumeurs. Ils soulignaient également que les habitudes de sommeil de huit fumeurs qui avaient arrêté de fumer s’étaient améliorées.
En 2006, un autre travail4 a recruté 40 fumeurs et 40 non-fumeurs. Tous ont été équipés à domicile afin de pouvoir évaluer l’architecture de leur sommeil et réaliser une analyse spectrale de leur EEG (Électroencéphalogramme, une technique d’enregistrement de l’activité électrique du cerveau). Dans leurs conclusions, les auteurs ont indiqué que, si l’architecture du sommeil des deux groupes était similaire, l’activité du cerveau des fumeurs était bien différente. Pour eux, les EEG auraient effectivement démontré une augmentation des fréquences alpha (8-12 Hz, associées à l’éveil), et une réduction des fréquences delta (4-7 Hz, associées au sommeil profond). Des changements qui suggèrent, là encore, une qualité de sommeil réduite lorsqu’on consomme des cigarettes.
Une relation dose-dépendante qui semble confirmée
Plus récemment, en 2024, une équipe de scientifiques turcs s’est intéressée à la qualité perçue du sommeil chez des fumeurs consultant pour un sevrage tabagique dans une clinique située à Ankara.
Les 280 participants à cette étude5 ont rempli deux questionnaires. Le premier était le test de Fagerström (Fagerstrom Test for Nicotine Dependence), utilisé pour contrôler la dépendance à la nicotine. Le second, appelé Pittsburgh Sleep Quality Index, pour évaluer la qualité du sommeil.
Après analyse des données, les chercheurs ont démontré que la mauvaise qualité du sommeil augmentait de 1,22 fois pour chaque augmentation du nombre de points du test de Fagerström. Autrement dit, plus les participants étaient dépendants à la nicotine, moins ils dormaient correctement.
Si aucune étude n’a encore spécifiquement étudié l’impact du vapotage sur le sommeil, les recherches sur la nicotine convergent : cette substance perturbe l’architecture du sommeil et sa qualité perçue. Pour les vapoteurs souffrant de troubles du sommeil, réduire le taux de nicotine ou éviter de vapoter dans les heures précédant le coucher pourrait améliorer les nuits.
Sources et références
1 Davila, D. G., Hurt, R. D., Offord, K. P., Harris, C. D., & Shepard, J. W. (1994). Acute effects of transdermal nicotine on sleep architecture, snoring, and sleep-disordered breathing in nonsmokers. American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, 150(2), 469-474. https://doi.org/10.1164/ajrccm.150.2.8049831.
2 Gillin, J. C., Lardon, M., Ruiz, C., Golshan, S., & Salin-Pascual, R. (1994). Dose-dependent effects of transdermal nicotine on early morning awakening and rapid eye movement sleep time in nonsmoking normal volunteers. Journal of Clinical Psychopharmacology, 14(4), 264-267. DOI indisponible.
3 Soldatos, C. R., Kales, J. D., Scharf, M. B., Bixler, E. O., & Kales, A. (1980). Cigarette smoking associated with sleep difficulty. Science, 207(4430), 551-553. https://doi.org/10.1126/science.7352268.
4 Zhang, L., Samet, J., Caffo, B., Bankman, I., & Punjabi, N. M. (2008). Power spectral analysis of EEG activity during sleep in cigarette smokers. Chest, 133(2), 427–432. https://doi.org/10.1378/chest.07-1190.
5 Özkan, S., & Özkan, S. (2024). The association between nicotine dependence and sleep quality in patients referred to a smoking cessation outpatient clinic: A cross-sectional study. Tobacco Induced Diseases, 22, 139. https://doi.org/10.18332/tid/194170.