Une étude allemande dont j’avais déjà parlé en juillet dernier vient de refaire surface sur le web. J’ai encore du mal à comprendre pourquoi certains sites web en parlent aujourd’hui mais je soupçonne que le document complet vient d’être publié officiellement et qu’il provoque certaines réactions. Une conférence récente sur le cancer à Heidelberg semble être également la cause de ce petit remue-ménage scientifique.
Toujours est-il que cette étude [1], dont vous trouverez les références plus bas, avait porté sur l’analyse comparative de la qualité de l’air dans une pièce exposée à la fumée de cigarette puis à celle de la vapeur d’une cigarette électronique.
L’expérience avait montré que la vapeur émise par la cigarette électronique était bien moins nocive que celles des cigarettes et que la majorité des polluants détectés dans la fumée exhalée par le fumeur de cigarettes n’était pas présente dans la vapeur générée électroniquement. Les principaux éléments détectés dans l’air concernaient le propylène glycol, la glycérine végétale ainsi que des composants liés aux agents de saveur et de la nicotine.
Ces quantités ont suffi à susciter l’excitation des sites d’information friands de nouvelles croustillantes ainsi que des groupes anti-tabac, dont l’association pour les droits des non-fumeurs américains[2], à la recherche d’éléments pouvant contredire le bienfait que peut apporter la cigarette électronique chez les fumeurs. A l’opposé, les groupes de défense de l’e-cigarette ont vu dans cette étude une énième confirmation qu’il s’agissait bien là d’une alternative plus saine à la cigarette.
Selon Schripp, la vapote passive est bien réelle
La double exploitation médiatique des résultats provient du fait que les chercheurs à l’origine de cette étude ont certes montré que la vapeur d’une e-cigarette était bien moins nocive que la fumée d’une cigarette, mais qu’une vapeur passive était néanmoins à considérer pour l’entourage du vapoteur. Le vapotage passif était né.
Pour tirer cette conclusion, Schripp s’est basé sur la nature et le diamètre des particules analysées et leur durée de vie dans l’air.
Après une séance de vape, des particules qualifiées de fines et ultra-fines sont bien présentes dans l’air. Ces composés organiques volatiles (VOC) représentent pour lui une source de pollution de l’air intérieur. Mais cela n’indique pas vraiment quels sont les risques réels auxquels s’expose la personne se trouvant dans la même pièce qu’un vapoteur.
Pour l’équipe du Projet Clearstream, il n’y a pas de quoi s’affoler
Un autre groupe de recherche, cette fois d’Italie et financée en partie par une société qui produit des e-liquides (Flavourart) avait conclu la même chose que Schripp en septembre dernier [3].
Pour eux la vapote passive existe bien aussi, sauf qu’ils précisent qu’elle n’expose pas les personnes à des particules toxiques ou cancérogènes.
Mais ce qui m’intéresse dans cette histoire, ce n’est pas tant la vapote passive, car même si elle me parait bien réelle à en lire les différentes études, les matières concernées sont assez bien connues et puis je n’utilise pas ma cigarette électronique dans les lieux publiques. C’est plutôt cette autre substance qui m’intéresse, le formaldéhyde, et qui avait été parfois détectée en très faible quantité, notamment par Murray Laugesen en Nouvelle Zélande [4].
Même si dans l’étude de Schripp sa concentration dans l’air n’est que de 14% en comparaison au taux détecté dans la fumée de cigarette et bien en dessous des niveaux considérés comme dangereux, le formaldéhyde (ou méthanal) est un élément que j’ai tendance à prendre très au sérieux quand il s’agit de me l’envoyer dans les poumons.
Le formaldéhyde ou méthanal, un produit cancérogène
Le formaldéhyde est un polluant généralement associé à la combustion incomplète de substances contenant du carbone (feux de forêts, gaz d’échappement ..) et appartient aux nombreux composants malheureusement compris aussi dans la fumée du tabac (Baek et Jenkins, 2004; Baker, 2006; Paschke et al., 2002).
Synthétisé pour la première fois en 1855 par Alexander Michailowitsch Butlerow, ce n’est que 1980 qu’il a été officiellement soupçonné d’être cancérogène. Vous trouvez en bas de page un document complet sur les connaissances scientifiques à son sujet. En Union Européenne la directive 2001/58/CEE le classe comme un cancérogène probable pour l’être humain et le CIRC (Centre international de Recherche sur le Cancer) définie l’exposition maximale pour l’être humain à 0,5 ppm (partie par million) [5].
La présence de formaldéhyde dans la vapeur des cigarettes électroniques pourrait provenir selon Ohta et al. (4bis) de l’oxydation du propylène glycol lors de son contact direct avec la résistance/mèche. Mais l’équipe de Schripp n’a pas pu détecté d’augmentation de formaldéhyde dans la pièce lors de l’utilisation de la cigarette électronique. En revanche, le taux s’est mis à faire un bond quand il a s’agit de faire le test avec une vraie cigarette.
En tous cas c’est une mauvaise nouvelle pour nous car selon Schripp et ses collègues cette substance volatile est bien présente dans l’air pollué par la vapeur d’une cigarette électronique. Mais pas de panique, il y a une nuance importante à prendre en compte.
La présence de formaldéhyde n’a pas été détectée dans la vapeur directement prélevée sur une e-cigarette
Le point qui me parait important et Schripp le dit clairement, c’est que le formaldéhyde a bien été detecté dans l’air de la pièce mais il n’a pas été trouvé dans la vapeur directement extraite (par pompage) sur les cigarettes électroniques utilisées pour le test. Alors comment cela est-ce possible ? Encore une nouvelle aventure alvéolaire en perspective.
En respirant, nous produisons du formaldéhyde
Suite aux commentaires très constructifs de certains lecteurs du blog de Siegel et d’après les recherches que j’ai pu faire, il semblerait que le formaldéhyde soit un composant assez commun dans l’air que nous respirons, car il serait le résultat de nombreuses activités industrielles mais également biologiques, dont la respiration de l’homme (Lindinger W.; Hansel A.; Jordan A. Int. J. Mass Spectrom. Ion Processes 1998, 173, 191.).
Selon un des lecteurs de Siegel (Rursus), le docteur Schripp aurait lui même fait un commentaire au sujet de cette présence de formaldéhyde dans l’air lors d’une conférence au centre de recherche sur le cancer de Heidelberg en juin dernier [6].
Il aurait suggéré que la présence de ce polluant soit la résultante naturelle d’une activité humaine dans la pièce et qu’elle ne soit pas directement liée à la vapeur de la cigarette électronique. Il aurait ajouté également que les premiers signes de concentration auraient commencé à être détectés durant les phases de conditionnement de l’étude.
J’ai pu obtenir confirmation en lisant le document complet de l’étude (merci Randall) dans lequel j’ai retrouvé les propos de Schripp : le formaldéhyde dans la vapeur de la cigarette électronique proviendrait du vapoteur lui même.
Qu’en pense le maitre Yoda ?
Le docteur Siegel, que j’appelle familièrement le maître Yoda de l’e-cigarette tant il en parle bien, a publié un article hier à propos de cette étude.
Mais il ne s’attarde pas trop sur cette question du formaldéhyde, en gros il s’en fout un peu, il ne doit pas vapoter faut dire. Il s’acharne au contraire contre les scientifiques comme Ellen Hahn [7] qui refusent selon lui de voir la réalité des faits.
Pour lui les résultats de cette étude allemande sont assez simples : ils confirment encore une fois que la cigarette électronique est une alternative plus saine au tabac. Pour Siegel les scientifiques qui prétendent aujourd’hui n’avoir pas assez d’éléments en main pour pour juger si l’e-cigarette est moins nocive que la cigarette, sont soit illetrés, soit dépourvus de connexion internet.
Pour ma part je dois dire que je suis bien content d’avoir une connexion internet car cette histoire de formaldéhyde m’avait assez inquiété. Voilà donc une histoire réglée, le formaldéhyde dans la cigarette électronique n’est pas préoccupant.
J’ai passé un temps fou à lire ces documents car le sujet m’intéresse beaucoup, mais n’étant pas de formation scientifique j’espère n’avoir pas fait d’erreurs. Si vous en repérez, n’hésitez pas à m’en faire part.
Bonne vapote à toutes et à tous.
Références
[1] Schripp T, Markewitz D, Uhde E, Salthammer T. Indoor Air 2012. DOI: 10.1111/j.1600-0668.2012.00792.x. et résumé sur le site Fraunhofer : Does e-cigarette consumption cause passive vaping?
[2] Anti-Smoking Group Targets E-Cigarettes – Newtribune
[3] Characterization of chemicals released to the environment by electronic cigarettes use (ClearStream-AIR project): is passive vaping a reality?
[4] Comparison of toxicant levels in mainstream aerosols generated by Ruyan® electronic nicotine delivery systems (ENDS) and conventional cigarette products
[5] Occupational Exposure Limits for Formaldehyde : http://www.chimarhellas.com/wp-content/uploads/2008/07/formaldehyde_2008.pdf
[5] Deutsche Konferenz für Tabakkontrolle
[6] Ohta, K., Uchiyama, S., Inaba, Y., Nakagome,H. and Kunugita, N. (2011) – Determination of carbonyl compounds generated from the electronic cigarette using coupled silica cartridges impregnated with hydroquinone and 2,4-dinitrophenylhydrazine, Bunseki Kagaku, 60, 791–797.
[7] Ecig not as harmless as claimed – kentucky.com
[8] T. Schripp, D. Markewitz, E. Uhde,T. Salthammer – Department Material Analysis and Indoor Chemistry,Fraunhofer Wilhelm-Klauditz-Institut (WKI), Braunschweig, Germany
A propos de la présence de formaldéhyde dans l’air (T. Salthammer)
Complément d’information à propos du formaldéhyde : Formaldehyde Assessment Needs Significant Improvement