Après la publication de l’étude ethnologique menée en France par le Laboratoire de Recherche en Sciences Humaines, c’est au Royaume-Uni de livrer des résultats de travaux qualitatifs menés sur le terrain(1) par l’anthropologue Frances Thirlway.
En France et au Royaume-Uni, des études ethnologiques étudient la vape au plus près des utilisateurs
D’approches différentes, deux études versent de nouvelles données au débat sur la vape. Elles apportent de nouveaux éclairages sur les perceptions et usages de la cigarette électronique.
Les travaux menés en France (2) avaient approché une variété de profils et montré que hommes, femmes, jeunes ou anciens fumeurs “adoptent des postures différentes au moment d’essayer ce dispositif et les usages évoluent dans les mois qui suivent cette expérimentation“.
De son coté, l’anthropologue britannique, Frances Thirlway, s’est consacrée à l’étude du phénomène de la vape dans les milieux populaires britanniques et les inégalités de santé en matière de tabagisme. Interviewée par le blogueur suisse Philippe Poirson elle livre ses principales observations.
La vape contre les inégalités sociales du tabagisme ?
Aussi nombreuses à le tenter, les personnes à revenus modestes réussissent deux fois moins leur sevrage tabagique que celles disposant de revenus plus élevés. La vape peut elle dissiper ces inégalités ? C’est l’une des principales questions à laquelle Frances Thirlway, anthropologue à l’Université de Durham (UK), tente d’apporter des éléments dans ces derniers travaux.
Pour les personnes qui n’arrivent pas à arrêter de fumer, l’e-cigarette peut être une solution», explique t-elle dans un article publié ce mois dans la revue Social Science and Medecine.
Imaginaire social et comportement
Ces différences entre groupes sociaux justifient une approche sous l’angle anthropologique de l’enquête de terrain. «Il faut comprendre le contexte et la façon dont le tabagisme, le sevrage tabagique et le vapotage s’inscrivent dans des pratiques culturelles qui varient en fonction de la région, du genre, de l’âge…», précise t-elle dans l’entretien mené par le blogueur suisse. Son enquête dans la région de Durham, ancien bassin minier du Nord-est anglais, s’est étalée de 2012 à 2015. Elle a approfondi la relation à la vape de 28 hommes et 13 femmes lors d’entretiens dits qualitatifs.
Hédonisme vapologique
Les jeunes ouvriers se convertissent plutôt facilement au vapotage selon les observations de Frances Thirlay. Alors que l’arrêt du tabac est vu comme signe de faiblesse ou de snobisme, vapoter se vit comme un plaisir plus qu’un renoncement pour les jeunes hommes. En contraste, les hommes plus mûrs approchent l’objet dans une logique de santé et de responsabilités familiales, y compris financières. Il s’agit pour eux d’arrêter de fumer à l’aide de ce qu’ils nomment la cigarette-électronique.
Frances Thirlway n’a pas rencontré de jeunes femmes durant son enquête dans cette région où les rôles de genres sont assez traditionnels. Du côté des femmes plus âgées, le vapotage n’est pas une histoire toujours simple. Prises par les contraintes liées au double temps de travail, salarié et domestique, elles placent le souci d’elles-mêmes et de leur état de santé en bas de leurs priorités. Les complications techniques deviennent alors vite une barrière difficile.
Prix bas et simplicité
Sur la base de ses observations, l’anthropologue insiste sur deux éléments clés pour que le vapotage puisse se développer comme alternative au tabac dans les milieux populaires. Le prix en premier lieu doit être peu élevé. Le tabac à rouler coûte aux fumeurs 10£ (12€) par semaine au marché noir. Les protagonistes, notamment masculins, ont le souci moral de ne pas alourdir le budget familial à cause de leur dépendance. En second lieu, les dispositif doivent être simples à utiliser, notamment pour que les femmes s’en emparent dans la grille de leur obligations sociales. Ces deux ingrédients pourraient aider à faire reculer le tabagisme des défavorisés et alléger les inégalités sociales de santé.
(1) Etude britannique
- Everyday tactics in local moral worlds: E-cigarette practices in a working-class area of the UK, Frances Thirlway, http://dx.doi.org/10.1016/j.socscimed.2016.10.012
- Interview mené par Philippe Poirson
(2) Etude française
- Texte complet, pdf, 215 pages
- Analyse de Jean-Yves NAU : Tout le monde ne le sait pas : la cigarette électronique est une thérapeutique anti-tabac
- Interview de l’auteure par Vapyou : Une étude subventionnée par la DGS bouscule sérieusement des préjugés sur la vape