Lors de la dernière Journée mondiale sans tabac, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est une nouvelle fois attaquée au vapotage à travers l’utilisation d’images mettant en scène une fillette et le dessin d’un vaporisateur personnel. Un impair qui n’a pas échappé à différents experts internationaux de la santé publique, qui dénoncent une grave une erreur de communication.
Utilisation d’images controversées
Il ne vous aura pas échappé que le 31 mai dernier, se tenait la nouvelle édition de la Journée mondiale sans tabac, organisée chaque année par l’OMS. Cette année, comme lors des précédentes, l’organisme de santé publiait sur son site internet, différents visuels destinés à promouvoir cette journée si particulière, dont le but reste toujours le même, lutter contre le tabagisme, les maladies qui y sont liées, et les 7 millions de décès annuels dont il est responsable à travers le monde.
Si certains des visuels proposés par l’OMS étaient assez classiques, d’autres, au contraire, ont réussi à sortir du lot. Notamment tous ceux mettant en scène de très jeunes enfants.
En effet, cette année, l’organisme a publié différentes images mettant en scène différents enfants, visiblement âgés de moins de 10 ans, tenant dans leur main des représentations de cigarettes de tabac ou de cigarettes électroniques. Des images accompagnées de différents messages, dont les suivants concernant le vapotage :
« L’industrie du tabac cible une nouvelle génération » et « les enfants qui vapotent sont deux fois plus susceptibles de fumer plus tard durant leur vie ».
Effaré par ces visuels, notre journal réagissait peu de temps après à travers un article qui rappelait que la théorie de la passerelle dont l’OMS continue de servir afin de combattre le vapotage, n’existe tout simplement pas selon de très nombreuses études scientifiques.
Journée mondiale sans tabac : l’OMS cible hystériquement la vape
Des experts en colère
Quelques jours plus tard, c’était au tour d’un groupe international d’experts indépendants de s’attaquer à l’OMS pour cette nouvelle prise de position anti-vape.
David Abrams
Le professeur David Abrams, de l’École de santé publique mondiale de l’Université de New York, déclarait ainsi :
« Nous savons sans aucun doute que les produits de la vape et les autres produits sans fumée sont beaucoup moins risqués que le tabac, et que ceux qui changent complètement de produit voient leur santé s’améliorer rapidement. Pourtant, l’OMS continue à promouvoir l’interdiction pure et simple ou la réglementation extrême de ces produits. Comment est-il logique d’interdire ce produit beaucoup plus sûr alors que les cigarettes sont disponibles partout ? ».
Robert Beaglehole
De son côté, le professeur émérite Robert Beaglehole, de l’Université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, et ancien directeur du Département des maladies chroniques et de la promotion de la santé de l’OMS, expliquait :
« Si elle ne fait pas quelque chose de différent et n’innove pas en matière de politique antitabac, l’OMS va manquer de loin les objectifs de réduction des cancers et des maladies cardiaques et pulmonaires. Encourager les gens à se tourner vers des solutions de rechange à faible risque par rapport au tabagisme pourrait faire une grande différence dans la charge de morbidité d’ici 2030, si l’OMS soutenait l’idée au lieu de la bloquer ».
Tom Miller
Tom Miller, plus ancien procureur général des Etats-Unis, bien connu pour son engagement anti-tabac, notamment via sa participation à l’instauration du Master Settlement Agreement en 1998 a lui aussi réagi :
« C’est comme si l’OMS avait oublié ce pour quoi elle est là – sauver des vies et réduire les maladies. Nous pouvons y parvenir en aidant et en encourageant les consommateurs à passer des cigarettes à des produits à moindre risque. Cela signifie qu’il faut être honnête sur les risques beaucoup plus faibles et utiliser une réglementation plus intelligente pour rendre ce changement plus attrayant ».
Tikki Pangestu
Et les réactions ne s’arrêtent pas là. Tikki Pangestu, professeur invité à la Lee Kuan Yew School of Public Policy de l’Université nationale de Singapour et ancien directeur de la politique et de la coopération en matière de recherche au sein même de l’Organisation mondiale de la santé a lui aussi pris parti :
« Lorsque l’OMS a entrepris de mettre en place un traité international pour la lutte antitabac à partir de 2000, l’objectif était clair : il s’agissait de s’attaquer à l’épidémie mondiale de maladies liées au tabagisme. Quelque part en cours de route, l’OMS semble avoir perdu le sens de son objectif et a développé une mentalité fermée qui l’amène à prendre des positions inapplicables, non négociables ou contre-productives qui ne sont pas étayées par des données scientifiques solides. Elle semble avoir négligé sa mission principale, à savoir “le niveau de santé le plus élevé possible pour tous les individus”, y compris le milliard de fumeurs dans le monde, dont la plupart veulent éviter la maladie et une mort prématurée ».
John Britton
Pour le professeur John Britton, CBE, professeur d’épidémiologie à l’université de Nottingham et directeur du Centre britannique d’études sur le tabac et l’alcool, l’OMS devrait recentrer ses efforts sur ses objectifs majeurs :
« En cette Journée mondiale sans tabac, l’OMS devrait être animée par une question primordiale : comment faire baisser le tabagisme pour le plus grand nombre et à un rythme aussi rapide que possible ? Nous savons que l’OMS souscrit à la réduction des risques dans d’autres domaines de la santé publique, notamment en ce qui concerne les drogues illicites et la santé sexuelle. Si l’OMS veut se rapprocher de ses objectifs de réduction des maladies, il lui faut une stratégie pour les fumeurs qui ne peuvent ou ne veulent pas arrêter de fumer, et l’augmentation des produits sans tabac depuis 2010 en fait une option pratique. L’approche “arrêter ou mourir” de l’OMS à l’égard des fumeurs et l’opposition à la réduction des risques n’ont aucun sens ».
Rajesh Sharan
Même son de cloche en Inde, pays depuis lequel le professeur Rajesh Sharan, de la North-Eastern Hill University, à Shillong, a lui aussi souhaité réagir :
« L’Inde porte un fardeau sanitaire énorme en termes de cancers, de maladies cardiovasculaires et respiratoires résultant de l’utilisation du tabac sous de nombreuses formes différentes, avec plus de 200 millions de personnes utilisant des préparations traditionnelles telles que le gutka et le paan, et 100 millions d’autres utilisant des produits à fumer tels que les bidis et les cigarettes. Parmi eux, les plus touchés sont les groupes de population marginalisés et défavorisés, notamment les femmes. À mon avis, le déclin de la consommation de tabac a été d’une lenteur inquiétante, malgré la mise en œuvre de la CCLAT de l’OMS en Inde. À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac 2020, je souhaite que le déclin du tabagisme sous toutes ses formes et manifestations soit plus robuste ! Le paysage complexe du tabagisme en Inde justifie un changement de paradigme dans la manière dont l’OMS adopte les approches de réduction des risques ».
David Sweanor
Un changement de cap que souhaite également David Sweanor, du centre de droit de politique et d’éthique de la santé à Université d’Ottawa :
« L’OMS traite les produits vaporisés comme s’ils faisaient partie d’un stratagème de Big Tobacco. Mais elle se trompe à 100 %. En fait, les nouveaux produits perturbent le commerce lucratif des cigarettes de l’industrie du tabac et font baisser les ventes de cigarettes. C’est exactement ce dont nous avons besoin en matière d’innovation, mais l’OMS et ses bailleurs de fonds privés ont fait la queue pour s’y opposer, avec des appels à la prohibition. Bien qu’ils ne semblent pas s’en rendre compte, ils se rangent du côté des intérêts des grands cigarettiers, érigeant des barrières à l’entrée des nouvelles technologies et protégeant l’oligopole des cigarettes en place ».
Clive Bates
Enfin, Clive Bates, ancien directeur de l’Action on Smoking and Health au Royaume-Uni, a lui aussi souhaité s’exprimer :
« Alors que le tabagisme est de loin la cause dominante des maladies causées par le tabac, pourquoi l’OMS profiterait-elle de la Journée mondiale sans tabac pour cibler l’une des alternatives les plus efficaces et les plus populaires au tabagisme ? Nous voyons rarement l’industrie du tabac faire de la publicité auprès des adolescents et nous ne voyons jamais d’enfants dans les publicités commerciales de ce type – mais lors de la Journée mondiale sans tabac, nous avons le spectacle absurde de l’OMS qui fait la promotion de publicités avec des enfants qui fument. Que diable pensent-ils faire ? ».
Il ne reste désormais plus qu’à espérer que la réaction de ces nombreux experts à travers le monde fasse réagir l’OMS, et que l’organisme réalise qu’en luttant contre la vape, il se trompe de combat. Malheureusement, en 2018 déjà, 70 scientifiques se réunissaient afin de rédiger une lettre à destination de l’organisme de santé, afin de l’alerter du danger que représentait ses positions anti-vape. Un courrier qui, semble-t-il, sera resté lettre morte.