60 Millions de Consommateurs a révélé des chiffres inquiétants sur les sachets de nicotine. Mais ses analyses interrogent.
En bref :
- 60 Millions de Consommateurs a analysé plusieurs sachets de nicotine.
- Ils y ont relevé certaines quantités de différents composés nocifs.
- Aucune information n’a été donnée sur la manière dont les analyses ont été conduites.
- Le principal composé qu’ils mettent en avant est naturellement présent partout, en particulier dans l’eau de boisson.
- Les analyses conduites par un autre laboratoire indépendant ont révélé des résultats très différents de ceux de 60 Millions de Consommateurs.
Des bonbons à l’arsenic, les sachets de nicotine ?
C’est une nouvelle dont les fabricants de sachets de nicotine se seraient bien passés. La semaine dernière, l’Institut national de la consommation (INC), par le biais de son magazine 60 Millions de consommateurs, a publié un article baptisé « Sachets de nicotine : des produits à bannir ». Cette publication est le fruit d’un travail réalisé en collaboration avec l’association française, Comité national de lutte contre le tabagisme (CNCT). Dans cette publication, ses auteurs livrent le fruit d’analyses réalisées par l’INC, sur la composition de plusieurs sachets de nicotine, en provenance de différents fabricants.
Outre des manquements repérés concernant l’absence de certaines mentions légales obligatoires pour un produit, les analyses auraient relevé de forts écarts entre les taux de nicotine affichés par les fabricants, et ceux révélés par l’Institut national de la consommation. « Les taux de nicotine que nous avons mesurés se sont révélés systématiquement inférieurs aux taux affichés, dénotant un manque de maîtrise de la part des fabricants », note ainsi 60 Millions de Consommateurs.
Autre point relevé : d’après les analyses, certains sachets de nicotine contiendraient « de l’arsenic…, du plomb, de l’antimoine, du molybdène et du chrome », dans des proportions différentes selon les produits testés. Si, comme le relève lui-même le magazine, « ces métaux sont naturellement présents dans notre environnement », il met surtout en avant le fait qu’il s’agit d’une « contamination évitable », puisque d’autres produits en contiennent jusqu’à 15 fois moins.
La présence d’arômes et d’édulcorants est également pointée du doigt, les associations n’hésitant pas à les désigner, « au vu des teneurs », comme « de vrais bonbons ! ».
« S’agissant d’un produit qui n’est pas un produit de sevrage à l’efficacité reconnue, la présence de ces sachets à la nicotine sur le marché interroge », conclut le magazine, avant d’ajouter qu’ils « présentent un risque d’addiction pour les plus jeunes avec un taux de nicotine non maîtrisé et parfois très élevé, sans compter la présence de contaminants possibles ».
Les fabricants se défendent
Parmi les produits testés par l’INC se trouvent les sachets de nicotine de la marque ZYN, appartenant au cigarettier Philip Morris International.
Dans un communiqué publié peu de temps après l’article de 60 Millions de Consommateurs, le géant du tabac s’est défendu de vendre ses sachets de nicotine en France. Il explique ainsi que l’entreprise « ne commercialise pas de produits nicotiniques oraux en France » et ne peut donc pas « confirmer ni la provenance, ni l’authenticité des sachets de nicotine testés ». Pourtant, selon nos recherches, il est tout à fait possible de se procurer des sachets de nicotine de cette marque dans l’Hexagone, puisque plusieurs sites de vente en ligne, dont certains sont français, en proposent.
Philip Morris relève toutefois un point intéressant dans son communiqué. L’entreprise indique que l’article de 60 Millions de Consommateurs « manque de clarté autour de la méthodologie utilisée [pour réaliser ses analyses, N.D.L.R.] » et souligne avoir demandé à l’INC de lui faire parvenir l’intégralité de ses tests et de sa méthodologie, sans pour autant avoir reçu de réponse. Peu de temps après, notre rédaction est entrée à son tour en contact avec l’Institut national de la consommation, qui s’est contenté de nous transmettre l’article publié dans son magazine, sans plus de précision sur les analyses conduites.
Même son de cloche chez D’LICE, qui a vu certains des produits de sa marque D’LICE by KAPZ être ciblés par l’enquête du magazine. Jean-François Douenne, directeur général de l’entreprise, nous a indiqué avoir rapidement pris contact avec 60 Millions de Consommateurs, pour obtenir les analyses réalisées. Une demande qui a été faite il y a déjà plusieurs jours, et à laquelle l’INC n’a toujours pas donné suite.
De ce fait, les chiffres avancés par le magazine, en très mauvaise santé financière, doivent être traités avec prudence, puisqu’il n’existe aucun moyen de les vérifier ni de connaître les procédures utilisées pour les obtenir.
Des taux très éloignés des précédentes analyses
L’article de la revue ne communique d’ailleurs que sur deux composés, et de manière très partielle : le taux de nicotine et la quantité d’arsenic.
La quantité d’arsenic retrouvée dans deux produits, c’est-à-dire >0,20 µg/sachet pour les sachets de D’LICE, et 0,59 µg pour ceux de ZYN, sont très éloignés de ceux trouvés par Eurofins, laboratoire suédois indépendant, notamment spécialisé dans l’analyse des nicotine pouches.
Dans ses rapports d’analyses, Eurofins indique toujours les méthodes utilisées. Pour quantifier l’arsenic, le laboratoire suédois suit les normes ISO 17294-2:2016 et 13805:2014. Pour la nicotine, il utilise la méthode officielle (T-301 mod) de l’agence de santé canadienne.
Selon le laboratoire, les sachets de nicotine du fabricant français contiendraient moins de 0.050 mg/kg d’arsenic, soit 50 µg par kilos, c’est-à-dire 0,02 µg par sachet. Dix fois moins que les taux relevés par 60 Millions de Consommateurs. Pour les produits de ZYN, Eurofins a relevé un taux d’arsenic similaire aux produits D’LICE. Bien que le laboratoire indique une marge d’erreur de ± 30 %, les taux d’arsenics réels se situeraient donc entre 0,035 mg/kg et 0,065 mg/kg, soit, entre 0,014 µg et 0,026 µg par sachet. Des valeurs toujours très éloignées de celles relevées par l’INC.
Nous sommes exposés à l’arsenic quotidiennement
À titre de comparaison, selon cancer-environnement.fr, les Français seraient exposés chaque jour, en moyenne, à 0,78 µg/kg d’arsenic. Une valeur qui représenterait donc une exposition quotidienne « naturelle » de 46,8 µg pour une personne pesant 70 kilos, soit 79 à 234 fois plus que les taux relevés par 60 Millions de Consommateurs dans un sachet de nicotine. Les principales sources d’exposition seraient l’eau de boisson, à hauteur de 20 %, suivie des boissons rafraîchissantes sans alcool, entre 10 et 15 %.
De son côté, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (ANSES) rappelle dans d’un rapport que « seul l’arsenic inorganique présente une toxicité avérée pour l’homme ». Comme l’explique l’organisme, selon les études, l’arsenic inorganique représenterait de 2 à 6 % de l’arsenic total.
La dose hebdomadaire tolérable a été fixée à 15 µg d’arsenic inorganique /kg p.c., soit pour une personne de 60 kg, une dose journalière de 128 µg/j. Si l’on prend les chiffres de l’INC, il faudrait donc, pour dépasser cette limite, s’exposer à une quantité d’arsenic entre 217 et 640 fois supérieure à celle contenue dans un sachet de nicotine. Et ça, en imaginant que l’INC se soit intéressé à l’arsenic inorganique ! Dans le cas contraire, il faudrait alors s’exposer entre 3 616 et 10 847 fois à la quantité relevée par 60 Millions de Consommateurs, en une seule journée…
Concernant les taux de nicotine relevés par le magazine français, les résultats ne sont pas plus compréhensibles. Selon lui, les sachets Citron Menthe de D’LICE contiendraient par exemple 1,1 mg de nicotine, au lieu des 4 mg annoncés par le fabricant. De son côté, Eurofins a pourtant relevé 3,6 mg, une valeur très proche de celle annoncée par le liquidier français.
Si, il y a quelques mois, 60 Millions de Consommateurs réalisait un excellent dossier sur les aides au sevrage tabagique, en s’étant notamment rapproché de plusieurs experts de la cigarette électronique afin de réaliser un article objectif, il semble qu’il se soit donné moins de mal lors de cette publication sur les sachets de nicotine. Peut-être en raison du partenariat qu’ils ont lié avec le CNCT pour l’occasion, ou parce qu’ils ont utilisé les mêmes méthodes d’analyses qu’en 2013 lors de la publication d’un article antivape, dont les résultats ont très rapidement été démontés par de nombreux scientifiques.
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