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De Big Tobacco à tabacologue : rencontre avec Alice Denoize du DéclicAntiClope

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Pendant plusieurs années, Alice Denoize a façonné l’image d’une marque de tabac. Aujourd’hui, elle combat la cigarette avec passion. Une rupture radicale, née d’un profond dégoût pour une industrie qu’elle connaît de l’intérieur.

Alice Denoize, tabacologue et fondatrice du DélicAntiClope © ComOnTheMoon

Jusqu’où on peut aller derrière la ligne ?

J’étais très naïve. J’étais moi-même une très grosse fumeuse, et j’étais jeune. Je voyais juste le côté cool et paillettes du fait de travailler en agence, d’avoir de l’argent pour aller faire des campagnes avec des mannequins et créer des jolis paquets.

C’est ainsi qu’Alice Denoize entre dans la communication pour l’industrie du tabac, au début des années 2000. Une immersion dans le « glamour » d’une agence où elle travaille pour relancer une marque, concevoir des campagnes de communication, ou encore redessiner des paquets. En tant que professionnelle du marketing, travailler pour Big Tobacco a de nombreux avantages. « On créait des plateaux avec des décors entiers, comme si on était sur un truc de cinéma. C’est pour ça aussi qu’il y a des personnes qui se font avoir à travailler pour l’industrie du tabac, et notamment en agence de communication, c’est qu’on peut vraiment s’amuser. »

On étudiait tout dans les moindres détails, pour que ça puisse parler à la cible. On était aussi chargés des campagnes de communication, et des messages qui allaient avec, comme la liberté, l’affirmation de soi, etc.

Et pourtant, l’ambiance de travail est quand même particulière. « Il y a eu cette réunion marquante pour moi, avec l’équipe juridique du client. L’objectif n’était pas de nous rappeler les règles au niveau mondial de ce qu’on a le droit de faire ou de ne pas faire. La question, c’était jusqu’où on peut aller derrière la ligne ? Jusqu’à combien ils sont prêts à mettre en termes d’amende et nous excuser ? ». Parce que, pour l’industrie du tabac, respecter les règles n’est pas dans les priorités. « Il n’est question à aucun moment de respecter la loi. C’est bien trop restrictif. Donc il fallait s’autoriser une amende, mais jusqu’à combien ? ».

Déclic et conséquences

Malgré la liberté laissée par des budgets colossaux, très vite, l’envers du décor s’impose. « Quand on se rend compte que le business model est quand même de capter des gens par un produit et de faire en sorte qu’ils ne puissent plus partir. Ce n’est pas très fair. »

Ce qu’elle qualifie de « dégoût » devient bientôt un point de rupture. Elle arrête de fumer et, dans la foulée, veut quitter cette industrie. « Il fallait absolument que je m’en échappe. » Mais sortir du tabac, même en agence, n’est pas si simple : « On avait beaucoup de mal à me faire sortir des comptes du tabac. Et donc, à un moment donné, je n’ai pas eu d’autre solution que de démissionner. » Depuis toute petite, Alice ne rêve que d’une chose : être utile. Elle décide donc de s’adresser à des associations humanitaires. « Et forcément, ils ne m’ont pas rappelé. Ils ont dû se dire que le gap était un peu trop important entre l’industrie du tabac et l’association humanitaire. » Un rejet mal vécu par la jeune femme qui espérait bien tourner la page. « Je me disais que c’était foutu, que j’avais ruiné ma carrière. »

Quand ça s’est terminé, il y a eu une sorte d’évidence.

Le temps passe, sa recherche d’emploi piétine, sa situation financière se dégrade, et à ce moment-là, deux propositions d’embauche tombent : deux agences de communication dont les clients sont membres de Big Tobacco « J’ai été prise en étau entre ma conscience et le besoin de manger, très concrètement. » Forcée d’accepter, elle choisit le CDD, se disant qu’elle n’aura pas à batailler pour partir une fois le contrat arrivé à son terme. « Et ça a été pire que tout. Parce que, un, je retournais dans un monde d’agence que je ne supportais plus. Et en même temps, je trouvais que ça n’avait aucun sens, que ce que je faisais était mal. J’ai vécu un enfer pendant un an. »

Sauvée par son bébé

C’est pendant cette période, à la fin de son contrat et alors qu’elle est enceinte, qu’elle trouve enfin une porte de sortie. « Je me suis dit que j’avais une fenêtre pour agir, une période où je touche le chômage en plus d’avoir ce petit bébé en construction. Donc je peux réfléchir, l’esprit détaché des contraintes financières, à ce que je voudrais faire. » C’est la naissance du DéclicAntiClope

Je me disais juste, au plus profond de moi, que j’avais envie d’être utile. 

Le DéclicAntiClope était à l’origine un simple blog. Son objectif ? Rompre avec le passé, mais aussi réparer. « Non seulement c’était une libération, une protection vis-à-vis du monde de l’industrie du tabac pour dire “maintenant, ne m’appelez plus, je ne suis plus votre petit soldat”, mais c’était aussi, évidemment, de rattraper comme je pouvais le mal que j’avais pu faire. »

Ce projet se transforme rapidement en véritable révélation. Alice se découvre une passion pour l’écriture, la transmission, et surtout pour la compréhension du sevrage tabagique. Elle lit tout ce qu’elle peut, écrit sans relâche. Et prend goût à l’indépendance. « Tout collait parfaitement bien.  »

Aujourd’hui, Alice est diplômée en tabacologie et aide les fumeurs à se sevrer du tabac.  Elle suit toujours de près l’évolution de Big Tobacco, en particulier ses incursions dans la vape. « Ils sont partout. Ils s’infiltrent dans les discours, dans les normes. » Derrière les promesses d’un « monde sans fumée », elle ne voit qu’un repositionnement stratégique : « Je pense qu’ils ont perçu que le tabac était voué à disparaître un jour, et sont donc entrés dans une logique de gagner plus d’argent à court terme, tout de suite, et de redorer leur image. » Et pour tenter de redorer une image bien écornée, quoi de mieux que de se lancer dans le domaine du vaporisateur personnel, dont la science a prouvé qu’il était le meilleur moyen pour arrêter de fumer, et que son utilisation était bien moins nocive que le tabagisme ?

Je ne leur fais plus du tout confiance, je ne leur ferai jamais confiance.

« Dans les hautes sphères, ils se sont dit que c’était inenvisageable de ne pas surfer sur la vague de la vape, parce qu’ils se rendent bien compte que la vape, ça fait quand même pas mal de chiffre d’affaires, et que ça attire de plus en plus de fumeurs, donc ils ont décidé de se mettre dessus. » 

Elle comprend quand même que certaines personnes poursuivent leur carrière au sein de cette industrie. « Je pense que certains chefs de projets, certaines personnes qui travaillent en agence, ou à des postes comme ça, restent naïfs, et croient au discours d’un cigarettier qui va dire qu’il veut un monde sans fumée. Je pense qu’il y a encore des personnes qui croient que l’industrie du tabac peut être de bonne volonté. » Mais pour elle, aucun doute, ses ambitions sont uniquement financières, très éloignées de ses discours qui mettent en avant la santé publique. « C’est une évidence que c’est leur seul intérêt, il ne faut pas être dupe. » 

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