Réputée pour ses documentaires exigeants, ARTE traîne pourtant derrière elle plusieurs affaires de désinformation. Du vapotage aux vaccins, retour sur des erreurs qui interrogent la crédibilité de la chaîne.
- Vapotage, Venezuela, vaccins… Les dérives d’ARTE passées au crible
- 2015 – Vapoteuses : ARTE met nicotine et tabac dans le même sac
- 2020 – Nicotine et vapotage : un documentaire truffé d’erreurs
- 2004 – Venezuela : une version des faits démentie par la justice
- 2016 – Cholestérol : un documentaire qui ignore la science
- 2022 – Vaccins : une réalisatrice au lourd passif familial
- Sources et références
Vapotage, Venezuela, vaccins… Les dérives d’ARTE passées au crible
Créée en avril 1991, ARTE, acronyme d’Association Relative à la Télévision Européenne, est une chaîne de télévision franco-allemande. Prenant la forme d’un Groupement Européen d’Intérêt Economique (GEIE), son contrat de formation lui donne pour mission de « concevoir, réaliser et diffuser ou faire diffuser (…) des émissions (…) ayant un contenu culturel et international au sens large, et propres à favoriser la compréhension et le rapprochement des peuples en Europe. »
Si, à l’origine, la France défendait l’idée qu’ARTE devrait se focaliser sur la culture classique (théâtre, cinéma, littérature, etc.), l’Allemagne souhaitait pour sa part élargir son spectre d’action et lui offrir la possibilité de parler de tout ce qui touchait à la société et au collectif. Aujourd’hui, c’est par ce biais, celui de traiter de sujets culturels, au sens large, que la chaîne justifie ses programmes parlant d’économie, de géopolitique, de santé publique, etc. Des deux côtés du Rhin, ARTE est souvent considérée comme une référence pour la qualité de ses émissions et autres documentaires.
Au quotidien, la gestion de la chaîne de télévision est répartie parmi trois entités distinctes : le GEIE, dont le siège est situé à Strasbourg, ARTE France, à Paris, et ARTE Deutschland, à Baden-Baden. 80 % de sa programmation est fournie par ses filiales française et allemande, et le reste, par la filiale européenne et les partenaires européens de la chaîne.
2015 – Vapoteuses : ARTE met nicotine et tabac dans le même sac
En 2015, dans son émission de vulgarisation scientifique, X:enius, ARTE diffusait un sujet à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac : « Arrêter de fumer : oui mais comment ? ». Aujourd’hui retiré des replays disponibles sur sa chaîne YouTube ou son site internet, l’épisode faisait bondir un grand nombre de vapoteurs, dont le groupe Vapoteurs en colère, qui s’insurgeait de certains propos diffusés à l’antenne. Parmi eux, « la cigarette électronique est à mettre sur le même plan que la cigarette normale », ou encore, choisir entre vapotage et tabagisme, « c’est choisir entre la peste ou le choléra qui sont toutes deux des maladies mortelles. »
À l’époque, ARTE défendait ses propos en indiquant qu’aucune étude scientifique ne prouve que le vaporisateur personnel aide à arrêter de fumer, et que la composition des différents e-liquides du marché n’étant pas rendue publique (ce qui deviendra une obligation l’année suivante), il est impossible d’assurer que le vapotage est moins nocif que le tabagisme.
Si l’état actuel des connaissances scientifiques permet aujourd’hui de répondre à ces questions, le fait est qu’en 2015, l’étude de la cigarette électronique n’en était qu’à ses balbutiements. Ce discours d’ARTE pouvait donc être audible.
2020 – Nicotine et vapotage : un documentaire truffé d’erreurs
Le 22 septembre 2020, la chaîne franco-allemande récidive. Elle diffuse un documentaire baptisé « Cloper sans fumer – La nicotine revisitée », qui, là encore, fait bondir de leurs sièges bon nombre de vapoteurs, mais aussi différents experts en santé publique.
Au cours de cette émission, ARTE enchaîne la désinformation au sujet du vapotage. Elle décerne par exemple le sésame de son invention à l’industrie du tabac, alors que le premier modèle de vaporisateur personnel a été fabriqué par un pharmacien chinois, Hon Lik, dont nous avons déjà relaté l’histoire.
Stanton Glantz, un chercheur controversé
Elle fait intervenir Stanton Glantz, professeur américain dont les travaux sur la cigarette électronique ont toujours été vivement contestés par une grande partie de la communauté scientifique, à cause de ses méthodologies ubuesques et l’utilisation de données erronées, et parfois même, complètement inventées. Cerise sur le gâteau, plusieurs des affirmations du professeur, que l’on peut entendre dans le documentaire d’ARTE, proviennent d’une étude qu’il a lui-même menée. Une étude qui a par la suite été rétractée, c’est-à-dire, retirée de toute revue scientifique, pour ses nombreux manquements. Une rétractation qui s’est produite plus de sept mois avant la diffusion du programme1, et que la chaîne n’a pas jugé bon de souligner.
EVALI : la confusion entretenue
La chaîne de télévision ne manque pas non plus de faire un lien direct et l’utilisation d’une cigarette électronique et l’apparition d’une maladie pulmonaire. Et là encore, ARTE cache sciemment l’information la plus importante : la maladie pulmonaire en question, qui a par la suite été baptisée EVALI par les autorités américaines, pour E-cigarette, or Vaping, product use Associated Lung Injury, n’a jamais concerné le vapotage traditionnel. Il s’agissait d’une maladie apparue aux États-Unis, qui a touché un total de 2 807 personnes, dont 68 sont décédées.
Après plusieurs mois d’enquête, différents organismes de santé américains (CDC et FDA) ont conclu que tous les malades avaient en fait consommé des e-liquides contenant du THC et de l’acétate de vitamine E. C’est cette dernière, utilisée comme agent épaississant pour les e-liquides au cannabis, qui était responsable des maladies pulmonaires2, 3.
Autrement dit, les vapoteurs du monde entier, qui utilisent les e-liquides traditionnels qui sont vendus dans les boutiques spécialisées ou sur des sites internet renommés, n’ont pas souffert de cette pathologie. Un fait qu’Arte n’a pas jugé bon de préciser.
Des comparaisons douteuses
Notons également que la chaîne de télévision, dans le synopsis de son émission, n’a pas non plus hésité à indiquer : « Banalisée à l’extrême et pourtant aussi addictive que l’héroïne, la nicotine a encore de beaux jours devant elle. » Là encore, une affirmation plus que contestable, puisqu’il paraît tout simplement inconcevable de comparer la nicotine, dont la science sait depuis des décennies qu’elle ne cause aucune maladie, si ce n’est une augmentation de la pression artérielle et du rythme cardiaque, et les opioïdes, dont l’héroïne fait partie, qui sont liés à 80 % des 600 000 décès attribuables chaque année à la consommation de drogue4.
Ces émissions, qui ont été vécues comme un coup de massue par bien des spectateurs français, ouvrent logiquement la voie à de nouvelles questions : et si ARTE, que beaucoup considèrent comme une chaîne digne de confiance, n’était finalement pas si transparente et objective dans les sujets qu’elle traitait ? Son traitement biaisé du vapotage au cours de ces deux émissions était-il un simple faux pas, ou d’autres domaines sont-ils volontairement malmenés par la chaîne de télévision ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous avons parcouru les différentes polémiques dont ARTE a été victime. Et, à notre grande surprise, il s’avère que le vapotage est loin d’être le seul sujet problématique.
2004 – Venezuela : une version des faits démentie par la justice
En 2004, au cours du journal de 19h45, ARTE se fait écho du référendum révocatoire qui doit se tenir deux jours plus tard au Venezuela. Deux ans auparavant, un coup d’État avait éclaté dans le pays d’Amérique du Sud, avec pour objectif de remplacer le président actuel, Hugo Chávez. Durant l’une des manifestations intervenues en 2002, qui rassemblait plusieurs centaines de milliers de manifestants, des coups de feu retentissent. 19 personnes perdent la vie, et plusieurs sont blessées.
Suite à ce drame, deux versions s’affrontent dans le pays. Les soutiens de Chávez indiquent que, s’ils ont tiré, c’était uniquement pour riposter à des coups de feu qui les visaient déjà. Les anti Chávez, à l’origine du coup d’État, accusent directement le président d’avoir ordonné à la police d’ouvrir le feu sur les manifestants.
C’est cette dernière version qu’ARTE présentera dans son journal du 13 août 2004. La chaîne de télévision indiquera, entre autres fausses informations5, que : « Le 11 avril 2002, des centaines de milliers d’opposants marchent sur le Palais présidentiel. Sur ordre du Président, la police tire. Bilan : 17 morts et des centaines de blessés. Chavez consent à quitter le Palais Miraflores. Mais 48 heures plus tard, il est de retour. »
Problème, à cette époque, il n’existe absolument aucune preuve que les premiers tirs sont intervenus à la demande du président. Il existe même plusieurs documentaires qui remettent directement en question cette version scandée par l’opposition5, 6. Et l’histoire leur donnera raison, puisque, lors du procès qui s’est déroulé entre les années 2006 et 2009, ayant pour objectif de faire la lumière sur le drame qui s’était produit quelques années plus tôt au cours de cette manifestation, il s’avérera que les premiers tirs ont été lancés par des tireurs professionnels, qui étaient placés çà et là sur les toits de la ville, dans l’immeuble El Nacional, ou encore dans certains hôtels. Au cours de ce procès, dix fonctionnaires de police, dont des hauts gradés, seront condamnés pour leur implication dans le décès de trois manifestants7. Et à cette époque, la police était contrôlée… par l’opposition.
Autrement dit, Chávez n’a jamais ordonné les tirs qui ont retenti lors de cette manifestation, et le procès a clairement démontré que c’étaient les anti Chávez qui ont ouvert le feu. Arte disait exactement le contraire dans son journal. C’est donc ça, la promotion de la culture ?
2016 – Cholestérol : un documentaire qui ignore la science
Nous faisons un bon dans le temps et nous intéressons maintenant au documentaire diffusé sur Arte, le 18 octobre 2016, baptisé « Cholestérol : le grand bluff ». Visionné par 1,7 million de téléspectateurs, il soutenait l’hypothèse selon laquelle le cholestérol ne serait pas lié à des maladies cardiovasculaires. À l’origine de cette polémique, deux ouvrages parus en 2012 et 2013, Le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux, par les professeurs Even et Debré, et La vérité sur le cholestérol, par le professeur Even, préfacé par… le professeur Debré.
La méthode Ancel Keys détournée
Au cours de ce film, ARTE justifie sa théorie de plusieurs manières. Par exemple, elle cite deux études8, 9 réalisées entre les années 1950 et 1960, par un physiologiste américain, Ancel Keys. Selon le documentaire, l’homme aurait fait de la mauvaise science et fabriqué les faits qui justifiaient son hypothèse reliant le cholestérol aux maladies cardiovasculaires. Et une fois encore, la chaîne de télévision oubliera de parler d’une grande partie de l’histoire.
D’abord, elle mélange deux études différentes. Ensuite, s’il est vrai que la première présentait certains défauts méthodologiques et de sélection, ARTE s’en servira pour justifier l’absence de lien entre le cholestérol et les maladies cardiovasculaires, tout au long de son documentaire. Sauf que, depuis la publication de cette unique étude problématique, des centaines d’autres sont parues, confirmant ce lien. La chaîne a donc choisi une étude critiquée pour confirmer sa théorie, ignorant les centaines d’autres qui la réfutaient10, 11, 12.
Cherry-picking systématique
Et l’ensemble des arguments avancés dans le film suivront ce même schéma. À chaque fois, une unique étude, ou un seul intervenant remettent en question ce que pense l’ensemble (ou presque) de la communauté scientifique. S’appuyant sur cette seule donnée, le documentaire passera sciemment sous silence toutes les autres qui ne vont pas dans son sens.
Et concernant le cholestérol, largement étudié dans le monde entier, nous parlons de l’ignorance volontaire de données qui concernent des méta-analyses, ou des études, qui regroupent souvent plusieurs centaines de milliers de participants.
Pêle-mêle, quelques arguments avancés par ARTE dans ce documentaire :
- Pas de lien entre taux de cholestérol sanguin et maladies cardiovasculaires : alors que des études épidémiologiques menées sur plus de 400 000 individus le confirment ;
- Pas de bénéfice, et même un danger, à prendre des médicaments qui réduisent le taux de cholestérol : alors que de multiples études randomisées ont confirmé que cette classe thérapeutique réduit les événements cardiovasculaires majeurs ;
- Le cholestérol n’est qu’un coupable idéal, désigné par les intérêts économiques conjugués de l’industrie agroalimentaire et des laboratoires pharmaceutiques : alors, qu’une fois encore, des centaines d’études ont démontré le lien entre cholestérol et maladies cardiaques ;
- etc.
C’est donc ça, la promotion de la culture ?
2022 – Vaccins : une réalisatrice au lourd passif familial
Nous sommes maintenant le 18 octobre 2022. Ce soir-là, ARTE diffuse son documentaire baptisé « Des Vaccins et des hommes ». Dans ce film, que la chaîne présente comme « loin des querelles manichéennes entre pro et antivax », tout laisse pourtant penser qu’il sera largement biaisé.
D’abord, notons que sa réalisatrice, Anne Georget, n’est autre que la fille de Michel Georget, ancien président de la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations (LNPLV). Fondée en 1954, cette association a toujours lutté contre l’obligation vaccinale. Michel Georget, qui en a occupé le poste de président en 1992, est l’auteur de deux ouvrages antivax, Vaccinations, les vérités indésirables, et L’apport des vaccinations à la santé publique, la réalité derrière le mythe. Le documentaire d’ARTE, censé être parfaitement objectif, est donc réalisé par la fille d’un homme qui, depuis toujours, a été contre la vaccination.
De nombreuses critiques ont également mis en avant le cherry picking auquel s’est livrée la réalisatrice. Ce terme désigne l’action d’une personne qui, ayant à sa disposition une multiplicité de sources et de données, choisit de n’accorder son attention qu’à celles allant dans le sens de ses préjugés.
Notons également que ce documentaire a fait réagir de nombreux chercheurs qui sont intervenus dedans. Plusieurs d’entre eux ont accusé ARTE d’avoir tronqué leurs propos. Par exemple, Thomas Pradeu, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a expliqué sur LinkedIn :
« Interviewé dans le documentaire “Des vaccins et des hommes” hier pour mes recherches sur le microbiote, il me semble important de souligner que je suis en désaccord avec la plupart des thèses qui y sont avancées sur les vaccins, comme l’indiquent d’ailleurs tous mes engagements.
Je sais que c’est le cas également de plusieurs autres personnes interrogées. Si le but est “d’ouvrir les débats” et de favoriser l’échange d’idées et arguments, ARTE aurait bien évidemment dû nous montrer le film pour recueillir nos avis et critiques, ce qui n’a pas été fait. »
C’est donc ça, la promotion de la culture ?
Une chaîne qui souffle le chaud et le froid
Bien sûr, il serait malhonnête de dire qu’ARTE ne produit que des documentaires de piètre qualité. Chaque année, la chaîne franco-allemande en produit et diffuse plusieurs dizaines, si ce n’est centaines, et rares sont ceux qui font polémiques dans la communauté scientifique. Le problème, c’est que comme les exemples le démontrent dans cet article, la majorité des films problématiques concernent des sujets de santé publique. Vapotage, cholestérol, vaccination… Autant de domaines qui concernent des millions, et parfois même, des milliards d’individus dans le monde.
En multipliant les omissions, les approximations et les biais, ARTE s’éloigne donc, parfois, de sa mission de service culturel européen. Et ces affaires posent une question simple : comment continuer à faire confiance à un média qui choisit ses faits selon l’histoire qu’il veut raconter ?
Sources et références
1 Journal of the American Heart Association. (2020, February 18). Retraction to: Electronic cigarette use and myocardial infarction among adults in the US Population Assessment of Tobacco and Health (Vol. 9, Issue 4, e014519). https://doi.org/10.1161/JAHA.119.014519.
2 U.S. Food and Drug Administration – Lung Injuries Associated with Use of Vaping Products, mise à jour du 13 avril 2020, fda.gov.
3 Centers for Disease Control and Prevention (CDC) – Outbreak of Lung Injury Associated with the Use of E-Cigarette, or Vaping, Products, dernière révision le 3 août 2021, archive.cdc.gov.
4 Organisation mondiale de la santé (OMS) – Opioid overdose, fiche d’information, mise à jour du 29 août 2023, who.int.
5 The Revolution Will Not Be Televised.
6 Puente Llaguno: Claves de una Masacre.
7 El País. (2009, 3 avril). Condenados tres policías venezolanos por homicidio durante el golpe de Estado a Chávez. El País. https://elpais.com/internacional/2009/04/03/actualidad/1238709614_850215.html.
8 Keys, A. (1953). Atherosclerosis: A problem in newer public health. Journal of the Mount Sinai Hospital, New York, 20(2), 118-139. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/13085148/.
9 Keys, A. (Ed.). (1970). Coronary heart disease in seven countries. Circulation, 41(Suppl. 1), 1-211. DOI: 10.1016/s0899-9007(96)00410-8.
10 Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaborators. (2005). Efficacy and safety of cholesterol-lowering treatment: Prospective meta-analysis of data from 90,056 participants in 14 randomised trials of statins. The Lancet, 366(9493), 1267-1278. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(05)67394-1.
11 Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaboration. (2010). Efficacy and safety of more intensive lowering of LDL cholesterol: A meta-analysis of data from 170,000 participants in 26 randomised trials. The Lancet, 376(9753), 1670-1681. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(10)61350-5.
12 Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaborators. (2012). The effects of lowering LDL cholesterol with statin therapy in people at low risk of vascular disease: Meta-analysis of individual data from 27 randomised trials. The Lancet, 380(9841), 581-590. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(12)60367-5.