Le phénomène des vapofumeurs envahis insidieusement les boutiques et les groupes de e-cigarette. En un mot, un accro à la cigarette qui n’a pas arrêté mais drastiquement réduit sa consommation, et qui s’en félicite. Loin de l’encourager, le rôle des professionnels devrait plutôt être de le tancer, pour de bonnes raisons.
Vapofumeur et fier de l’être
Tout d’abord, il convient de définir ce qu’est un vapofumeur. C’est un dépendant tabagique qui est passé à la vape, mais continue de fumer, quoique dans des proportions moindres. Créé de toutes pièces il y a quelques mois, le terme est vite rentré dans le vocabulaire courant de la vape.
Le vapofumeur ne se cache pas, au contraire, il s’affirme, et à raison, du moins selon des critères qui peuvent sembler objectifs : dans l’immense majorité des cas, il a réduit sa consommation, divisant le nombre de cigarettes fumées par deux, trois ou plus. Souvent avec un lourd passif d’échecs lors de tentatives d’arrêt ou de diminution, ce résultat lui semble extraordinaire et tout à fait satisfaisant.
Comme nous allons concrètement le voir plus loin, c’est une aberration. Et ça pose un problème double : au principal intéressé, parce qu’il se fourvoie, et à ceux qui pourraient avoir la charge de le conseiller (vendeurs en boutique, administrateurs de groupes de vape sur les réseaux sociaux…) par peur de doucher ce magnifique enthousiasme et de le refaire plonger dans une spirale d’échec.
Le vapofumeur pourra être heureux de constater que son budget tabac diminue, et s’en satisfaire. Il faut lui rappeler que le gain financier n’est qu’un bonus, c’est sa vie et sa santé qui sont en jeu. Et ils le restent presque aussi gravement.
Le tabac tue, un peu, beaucoup, tout le temps
On entend parfois l’adage « aucune cigarette n’est innocente ». Loin de repose sur une croyance populaire, il a été confirmé par des études, dont la première du genre fut menée en Norvège, qui dura trente ans et porta sur 43 000 personnes, et dont les résultats furent publiés en 2003.
Cette étude s’était penché spécifiquement sur les « petits fumeurs », notamment dans deux catégories qui nous intéressent particulièrement, les personnes fumant de 1 à 4 cigarettes par jour, et celles fumant entre 5 et 10 cigarettes par jour, ces deux groupes trouvant un écho aujourd’hui dans la moyenne de consommation des vapofumeurs.
D’emblée, le premier chiffre laisse augurer du résultat : une personne consommant entre une et quatre cigarettes par jour a 165 % de chances de plus qu’un non fumeur de mourir d’une maladie cardiovasculaire, le ratio exact étant de 2,65 contre 1. Entre 5 et 9 cigarettes, le ration est de 2,67, et ainsi de suite jusqu’au ration maximum calculé par l’étude, soir 4,07 contre un pour un fumeur à plus de 25 cigarettes par jour.
Seul le cancer suit un courbe parallèle avec celle de la consommation : une personne qui fume de 1 à 4 cigarettes par jour a 9 % de chances de plus d’en avoir un qu’un non fumeur, contre 257 % de plus pour une personne en fumant plus de 25 quotidiennement. Bonne nouvelle ? Pas vraiment : ce chiffre est donné pour tous les cancers. Pour le cancer du poumon, le fumeur qui consomme quotidiennement 1 à 4 cigarettes par jour a 157 % des chances de plus qu’un non fumeur d’en être victime.
On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein : fumer moins de dix cigarettes par jour n’est pas la certitude de développer un cancer, par contre, si l’on entre dans cette catégorie, on a plus de chances d’en contracter un vraiment agressif.
Il ne faut surtout pas oublier que le cancer n’est pas le principal risque chez les fumeurs : il représente 44 000 décès en France, selon l’INPES, mais les maladies cardiovasculaires, AVC et infarctus le plus souvent, tuent 34 000 personnes annuellement.
L’étude le démontre sans conteste : même les petits fumeurs ou les fumeurs occasionnels mettent significativement leur santé en péril. Un fumeur sur deux meurt du tabac. Seule la consommation zéro de tabac permet de réduire efficacement les risques.
(Source : Health consequences of smoking 1–4 cigarettes per day)
Confronter le vapofumeur
Les vapofumeurs ne font pas exception à la règle : même si il est passé de quarante à dix cigarettes par jour, un vapofumeur conserve, dans l’absolu, le même nombre de chances de mourir du tabac, une sur deux. Il faut terminer le travail et le conduire à l’arrêt, ce qui est délicat.
Parce que le vapofumeur est un adversaire coriace. Il est parvenu à un objectif de consommation qui lui semblait inatteignable, dans la plupart des cas après des années d’échec, et il est sur un petit nuage. De surcroît, le fait d’avoir pu baisser sa consommation, dans de nombreux cas, lui donne l’illusion de la maîtriser. Il change de paradigme : le tabac n’est plus dans son esprit une drogue dont il doit avoir sa dose quotidienne, mais un petit plaisir qu’il peut s’accorder et qui rentre à nouveau dans son budget.
Et enfin, le vapofumeur se dit qu’il a fait bien assez d’efforts, et qu’il mérite une petite pause avant d’envisager l’arrêt, ce qui peut parfois se traduire par « j’arrêterai quand ce sera nécessaire ». Le problème, c’est que cet état de nécessité est souvent concomitant à des problèmes de santé, c’est à dire quand il est trop tard.
Certes, on survit plus facilement, de nos jours, à un cancer, un infarctus ou un AVC qu’il y a trente ans, mais il n’empêche : aucune des maladies liées au tabac n’est anodine, les traitements en sont lourds et les conséquences importantes. Demandez à une personne victime d’un infarctus si sa vie a changé…
Haro sur le vapofumeur
Pour toutes ces raisons, et certainement d’autres non évoquées ici, il convient de lutter contre le développement des vapofumeurs. Pour leur bien, tout d’abord. Pour le bien de tous, ensuite : il y a énormément de fumeurs qui sont persuadés qu’arrêter, même grâce à la vape, sera un effort colossal.
Leur donner à voir des vapofumeurs les motivera à faire un effort insuffisant, puis, satisfaits du résultat qu’ils s’étaient fixés, les fera s’enfermer dans cette situation confortable mais vaine en terme de santé.
L’existence de ces vapofumeurs arrange beaucoup de monde : l’industrie du tabac, qui pourra continuer à leur vendre des cigarettes ET des kits de vape, et les buralistes qui conserveront plus aisément cette clientèle, satisfaite de trouver au même endroit leur tabac et leur vape, sans subir cette pression des boutiques de vape qui les poussent à arrêter totalement.
Les acteurs de la vape, là dedans, ont le mauvais rôle, celui de rabats-joie. Pourtant, au lieu d’encourager, même passivement, les vapofumeurs, il faut terminer le travail et en faire des non-fumeurs. Ne pas le faire serait contrevenir au sens même du vapotage.