Une intervention a été fort remarquée lors de la dernière conférence du Vapexpo le lundi 7 octobre : un homme, se présentant comme un cadre de BAT (British American Tobacco), est intervenu dans le public et a tenu un discours politiquement peu correct, selon les critères habituels de l’industrie du tabac. Les faits, les gestes.
Un intervenant surprise
Tout commence à Vapexpo. Une conférence réunit quelques intervenants bien connus de la vape, parmi lesquels l’américain Dimitris Agrafiotis, figure incontournable du militantisme pro-vape aux États-Unis. Sur le plateau ce dernier s’en prend assez ouvertement à l’industrie du tabac, expliquant que la participation revendiquée de l’industrie du tabac à la politique de santé publique est une aberration tant qu’elle continue à vendre des cigarettes combustibles.
Un homme prend alors la parole dans l’assistance. Il explique s’appeler Xavier et travailler chez British American Tobacco (BAT, qui fabrique notamment les cigarettes Lucky Strike et les vapoteuses Vype). Il a été présenté dans les rediffusions de la vidéo comme un cadre dans l’entreprise. Ce qui est exact, mais il ne s’agissait pas ce jour-là de n’importe quel cadre : c’est Xavier Brunschvicg, Directeur de la communication et des affaires publiques France de la marque.
Autant dire que ce n’est pas l’expression d’un employé lambda, effrayé par l’idée de perdre son poste sur une chaîne de production. La parole portée par Xavier Brunschvicg engage ce lundi BAT, que BAT le veuille ou non, d’ailleurs.
Un méchant assumé
Xavier Brunschvicg souhaite répondre sur les intentions du marché du tabac. « Nous avons dépensé plus de 5 milliards (de livres sterling, N.D.R.) en R&D, mais ce n’est pas pour tuer le marché. Notre objectif, c’est de faire grossir la catégorie. »
« Moi, mon travail aujourd’hui, c’est d’aller voir des députés, des journalistes, des autorités de santé et de leur expliquer pourquoi, aujourd’hui, la cigarette électronique répond à des enjeux de santé publique. »
« Oui, on veut un marché qui soit plus réglementé, oui, on veut plus de responsabilités de la part des compagnies. On considère que, si on n’est pas plus responsables, on ne va nulle part. »
Un intervenant rappelle alors que « l’industrie du tabac a tué 100 millions de personnes au 20 éme siècle » et que voir l’industrie du tabac essayer de « voler » le marché de la vape le met hors de lui. « La seule chose qui vous intéresse c’est l’argent, vous devriez aller vous cacher, c’est une honte ! ».
Xavier Brunschvicg reprend alors la parole, « On n’est pas responsable de 100 millions de morts, on est responsable de plus que ça. Plus que toutes les guerres mondiales réunies au XXème siècle. Tous. Et on le sait ».
L’Ironman triathlète pose ensuite la question « On arrête de produire des cigarettes, est-ce que les gens vont arrêter de fumer ? » Le tabacologue Jacques le Houezec rétorque « si on leur propose des substituts qui marchent, oui ». Xavier Brunschvicg enchaîne « et c’est ce sur quoi on travaille ».
« Aujourd’hui, on continue de gagner de l’argent sur la cigarette » poursuit Xavier Brunschvicg « moi, mon salaire, il n’est pas payé par le vapotage, mais par la cigarette ».
Xavier Brunschvicg explique ensuite que l’argent gagné sur la cigarette tabac (BAT a réalisé un chiffre d’affaires de 24,4 milliards de Livres Sterling en 2018*) est réinvesti en partie dans la recherche sur les produits à risques potentiellement réduits « si on propose des produits qui ne vont pas tuer la moitié de nos consommateurs, j’en serais le premier content. Mais il est illusoire de décréter l’arrêt de la production de cigarettes. »
Pour Xavier Brunschvicg, l’arrêt de la production de cigarettes par les opérateurs actuels ne réglerait pas le problème du tabagisme, les consommateurs se tourneraient alors vers le marché parallèle ou des fabricants moins scrupuleux. Selon sa théorie, si BAT ou d’autres grands cigarettiers arrêtent de fabriquer des cigarettes, les fumeurs ne cesseront pas de fumer, mais ces grosses entreprises ne disposeront plus des fonds pour faire de la recherche sur des produits de nouvelle génération.
Xavier Brunschvicg prend ensuite le problème de l’argent. Il souligne qu’il a travaillé dans l’industrie pharmaceutique, accusée de vendre des traitements beaucoup trop cher. « Mais on sauve des vies » conclut-il.
Dimitris Agrafiotis reprend alors la parole « Si ce que vous dites est vrai, où êtes-vous aux USA ? » l’activiste souligne que, malgré leurs bonnes intentions affichées, les cigarettiers ne prennent pas la défense de la vape aux USA, appuyant même, selon lui, les mesures d’interdiction des arômes qui occupent les débats politiques du moment.
La vape, une “catégorie” de produit
Xavier Brunschvicg se voit ensuite demander si, à l’instar des professionnels indépendants de la vape qui travaillent à longueur d’année pour proposer les produits les plus sains possible, le fabricant de Lucky Strike peut s’engager à faire des produits de vape aussi sûrs. « D’habitude on nous accuse de vouloir mettre en place des règles qui sont trop élevées, et qui risquent de tuer le marché. Alors que nous, on est plutôt favorable à des règles qui permettent de restaurer la confiance », le Directeur de la communication et des affaires publiques de BAT reconnaît ce jour là que le fait que « Big Tobacco » intervienne dans la vape peut faire peur. Mais il insiste sur le travail que fait son entreprise pour imposer « un cadre réglementaire qui soit favorable à l’émergence de la catégorie ».
La théorie que Xavier Brunschvicg développe, c’est que le consommateur dans un bureau de tabac achètera un pod de cigarettier pour arrêter de fumer avant de se tourner vers la vape plus évoluée dans les vape shops.
Xavier Brunschvicg, interpellé à propos du développement de la vape en France, souligne que le pays est pourtant à la peine en terme de prévalence tabagique, alors que l’Angleterre obtient de meilleurs résultats. Une déclaration qui lui vaut, sur ce sujet, d’être renvoyé dans ses buts par Jacques Le Houezec qui souligne que « l’attitude des gouvernements des deux pays n’est pas comparable ».
Dimitris Agrafiotis conclut ce débat en rappelant qu’il n’a pas de problème avec les produits de vape de l’industrie du tabac, mais qu’il a un problème avec la stratégie que déploie cette industrie pour essayer de monopoliser le marché. « Je crois en la réduction des risques, je ne crois pas au monopole » conclut le militant américain.
Un coup de fil surprenant
Après avoir scruté cette intervention dans tous les sens, nous avons décidé de demander à BAT eux-même ce qu’ils en pensaient. Ce qui a déclenché une réaction en cascade, se terminant par un appel de Xavier Brunschvicg lui-même, en ces termes « Il paraît que vous préparez un article pour m’allumer, je voulais vous remercier » explique-t-il avec beaucoup d’ironie, avant de poursuivre sur le même ton « honnêtement, je ne sais pas demain si j’aurais une prime ou ma lettre de licenciement ». Sans que cela semble l’inquiéter, il est au contraire enchanté que la polémique serve sa stratégie pour révolutionner les habitudes de Big Tobacco.
Si on voulait caricaturer l’industrie du tabac, on pourrait dire qu’un professionnel de Big Tobacco, lorsque vous lui demandez s’il fait beau aujourd’hui, réfléchit à sa réponse, la soumet au service de communication, qui l’a soumet à l’agence des relations publiques, qui établit un projet, qu’elle soumet ensuite à la hiérarchie, qui le fait relire par une armée d’avocats et de lobbyistes, avant de l’autoriser à vous dire « oui, mais la pluie menace ».
Et ça, de son propre aveu, Xavier Brunschvicg n’en peut plus. A contre-courant, il prône pour une communication plus claire et moins policée de l’industrie du tabac en général, et de BAT en particulier.
Il ne regrette donc pas, dans cette optique, son intervention au Vapexpo, pas plus qu’il n’en retire un seul point. Il ne voit pas non plus son intervention comme l’expression d’une déclaration de guerre de l’industrie du tabac contre celle de la vape indépendante, mais pour souligner que la vape a besoin du tabac si elle veut exister. Il soutient enfin l’interdiction de certains arômes qui, selon lui, « attirent les jeunes », prenant pour exemple la Barbe à Papa.
Réaction de France Vapotage
Si les syndicats, associations et fédérations de la vape ont, dans l’ensemble accueilli assez fraîchement l’intervention de Xavier Brunschvicg, il en est une dont la réaction était très attendue : France Vapotage, dont BAT est un des membres par l’intermédiaire de sa marque de cigarette électronique Vype.
« Ces propos d’un salarié de BAT n’ont pas été tenus au nom de notre fédération et ne l’engagent donc en aucun cas. Mais je tiens à rappeler avec force le positionnement de la fédération. France Vapotage a pour vocation de promouvoir la vape auprès des pouvoirs publics, afin d’obtenir de leur part la reconnaissance de cet outil et de son intérêt en termes de santé publique. Nous sommes aussi attachés à ce que le secteur préserve un jeu concurrentiel libre, où les acteurs de toute taille et origine peuvent se positionner et assurer la qualité des produits et la sécurité des consommateurs.
Dans ce combat, et plus encore dans le contexte actuel, toute perception de division et de tension entre les acteurs de la filière porte préjudice à l’ensemble de notre secteur. C’est pourquoi je regrette cette intervention.
L’important, c’est cette volonté d’union qui nous a conduit à rassembler pure players et industries issues du tabac. BAT est l’une de ces industries engagées dans une vraie transformation. Elle est, comme mon entreprise, membre fondateur de France Vapotage. Elle participe depuis un an à notre démarche dans un esprit de responsabilité et en adhésion totale à nos valeurs et nos engagements ». Vincent Durieux, Président de France Vapotage.
Il faut avouer que Xavier Brunschvicg a du cran et fait ce qu’il préconise en matière de communication. Nous étions au Vaping Post, plutôt habitués aux discours politiquement corrects de la part des cigarettiers. La méthode Brunschvicg décoiffe mais il lui faudra sans doute encore beaucoup de souffle pour balayer toutes les cendres de son employeur milliardaire. Cette conférence mouvementée du Vapexpo s’est en effet terminée avec l’intervention poignante de cette dame dans l’assemblée, qui lui a valu des applaudissements.
“Moi je ne les crois plus. Ils nous mentent depuis plus de cent ans. Donc il peut venir monsieur BAT avec toutes ses bonnes idées, et ce n’est même pas la peine qu’il vienne me voir après. Je ne le crois plus. On m’a menti. J’ai vu trop de gens, à commencer par le père de mes enfants qui est décédé d’un cancer du poumon. Donc merde quoi, allez vous faire voir.”
A l’heure où nous écrivons cet article, Xavier Brunschvicg semble être toujours en poste. Nous ignorons s’il a eu une prime.
Suite à notre article, la BAT a tenu à nous faire savoir que le poste de Xavier Brunschvicg est “Directeur Affaires Publiques France”. « BAT précise que les propos tenus par Xavier Brunschvicg à Vapexpo l’ont été à titre personnel, tant sur la forme que sur le fond. Ils ne reflètent pas les positions de l’entreprise et n’engagent pas le Groupe BAT ».
Mise à jour : Ce 23 octobre le téléphone professionnel de Xavier Brunschvicg redirige vers un message automatique indiquant qu’il est injoignable pour une durée indéterminée et qu’il n’a pas accès à son réseau professionnel, nous invitant à le contacter sur son numéro personnel.
Nous ne savons pas si la position de Mr Brunschvicg est maintenue au sein de BAT, mais pouvons dores et déjà saluer l’audace et la franchise dont il a fait preuve au cours de nos différents échanges. Ses positions contrastées avec le discours institutionnel et traditionnel au tabac, a pour un bref moment rehaussé la qualité du débat.