La vape va provoquer la fin du monde, selon la Truth Initiative, qui se fend d’un clip métal pour l’affirmer aux jeunes. Notre distingué expert en riff tranchant et chant guttural l’a regardé pour vous.
La vape, c’est trop heavy métal
La Truth Initiative, association richissime de lutte anti-tabac américaine, vient de sortir un clip de métal pour mettre les jeunes en garde contre… La mangue dans la vape. Et la nicotine. Et les métaux. Vous l’aurez compris, tout cela est un peu confus.
Il faut dire que l’association a plus de moyens que d’idées : un milliard de dollars de fonds propres, cent millions de dépenses par an, comme on dit dans Jurrassic Park “ils peuvent dépenser sans compter”.
Le problème, c’est que la Truth Initiative (“Initiative vérité”, rien que ça) n’a pas que le tabac dans le collimateur : leur bête noire, c’est le vapotage. Et cela les conduit à deux dérives : ficher plus souvent que de raison une paix royale à Big Tobacco qui n’en demandait pas tant, et mentir comme des arracheurs de dents, ce qui, quand on s’appelle Vérité, n’est pas très sérieux. Mais il est vrai que le concept de vérité est très relatif.
Mais peu importe à ces preux chevaliers auto-adoubés, l’essentiel est de porter leur message afin que la jeunesse puisse l’entendre, et pour cela, tous les moyens sont bons (et l’argent n’est pas un problème). Récente initiative en date, un morceau de musique métal qui dénonce… Le métal, ou plutôt les métaux lourds contenus dans la vape et qui pourraient provoquer la fin du monde.
Parce que pour Truth Initiative, ce sont les millions de cigarettes électroniques et leurs composants en métaux lourds, plastiques, et les résidus de liquide nicotiné (“saveur mangue” précisent-ils, en référence à la saveur de Juul qui est censée attirer le plus de jeunes dans la vape) qui, jetés dans la nature, provoquent la pollution.
Il y a certainement une part de vérité, si les gens se conduisent comme des sagouins et jettent n’importe quoi, n’importe où. De ce point de vue, la vape peut être polluante, mais une solution simple existe, le recyclage. Et si Truth Initiative s’insurge contre la pollution causée par la vape, nous attendons avec impatience leur clip anti téléphone portable, anti fast food, anti à peu près n’importe quel produit technologique, le nombre d’utilisateur de téléphone portable étant très nettement supérieur au nombre de vapoteurs dans le monde. Et, charitablement, nous n’aborderont même pas le sujet des mégots…
Ceci étant réglé, nous allons passer au sujet qui nous intéresse : le clip. Alors, musicalement, du métal produit avec des millions de dollars, ça donne quoi ?
Critique musico-bruitiste
Si Truth Initiative ne connaît manifestement pas très bien le sujet du vapotage, il faut reconnaître qu’en musique métal… C’est un peu pareil.
Le clip montre un groupe constitué de deux guitaristes et d’un vocaliste, portant des masques peut-être censés adresser un clin d’oeil à Slipknot, mais qui font plus penser que les protagonistes ont trop honte et n’ont pas envie d’être reconnus. Ils font semblant de jouer sur un fond vert bas de gamme, sur lequel sont projetées des images de pollution apocalyptique.
Enfin, pollution apocalyptique, quiconque a déjà fréquenté une plage de la Côte d’Azur après le passage des touristes a vu pire. Régulièrement, des pods apparaissent, pour bien insister sur le fait que c’est la vape qui a fait tout ça. Heureusement qu’ils le précisent, parce qu’en dehors de ça, aucun déchet du vapotage dans les immondices exhibés.
Musicalement ? Ah, musicalement, comment dire ? Les guitaristes maîtrisent la base du thrash, à savoir la corde Mi grave jouée à vide et très vite, mais dès qu’il s’agit de complexifier un peu la chose, on a droit à deux riffs. Pris indépendamment, on dirait juste qu’ils sont mauvais, sans intérêt, ni portée, ni puissance, ni imagination, mais qui, de surcroît, ne vont pas du tout ensemble.
Note pour le responsable des sous-titre : un solo, ce n’est pas un “sick riff”.
Note au guitariste : quand le réalisateur filme en gros plan ledit solo, ce serait bien de penser à bouger un peu les doigts.
Le chanteur a encore moins de qualités vocales que Dave Mustaine, ce qui ne l’empêche pas d’essayer de chanter comme Tom Araya. Sauf que le style syncopé de Slayer est très travaillé, les enchaînements sont tous impeccables, contrairement à ce “plus nicotine” qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, ou comme un fan de Dragon Ball dans un colloque sur la physique nucléaire.
Mais bon : au moins, le travail du vocaliste est au diapason de celui des guitaristes. Ah, au fait, pour ceux qui, à ce stade, ne l’auraient pas encore remarqué, ou qui n’auraient pas été voir la vidéo, c’est le même, et un peu de montage vidéo. Mais manifestement, dans sa tête, ils sont plusieurs : quand on lui donne une guitare, il se rappelle qu’il est dans un clip de métal, et pense à headbaguer un peu, mais pas trop fort, sinon on se fait mal à la nuque (la bruit que vous entendez en lisant ça, c’est Tom Araya qui rigole). Mais au micro, il gesticule comme un rappeur. J’espère pour lui que ce n’est pas censé être un hommage à Mike Patton, parce que là, il y a matière à procès.
Le mixage donne à l’ensemble un son à peu près aussi agréable à écouter qu’un album de Megadeth. Ou, si vous n’avez jamais écouté Megadeth, c’est à peu près aussi puissant que Zazie qui ferait une reprise de Mylène Farmer sous anesthésie générale.
Vivement l’album ?
Truth Initiative pourra s’estimer chanceuse si les groupes de métal sus-cités, auxquels pourraient se joindre bien d’autres, ne lui font pas un procès pour outrage. Si le but était de s’adresser aux jeunes fans de métal, c’est raté. Si le but est de s’adresser à quelqu’un d’autre… Et bien, c’est manifestement un échec également, puisqu’on ne voit pas très bien à qui.
En revanche, le clip risque de pas mal circuler et de trouver son public parmi les fans de choses un peu ridicules et ringardes, dont les adolescents sont souvent assez friands. Et on peut même soupçonner que, très bientôt, les pods nicotinés parfum mangue vont connaître un vrai succès.