Quand on aime l’histoire, on aime les batailles. Et comme aujourd’hui, l’article du vendredi a épuisé toutes ses blagues sur la taxe, plus la taxe, re-la taxe et re-plus la taxe, pas d’humour. À la place, une histoire vraie. Est-ce que je profite de ma position pour raconter avec nonchalance ma bataille préférée ? Certainement. Un rapport avec la vape ? Peut-être, mais métaphorique, alors.
Main de bois, main de fer
Vous savez que la France et le Mexique ont été en guerre ? Entre 1861 et 1867, plus précisément, lors de l’expédition du Mexique, pour une longue et complexe histoire de succession et d’alliances. Bref, là n’est pas le sujet.
Le 29 avril 1863, un convoi français de ravitaillement comportant des munitions, des vivres et des médicaments part de Veracruz pour se rendre à Puebla, où la bataille fait rage. Des informations du renseignement affirment que les Mexicains prépareraient une embuscade sur la route.
Évidemment, les généraux, ça ne les arrange pas trop, cette histoire. Les deux moitiés du corps expéditionnaire français sont engagées chacune dans leur coin, il ne reste plus trop personne de disponible. Ah ! Si, il y a ces gars, là, qui devaient rester en France, mais qui ont insisté pour venir donner un coup de main. On leur confie les tâches subalternes.
C’est un régiment fondé en 1831 pour permettre d’intégrer tous ceux dont l‘armée ne veut pas, histoire d’avoir un peu de chair à canon en plus. On y met les étrangers et les voyous. Comme ils étaient nombreux, on a appelé ça la Légion, et comme c’étaient des pas français, on l’a qualifiée d’étrangère.
Donc, un colonel dit à un officier de la Légion qui passait par là, le Capitaine Danjou, de prendre quelques gars et d’aller faire un peu de repérage sur la route. Et s’ils voient des Mexicains, de revenir le lui dire.
Le capitaine Danjou avait été déclassé de l’armée après voir perdu une main. Mais il s’était fabriqué une main en bois, et avait lourdement insisté pour retourner se battre. L’état-major lui avait alors confié un commandement dans la légion pour qu’il leur fiche la paix.
Donc, voilà le Capitaine Danjou et 62 autres gars partis gaiement se promener dans le désert mexicain. Il fait chaud, certes, mais ils ont du ravitaillement porté par des mules, ça devrait aller.
Alors qu’ils arrivent en vue d’un petit village abandonné, et qu’ils s’arrêtent pour faire chauffer du café après avoir marché toute la nuit, un coup de feu atteint un des soldats. Effrayées, les mules prennent la tangente. Le Capitaine Danjou avise un petit groupe de Mexicains dans les ruines du village, et c’est à ce moment-là que 300 cavaliers mexicains les chargent.
Le carnage est total. Inattendu, mais total : les 63 légionnaires mettent en déroute les 300 cavaliers. Danjou repère un buisson de cactus, ordonne à ses hommes d’aller s’y abriter, juste au moment où les cavaliers survivants reviennent. Ils en redemandent, ils sont servis : deuxième déroute pour la cavalerie. Danjou voit alors une ferme abandonnée pas loin, et se dit, parce que c’est un homme intelligent, que des murs sont plus solides que des cactus.
Et c’est ainsi qu’ils arrivent dans une petite hacienda en ruines dans un coin du Mexique dont personne, même les Mexicains, ne se rappelle du nom. Ça va très vite changer.
Tandis que les légionnaires barricadent la ferme avec ce qu’ils trouvent, Danjou et ses officiers jettent un coup d’œil dehors. Et là, mauvaise nouvelle : les 300 cavaliers ont été rejoints par le reste de l’armée mexicaine. Enfin, pas toute l’armée mexicaine, mais quand même : 2000 hommes. Et les Mexicains ont de meilleurs fusils, ils ont des munitions, de l’eau en quantité, bref, ça va être dans un fauteuil, pour eux. Les légionnaires ont d’antiques pétoires, quelques munitions qu’ils portaient sur eux, et leurs gourdes d’eau, point.
Le colonel qui dirige le détachement mexicain est un homme bien élevé. Il envoie un émissaire pour dire aux légionnaires : « bon, les gars, soyez sérieux, rendez-vous ». Ce à quoi les légionnaires répondent « non ».
Le colonel mexicain soupire. « On dirait qu’on va avoir une bataille ». C’est un homme qui a maintes qualités, mais ce n’est pas un visionnaire. Il ajoute donc : « celle-là, personne ne va s’en souvenir ». Et comme on nomme les batailles du nom du village le plus près d’où elles se trouvent, il demande à un officier : « Comment ça s’appelle, ici ? ».
L’officier consulte sa carte et répond : « Camerone ».
Le colonel n’a pas de temps à perdre, il est là pour intercepter un convoi français. Le convoi dont on parlait plus tôt. Il ordonne donc à ses 2000 hommes de donner l’assaut et d’en finir avec cette poignée de pignoufs. Ce qui est fait. Sauf que…
… Sauf que le colonel est très surpris de voir revenir ses 2000 hommes, moins un bon paquet, la queue entre les jambes, pour expliquer qu’ils se sont pris une sévère déculottée. Il regarde sa montre : huit heures du matin. Il soupire : « bon, on y retourne. Pliez-moi ça pour huit heure trente maximum ».
À dix-sept heures, il reste encore douze légionnaires en état de combattre dans la ferme, les autres, dont le capitaine Danjou, sont morts ou blessés. Plus tôt le matin, le capitaine leur avait fait prêter serment qu’ils continueraient de se battre tant qu’ils auraient des munitions. Ils n’en ont plus. Mais ce n’est pas grave : il leur reste des couteaux et des baïonnettes.
Le colonel mexicain s’apprête à ordonner une dernière charge, mais il arrête son bras quand il voit douze légionnaires, baïonnette en avant, qui les chargent ! Douze contre mille quatre cents Mexicains encore en état de se battre. Et il entend ses propres soldats dire : « ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons ».
Il se rend alors personnellement auprès des légionnaires, et leur demande de se rendre. Le plus gradé, le caporal Maine, répond alors : « d’accord, mais vous soignez nos blessés, vous nous laissez nos armes et nos uniformes, et vous vous engagez à dire partout que nous avons fait notre devoir jusqu’au bout ».
Le colonel met donc fin à la bataille de Camerone en répondant « on ne refuse rien à des hommes tels que vous ». Les Mexicains tiendront toutes leurs promesses, et les prisonniers français seront ensuite échangés contre des prisonniers mexicains, au tarif d’un contre dix.
Seul un légionnaire, un jeune soldat, parviendra à s’échapper discrètement avant la reddition, à la demande du caporal Maine. Il parcourra à pied les 25 kilomètres qui le séparent de la base française, sous un soleil de plomb, sans avoir bu une goutte depuis le matin, et, arrivé sur place, expliquera qu’il doit faire un rapport, mais qu’il voudrait bien un verre d’eau, avant. Parce que les ordres de l’État-Major étaient clairs : s’ils voyaient des Mexicains, ils devaient revenir le dire. Ils en ont vu, ils l’ont dit.
Du côté français, on déplorera trente morts et vingt blessés, du côté mexicain, trois cents morts et plusieurs centaines de blessés. Le Mexique, encore aujourd’hui, honore la promesse de son colonel, en honorant chaque année sur les lieux les morts des deux camps en présence d’une délégation française, ce qui est très élégant et beau joueur. Le drapeau de la Légion étrangère porte l’inscription « Camerone » et chaque légionnaire prête le « serment de Camerone ». La main du Capitaine Danjou est, aujourd’hui, au musée de la Légion.
Mais, et le rapport avec la vape ?
J’espère que l’histoire vous a plu, mais, certainement, vous vous demanderez quel est le rapport avec la vape ? Et bien, c’est métaphorique. Disons que la résistance d’un groupe de personnes sous-équipées et très inférieures en nombre, mais très, très déterminées à montrer qu’ils ne plaisantent pas peut tenir en respect un flot massif d’ennemis, voilà qui devrait parler à certains.
Vous dites ? J’ai envie de vous parler de Camerone la semaine où le Mexique veut constitutionnaliser l’interdiction de la vape tandis que la France a clairement refusé de la taxer ? Non, je ne vois pas le rapport, ça doit être une coïncidence.