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Nudge et lutte antitabac : des pissotières d’Amsterdam au Prix Nobel d’économie

Mis à jour le 12/10/2017 à 16h04
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Le prestigieux Prix Nobel d’Économie a été attribué hier à Richard Tahler, théoricien de la finance comportementale. Et nous ne pouvions qu’en parler, parce qu’il existe un lien précis entre la théorie des comportements irrationnels énoncés par le récipiendaire, la lutte contre le tabagisme en Angleterre… et les urinoirs d’Amsterdam.

De la théorie…

Bien entendu, le résumé qui suit ne peut qu’effleurer la pensée développée par le prix Nobel d’économie 2017, Richard Tahler. Aussi les puristes nous pardonneront cette simplification.

Richard Tahler

L’idée de Richard Tahler est celle de la césure des comportements économiques des individus, qui tendent, arrivés à une certaine limite, à devenir irrationnels. Plus précisément, il a démontré que les individus simplifient toute prise de décision financière en créant des cases séparées dans leur réflexion pour réfléchir à chaque aspect individuellement. Ainsi, un processus d’acquisition est pris en fonction de “l’impact de plusieurs décisions individuelles plutôt que sur l’effet global.”

Dans son travail, une démonstration, également, de la théorie des pertes” qui démontre qu’un individu attache plus d’importance à une chose s’il la possède que si il ne la possède pas.

La conclusion des travaux de Richard Tahler est que le meilleur comportement à adopter pour influencer la consommation des individus sans les priver de liberté est l’incitation douce. C’est à dire, au lieu d’essayer de convaincre une personne globalement, lui donner des arguments pour remplir certaines de ces cases, en misant sur sa nature humaine. C’est ce qu’on appelle le “paternalisme libertarien”, mettre en avant une solution plutôt qu’une autre sans obliger la cible à y souscrire.

On peut le résumer ainsi “Fais ce que tu veux, j’attire juste ton attention sur le fait que ça, c’est pas mal, non ?” ? Un “coup de pouce”, appelé “nudge” en anglais, qui est passé dans le vocabulaire économique courant, dont l’application s’appelle “nudging”.

Des pissotières au tabac

Un exemple d’application réussie de sa théorie se retrouve… Dans les pissotières publiques d’Amsterdam. Pendant des années, les pouvoirs publics ont essayé de sensibiliser les individus à un comportement hygiénique et bien élevé, à savoir d’avoir l’amabilité de bien vouloir diriger le jet là où ce sera le plus efficace. En vain.

Jusqu’au jour où ils ont collé des mouches dans les urinoirs. Immédiatement, le flux de miction mal dirigé s’est tari, et la propreté spontanée des lieux (c’est à dire avant le passage des agents d’entretien) a augmenté de 80 %.

L’application du nudging a été mise en œuvre par David Cameron dans le système de santé britannique, particulièrement dans la lutte antitabagique. Cette application a pris place dans une politique plus vaste dont l’objectif est “d’utiliser plus intelligemment chaque livre du contribuable britannique”.

Application concrète du Nudge

Ainsi, la philosophie de la lutte antitabac au Royaume-Uni est désormais, plutôt que d’essayer de contraindre et d’interdire, d’informer au mieux les citoyens, de telle façon qu’ils fassent en toute connaissance de cause leur choix, qui, selon les statistiques, devrait être dans 80 % des cas le meilleur pour eux. L’exemple de la vape est édifiant : les campagnes de Stoptober au Royaume Uni montraient, par exemple, des affiches posant la question “Time to switch ?” et précisant que la vape est 95 % moins dangereuse que le tabac. Pas de mesures coercitives, mais un simple message “Vaper est beaucoup moins dangereux que fumer. Tu fais ce que tu veux, mais maintenant, tu le sais”.

L’application du nudging en France est, semble-t-il, moins évidente à mettre en œuvre. Cela vient de spécificités culturelles. Ainsi, ce qui est vu comme une théorie intéressante dans le monde anglo-saxon est dénoncée dans l’hexagone comme une “infâme technique de manipulation des esprits”. Ce qui lui est reproché est d’avoir des applications consuméristes.

Et surtout, le nudging doit, pour être efficace, alléger voire renoncer à la contrainte. Par exemple, si une campagne basée sur le nudge est mise ne place pour expliquer que vapoter est mieux que fumer dans la rue, mais que dans le même temps, une interdiction de fumer dans la rue est mise en place, la cible ne verra que la contrainte et restera hermétique au message. Autant dire qu’elle resquillera à la moindre occasion.

En attendant, Richard Tahler, qui ne fume pas, a promis de dépenser les 944 000 euros du prix Nobel de la façon la plus irrationnelle possible. On ne pourra pas lui reprocher de ne pas s’appliquer sa théorie à lui-même.