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La ferme bio de Pigerolles : l’agriculture libertaire

Mis à jour le 20/09/2022 à 16h20
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Alors que la culture de la plante pour sa fleur et son extraction sont toujours interdites en France, des agriculteurs français persévèrent à faire reconnaître, sur le terrain, que la fleur de chanvre peut être cultivée sur notre territoire et dans les règles de l’art. Rencontre avec des paysans engagés.

La ferme de Pigerolles, implantée au cœur de la Creuse, est une exploitation tournée historiquement vers l’élevage de bétail et la culture de céréales. Tenue depuis plusieurs générations, c’est Jouany Chatoux qui en est aujourd’hui le gérant, et il mène, avec son coéquipier Jérémy Gaillard, l’ensemble de cette entreprise “bio haut de gamme” résolument tournée vers les circuits courts et le développement durable. 

Un enjeu économique énorme

C’est en répondant à l’appel d’Eric Correia, président de la Communauté d’Agglomération du Grand Guéret, qui défend corps et âme la filière chanvre sur son territoire, que ces agriculteurs ont décidé, il y a quelques années maintenant, d’élargir leurs compétences et de se lancer dans l’expérimentation de cette nouvelle culture. Loin de ses itinéraires industriels habituels et en dehors des sentiers réglementaires, le chanvre bien-être représente pourtant un enjeu économique énorme pour la région. Il demande aussi une certaine audace que tous ne sont pas encore prêts à avoir.

Prouver que la France peut s’engager dans une filière vertueuse, montrer que l’agriculture de notre pays saura répondre aux besoins du marché, si tant est que celui-ci veuille bien se structurer légalement, ce sont ces idées fortes qui animent encore aujourd’hui les deux exploitants. Mais quand on évoque avec eux ce nouveau pan de leur activité, l’enthousiasme se transforme parfois en agacement. Déjà, en juin 2019, leurs élus locaux présentaient la filière creusoise à l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) avec pour objectif de présenter l’intérêt et la pertinence de la culture du cannabis thérapeutique en Creuse. Mais les chemins politiques sont sinueux et le sujet n’est pas très attractif pour les politiques, sans doute encore trop proche, dans les représentations sociales, du cannabis récréatif. Depuis, c’est une attente interminable qui les ronge.

L’expérimentation de ce cannabis thérapeutique a bien démarré (timidement) en France, mais les agriculteurs de la Creuse n’ont pas été sollicités. Les produits au CBD commercialisés aujourd’hui sur le territoire ne sont pas non plus issus de notre agriculture, “alors que l’on a tout pour le faire, on marche sur la tête”, se lamente Jérémy Gaillard. Ce désarroi n’arrête pas pour autant les deux agriculteurs creusois, qui ont tout de même décidé de n’en faire qu’à leur tête et de continuer cette culture, un peu rebelle il faut bien le dire, sur le plateau de Millevaches.

“Nous avons mis en place des structures qui nous permettent de démarrer une sélection en intérieur”, explique Jérémy Gaillard, qui conduit ensuite le reste de la culture directement en plein champ, de mai à septembre. La ferme de Pigerolles développe également son activité avec un laboratoire de transformation, initialement utilisé pour la viande, et qui a été réhabilité pour la transformation de produits à base de chanvre. Au final, c’est tout un circuit qui est en train d’être mis en place, le tout dans un flou juridique qui en devient presque artistique.

À la trentaine de revendeurs qui font d’ores et déjà partie du portefeuille client sur le territoire, vient s’ajouter une clientèle qui se déplace directement à la ferme, “même si cela reste encore marginal, précise l’agriculteur. Nos revendeurs viennent nous chercher, car ils en ont marre d’acheter des produits étrangers de très mauvaise qualité, et veulent désormais des produits bio, français, avec une traçabilité complète comme nous le proposons.”

Une centaine de cultivateurs déjà regroupés dans une nouvelle association

Le mouvement Pigerolles, s’il fallait le nommer ainsi, inspire aussi d’autres agriculteurs qui se sont regroupés dans une association, l’AFPC, pour Association Française des Producteurs de Cannabinoïdes en mai 2020. “Nous avons déjà 130 adhérents, aux profils différents. Alors que certains se lancent pour la première fois cette année sur de petites surfaces, d’autres sont plus aguerris, et nous avons même des anciens cultivateurs de tabac qui se reconvertissent”, précise Jérémy Gaillard.

Cet engouement pour la fleur de chanvre n’a pas attendu l’affaire Kanavape. “En France, il y a eu une explosion pour le CBD dès 2017, l’État français a essayé de la ralentir comme elle le pouvait, mais ils n’y sont pas arrivés. Le jugement européen sur le cas Kanavape a finalement donné aux plus frileux l’élan nécessaire pour se lancer.”

Le problème reste une absence totale de reconnaissance de cette filière qui avance de force dans l’ombre, voire dans la crainte. Positivant, l’association entend constituer d’elle-même un savoir réel sur la plante, ses itinéraires culturaux et proposer un accompagnement à la création d’entreprises spécialisées. “Les chambres d’agriculture ne s’étant pas encore penchées sur le CBD du fait de son cadre juridique, aucune mise en contact avec les dérivés actuels de chanvre n’est possible pour eux”, explique l’organisme, dont les membres se voient contraints, pour les plus disciplinés d’entre eux, de produire à perte, puisque l’exploitation de la fleur reste interdite. “Le problème aujourd’hui, c’est que l’on préfère interdire la filière, plutôt que de la réglementer et de la structurer. La législation est complètement absurde, on ne nous laisse pas travailler”, déplore Jérémy Gaillard. 

En attendant que le gouvernement se penche sérieusement sur la question, des pays limitrophes s’en donnent à cœur joie en inondant le marché français, “avec des produits parfois douteux”, alerte le Creusois, qui rêve d’un feu vert gouvernemental pour officialiser une production française plus qualitative. L’agriculteur met en garde les consommateurs sur certaines fleurs provenant de l’étranger : “Les taux de THC sont plus élevés dans certaines productions étrangères, par conséquent les producteurs n’hésitent pas à utiliser des techniques pour faire baisser artificiellement ce taux à 0,2 %, notamment à l’aide de solvants, avant d’exporter en France, dont on retrouve des traces dans les produits finis, ce qui détériore par la même occasion la qualité de la fleur, privée de ses autres cannabinoïdes et des saveurs naturellement présents. Certains producteurs étrangers n’hésitent pas à pulvériser ensuite sur cette fleur de l’isolat de CBD, du CBD synthétique ou des terpènes dont on n’a aucune traçabilité. Le consommateur final n’a aucune idée de la manière dont ces produits ont été travaillés.”

“Nous défendons une filière de petits producteurs, des produits de qualité qui ne soient pas de l’isolat, mais bel et bien full spectrum, avec tous les bénéfices que comporte la plante.”

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