Le Ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, l’a réaffirmé ce lundi 14 septembre, et plutôt deux fois qu’une : non à la légalisation du cannabis. Et le Ministre prend pour exemple… la lutte contre le tabagisme. De quoi se rouler un petit spliff de paranoïa…
La drogue, c’est de l’excrément
« La drogue, c’est de la merde » disait un clip télévisé dans les années 1980. Pile à l’époque où le petit Gérald attendait sagement, le mercredi matin, son épisode d’un dessin animé traitant du problème des robots géants extraterrestres dans le Club Dorothée, comme tous les enfants de cette génération.
Force est de constater que le slogan a marqué les esprits, puisque, lorsque le petit Gérald, devenu depuis Monsieur Darmanin, Ministre de l’intérieur de la République Française, l’a dit sur LCI et lors d’un entretien paru le même jour dans l’Union, des millions d’adultes fort respectables se sont soudain retrouvés sans trop savoir pourquoi avec le générique de Goldorak en tête.
Mais le sujet n’était pas là. Le Ministre de l’intérieur parlait de drogue, et la citation complète (sur LCI) est « un slogan disait que la drogue, c’est de la merde, et on ne va pas légaliser cette merde ». Force est de constater que le Ministre a bien compris que simplicité rime avec efficacité.
Puis le Ministre a enchaîné « en France, on augmente le prix des cigarettes, courageusement, parce que le tabac est mauvais pour la santé. On ne va pas dire que le tabac, ce n’est pas bien et légaliser la drogue ».
Et c’est assez imparable. Non, pas le fond. La forme.
Parce que, si l’on creuse un peu le discours de Monsieur le Ministre, il faut lui concéder qu’en rhétorique, il est très doué. La formule est simple, facile à comprendre, avec des mots qui impactent, « la merde », « la drogue », « le tabac ».
Le raisonnement qui y est fait est également très facile à comprendre. Le cannabis, la drogue, le tabac, tout ça c’est pareil, c’est caca, normal que ce soit taxé et/ou interdit.
Les malheurs de sophisme
Mais, parce que bien entendu il y a un mais, la démonstration de Monsieur Darmanin est ce qu’on appelle un sophisme, un « raisonnement invalide, d’apparence rigoureuse et qui est prononcé avec l’intention de tromper pour convaincre, persuader ou manipuler ».
D’ailleurs, le philosophe Arthur Schopenhauer, dans son livre « L’art d’avoir toujours raison », approuve largement l’utilisation du sophisme pour « sa capacité à orienter la discussion, le discours, l’échange, autour de raisonnements employés à des fins de conversion de l’autre à une opinion plus qu’à des fins de manifestation de la vérité ».
Quel est le problème ? Ils sont nombreux. D’abord, Monsieur le Ministre parle de « la drogue » alors que lui est spécifiquement posé la question sur le cannabis. Gérald Darmanin entretient volontairement, dans l’usage du terme générique « drogue », la confusion entre le cannabis et les autres drogues, héroïne, cocaïne, LSD, etc. Etc…
Ensuite, le Ministre fait le parallèle entre la lutte antidrogue et la lutte antitabac. Soit entre d’un côté un marché légal et réglementé, dans lequel l’État a largement sa part, de substance contrôlées par les douanes, et de l’autre un trafic, avec tout ce que cela implique.
Enfin, il réduit la légalisation du cannabis au seul usage récréatif. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les associations de malades qui demandent depuis des années la légalisation du cannabis à usage thérapeutique se sont retrouvées éconduites sans la moindre considération. Les études scientifiques ? Au moins un débat ? « de la merde ».
Tout cela, au milieu d’un immense gloubiboulga, qui consiste in fine à dire « tout cela, c’est pareil » à propos de sujets qui ont des problématique pourtant aussi différentes que complexes. Il suffit de comparer un fumeur qui va à la pharmacie acheter des patchs à un héroïnomane qui se fait hospitaliser pour un sevrage, par exemple. Ne laissons pas le monopole du sophisme.
Ce qui est malin : celui qui viendra expliquer ensuite que tabac, cannabis, drogue, sont des sujets différents, et développera une argumentation plus fondée et complexe barbera le spectateur qui devra faire un effort de compréhension pour un sujet qui, souvent, ne le concerne pas directement, alors que la formule de Gérald Darmanin est tellement confortable, facile à comprendre et à retenir.
Donc non, tout cela n’est pas du tout pareil, mais bonne chance à qui se donnera pour mission de l’expliquer.
Le cauchemar rhétorique
Mais en quoi cela concerne-t-il la vape ? L’objet de cet article n’est pas du tout de prendre position en faveur ou en défaveur de la légalisation du cannabis. L’objet de cet article est de s’inquiéter, et il y a largement de quoi.
Sur la position de Gérald Darmanin à propos de la cigarette électronique, on se rappellera cette phrase, prononcée alors qu’il était Ministre du budget d’Edouard Philippe qui résume, à mon sens, à elle seule sa pensée sur le sujet : « En revanche, ils [les buralistes] ont à un moment refusé le commerce de la cigarette électronique. C’est à mon sens une erreur collective de ne pas avoir compris que ce commerce devait être leur monopole ».
Quel pouvoir a le Ministre de l’intérieur sur la vape ? Directement, aucun. Mais imaginons le Ministre impuissant à lutter contre le trafic de tabac, voulant donner des gages aux buralistes, et s’appuyant sur une taxe européenne pour justifier un monopole du réseau des buralistes, habilité et équipés pour prélever l’impôt. Parce que la taxe arrive, prétexte offert sur un plateau d’argent par l’Europe à un Ministre un peu ambitieux.
Imaginez maintenant Gérald Darmanin expliquer sur le même ton qu’il a utilisé pour la drogue « le gouvernement lutte contre le tabagisme en donnant le monopole aux buralistes, qui sont des partenaires de l’État, ce n’est pas pour laisser n’importe qui vendre de la nicotine ».
Parce qu’il est inutile de dire que si, pour Monsieur Darmanin, dire que la lutte contre la drogue et la lutte contre le tabac, c’est pareil, expliquer que la vape et le tabac, c’est la même chose, sera pour lui une simple formalité.
Il y a donc de quoi s’inquiéter. Ne sombrez pas dans la drogue pour autant, ce n’est vraiment pas le moment.
Cet article d’opinion n’engage que le point de vue de son auteur et ne représente pas forcément l’avis de la rédaction.