So Good fait des liquides, comme beaucoup, et c’est bien ; So Good en surveille et planifie la distribution, comme beaucoup, et c’est normal ; So Good les vend exclusivement aux buralistes, comme peu, et c’est une stratégie qui peut se défendre, jusqu’ici, rien d’extraordinaire. Mais So Good dézingue toute la filière et là, ça pose problème.
Ça tourne rond dans le losange
Dans Le Losange, le magazine des buralistes, les gérants de la société So Good n’y ont pas été de main morte. En effet, au cours d’une interview de Cédric Lacouture et Emmanuel Maizière, les deux gérants de cette société, après une première partie assez classique sur le thème “On n’arrête pas de grandir, c’est normal, on est tellement les meilleurs”, les deux hommes, tour à tour, dézinguent la profession. On vous cite LA phrase, celle qui conclut la réponse de Cédric Lacouture, mais attendez, asseyez-vous d’abord.
Non, nous sommes sérieux, asseyez-vous. Si vous êtes fabricant de liquide, si vous êtes vendeur de liquide, si vous êtes consommateur de liquide, vous allez avoir un choc, vraiment. Prêts ? On y va.
Prenez un verre d’eau. Respirez lentement. Voiiiiilà. Ça va aller. Est-ce que quelqu’un peut envoyer des ambulances chez tous les fabricants français d’e-liquide ? Avec des équipes de réanimation, merci.
Inutile, à ce point, de s’énerver contre le magazine Le Losange. Le journaliste ne fait que son travail, poser une question et retranscrire la réponse. Le Losange, quoique nos points de vue divergent, est toujours pondéré et professionnel. Ne vous agacez pas non plus contre les buralistes, surtout lorsque vous apprendrez que c’est par l’entremise d’un marchand de tabac, choqué par cette déclaration, que le magazine nous est parvenu.
En ce qui concerne Cédric Lacouture, c’était la conclusion de sa longue réponse, et elle non plus n’est pas piquée des hannetons. La question posée par le journaliste était “vous annoncez être la seule marque en France 100 % en règle avec la réglementation européenne”. Ça non plus, le journaliste ne l’a pas inventé, à priori, c’est bien une affirmation des dirigeants de la société.
Mais au fait, c’est qui, So Good ?
So Good est un fabricant de e-liquide et distributeur de matériel exclusivement dans le réseau buraliste. D’après les chiffres annoncés par ses dirigeants, la société vend chaque mois entre 300 et 400 000 flacons. Le chiffre d’affaires annuel de la société est d’environ 5 millions d’euros, y compris la distribution de matériel, Joyetech, Aspire, Vaporesso… aux buralistes, qui représente 25 % de son activité.
Direction générale de la concurrence et des médailles ?
D’ailleurs, Cédric Lacouture commence modestement “ce n’est pas pour briller”, et là vous devinez le mot suivant ? Le mot suivant est “mais”, exactement. “Ce n’est pas pour briller, mais ce sont les retours que nous avons de la DGCCRF”.
Donc, là, on voudrait nous faire croire que la DGCCRF fait le tour des points de vente, voit des choses qui lui plaisent, d’autres qui lui plaisent moins, et va ensuite voir So Good pour leur dire “c’est bien, ce que vous faites, les mecs, parce que les autres, là, houlala !”.
La DGCCRF, selon ses attributions, se contente de contrôler le respect de la législation. La non conformité entraîne une sanction, et la conformité, rien, puisque c’est le strict respect de la loi, donc normal. Ah, et les inspecteurs de la DGCCRF ne peuvent pas parler de ce qu’ils ont constaté ailleurs : l’article 11 du Code de Procédure Pénale leur impose le secret professionnel.
On biberonne à la norme ?
Mais le patron de So Good, qui vante sur son site internet le “goût onctueux d’une cigarette blonde“ enfonce le clou, en expliquant que chaque mise sur le marché requiert de soumettre une masse d’informations et que le tout est facturé 295 €. Ce qui est tout à fait exact, d’ailleurs, pour les e-liquides nicotinés, avec une homologation pour chaque taux de nicotine, etc. Là-dessus, pas de problème.
Ce qui est plus cavalier, c’est de dire “beaucoup de fournisseurs ne respectent pas cette procédure”. Ce qui est faux. Mettons côte à côte deux flacons de liquide nicotinés, un de So Good et un d’une autre marque. Les deux auront suivi le même parcours, les deux auront les même mentions sur l’étiquette, les deux respecteront strictement les même lois s’ils sont tous les deux disponibles dans le commerce.
Mais, si l’on s’en tient à la formulation de Cédric Lacouture “La plupart d’entre eux n’ont retenu que l’obligation du flacon de 10 ml”, cela voudrait dire que les autres fabricants de e-liquide ne disposent pas, sur leurs flacons, de tous les pictogrammes et mentions obligatoires, que les liquides, pour chaque dosage de nicotine, n’ont pas eu d’agrément, etc, etc. C’est peut-être un tantinet exagéré.
Enfin, quand on dit un tantinet exagéré, c’est un euphémisme. À ce stade, les fabricants de liquides français qui viennent de dépenser des dizaines de milliers d’euros pour se mettre aux normes et passer des journées entières à remplir un dossier par liquide sont en train de convulser devant leur écran.
Le directeur de So Good remet certainement en question la mode des biberons de e-liquide dans un format supérieur à 10 ml, sans nicotine, à booster en y ajoutant de la nicotine. Il n’est pas le seul à s’interroger sur cette pratique. Mais contrairement à ce qu’il sous-entend, il n’y a rien d’illégal là-dedans. On est dans un angle mort de la législation, oui, mais pas dans l’illégalité. Le jour où ce sera interdit, les fabricants et distributeurs se mettront en conformité, comme ils l’ont toujours fait.
À la fin de sa réponse, juste avant la fameuse sentence “il ne devrait y avoir que nous”, Cédric Lacouture déplore que, plutôt que leurs produits, les clients préfèrent “[…] des flacons non-réglementaires en verre […]”. On pourrait comprendre que les flacons en verre sont interdits. A tout hasard, nous avons vérifié, et non, les flacons en verre ne figurent pas sur la liste des matières interdites pour les contenants d’e-liquide.
Il y a peut être des flacons en verre, et parmi ceux-ci, certains qui ne sont pas réglementaires, mais si ils contiennent plus de 10 ml de liquide ou ne sont pas pourvus d’un bouchon avec sécurité enfant, ils ne sont de toute façon pas autorisés à la vente… Et donc, pas disponibles dans le commerce.
Le prix du flegme pour l’AFNOR
L’Association Française de Normalisation, dite AFNOR, n’est pas n’importe qui. C’est l’organisation française qui représente la France auprès de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et du Comité européen de normalisation(CEN). Elle est placée sous la tutelle du ministère chargé de l’Industrie. Bref, l’AFNOR, ce n’est pas le quidam moyen.
Certains fabricants de liquides, mais aussi des boutiques, ont fait la demande, et obtenu, une certification AFNOR. La certification AFNOR est établie en fonction du secteur d’activité, et, pour l’obtenir, le curseur est au-dessus du niveau minimum légal obligatoire. Composition du produit, traçabilité, réseau de distribution, processus de fabrication, qualification, même, de chaque personnel à chaque poste, la certification AFNOR est extrêmement exigeante.
Dans son interview, lorsque Cédric Lacouture souligne qu’ils devraient rester seuls sur le marché si les autres fabricants étaient contrôlés, il s’en prend à des confrères qui ont la certification AFNOR, et donc, par ricochet, à l’AFNOR, puisque, quelque part, cet organisme, selon lui, certifierait des entreprises hors la loi.
Nous avons donc, tout simplement, posé la question de manière très officielle à l’AFNOR. Qui nous a répondu, en une phrase, si l’on fait abstraction des formules de politesse.
“Nous n’avons pas d’avis ni de position à l’égard de la société So Good, d’autant plus que nous ne connaissons pas ses produits puisqu’ils ne sont pas certifiés.”
Sauf erreur de notre part, c’est un tacle en bonne et due forme.
À deux, c’est mieux
Pour appuyer les propos de son collègue, Emmanuel Maizière, qui répond à sa suite, fait plus sobre, mais tout aussi agressif. Il commence en effet par expliquer que, il y a cinq ans, avant l’arrivée de So Good, les débitants de tabac avaient une mauvaise image du e-liquide, sans doute à cause de sa qualité médiocre à l’époque, puisque les “pipiers ne jouent pas le jeu de la qualité”. Leurs confrères et les pipiers apprécieront.
Mais surtout, il ajoute : “[…] il (le buraliste, NDR) devrait réfléchir au fournisseur avec lequel il travaille” et explique qu’en cas de contrôle, le buraliste, même en se retournant vers son fournisseur, perd son stock.
Sans doute Monsieur Maizière fait-il allusion à… Et bien, si la concorde règne dans la société et que ses dirigeants sont d’accord entre eux, il fait allusion à tous les autres, puisque (excusez-nous pour la redite, on ne s’en lasse pas) “si tous les fournisseurs étaient contrôlés, nous resterions seuls sur le marché”.
Bref. Il eût été aisé de finir cet article sur une conclusion ironique et mordante, mais… Non. Nos petits doigts et nos grandes oreilles nous disent que c’est loin, très loin, de s’arrêter là.