Cet été, l’institut d’études économiques Xerfi a dévoilé sa 3e étude réalisée depuis 2013 sur le marché de la cigarette électronique. Elle s’intéresse aussi bien aux fabricants qu’à la distribution. Rémi Vicente a mené l’étude et dévoile ses grandes lignes.
Quelles conclusions tirez-vous de cette nouvelle étude ?
D’abord j’aimerais rappeler que 2015 a été une année difficile pour le marché de la cigarette électronique avec une baisse des ventes due à un manque de fidélisation de beaucoup d’usagers. On l’a vu par la hausse des ventes du tabac et des dispositifs de sevrage.
À quoi attribuez-vous cette chute ?
Il y a eu de nombreuses fermetures de boutiques dues à un trop grand nombre de boutiques. De petits réseaux ont disparu, des réseaux plus importants ont réduit la voilure et les grands réseaux ont été beaucoup plus prudents. Mais il faut garder à l’esprit que c’était une étape normale d’un marché émergeant. Mais aujourd’hui, le marché a toutes les cartes en main pour repartir sur des bases assainies avec quelque chose de beaucoup plus professionnel au niveau de la distribution. Au niveau du matériel, les innovations amènent des produits beaucoup plus fiables à même de fidéliser beaucoup plus les utilisateurs. Le défi aujourd’hui, c’est de séduire à nouveau ceux qui sont partis. Ce qui est très intéressant aussi, c’est que la part des utilisateurs quotidiens exclusifs est beaucoup plus importante qu’à l’époque.
À combien d’utilisateurs estimez-vous ce noyau ?
Ce n’est pas notre chiffre, mais on serait à 1,2 million d’utilisateurs quotidiens et, pour une grande partie, exclusifs à l’e-cig.
Les études scientifiques négatives ont-elles amplifié ce mouvement de désaffection à l’époque ?
Bien sûr, et d’ailleurs l’absence de consensus sur le sujet est encore un frein. Le positionnement ambivalent de l’État sur le sujet pèse. Tant que le gouvernement n’aura pas une position claire sur le degré de nocivité de la cigarette électronique, cela restera toujours un frein.
En 2017, où en est le marché français ?
Le marché est en augmentation de 5 à 10 % et on l’estime à 350 millions de chiffre d’affaires.
Qu’est-ce qui a reboosté le marché ?
C’est la politique antitabac, qui joue et qui va continuer à jouer en faveur de l’e-cig, notamment avec le Moi(s) Sans Tabac, qui a bien marché en 2016, le paquet neutre et le paquet à 10 €. Il y a aussi eu tout le phénomène de déstockage du à la mise en conformité avec la TPD fin 2016. Une des grosses hypothèses que l’on émet, qui est une force et une faiblesse de la cigarette électronique, c’est le passage du paquet de tabac à 10 €.
Pourquoi est-ce une faiblesse ?
C’est un peu philosophique dans l’absolu, mais on se dit qu’encore une fois le développement de la cigarette électronique va passer par son opposition au tabac et par des facteurs exogènes au marché. Ce sont des fumeurs qui vont passer à l’e-cig plus par dépit que par adhésion. Mais grâce au réseau de distribution assaini, la fidélisation sera beaucoup plus aisée. Aux acteurs de la vape de les conserver.
Concernant le marché des e-liquides, quelles sont les projections ?
On s’attend à un écrémage dans les 2-3 prochaines années. On a énormément de marques nationales, plus de cinquante, et une trentaine de marques étrangères qui se sont fait une place. C’est beaucoup de marques pour peu de facteurs de différenciation aujourd’hui, ne serait-ce que par le prix, puisqu’on a un prix de référence de 5,90 €.
L’application de la TPD n’a pas eu l’effet escompté sur ce marché.
Complètement. On a comparé nos données historiques sur les profondeurs de gamme. On s’attendait à ce qu’elles aient reculé pour beaucoup avec l’instauration des notifications payantes. Et en fait globalement non, le recul des références nicotinées a été compensé par l’apparition des produits non nicotinés. Il y a eu énormément de nouveaux entrants avec peu de références, ils pourraient disparaître si elles ne fonctionnent pas. Il n’y aura pas de place pour tout le monde, d’autant que du côté de la distribution ça se structure énormément, ne serait-ce qu’au niveau des achats, ce qui n’était pas le cas il y a 2-3 ans.
Qu’en est-il justement des distributeurs ?
Dans ce secteur, le nombre d’acteurs s’est beaucoup réduit. Les grands réseaux ont mieux structuré leur distribution. Leur portefeuille de marques est bien établi et ils ne prennent plus n’importe qui. Et surtout, fait nouveau qui plaide une nouvelle fois en faveur de la maturité du marché, on remarque l’arrivée de MDD (marque de distributeur, ndlr) comme Clopinette ou Le Petit Vapoteur avec leurs marques d’e-liquide, qui prennent la place d’autres marques.
Quel est le rôle des cigarettiers dans le marché ?
Depuis 2015, ils prennent la cigarette électronique beaucoup plus au sérieux. Ils font quelques offres, ils ont racheté beaucoup de marques indépendantes au Royaume-Uni et aux États-Unis. Ils développent aussi des produits annexes comme le tabac chauffé, beaucoup plus intéressant pour eux, puisqu’il reste proche de leur business model avec la culture, l’achat et la transformation de tabac. Mais pour revenir à la cigarette électronique, autant avant 2015, on avait plus l’impression qu’ils proposaient des produits pour bloquer le marché, autant aujourd’hui, c’est devenu un vrai axe de développement et ça leur sert beaucoup en tant que support de communication. Ils sont beaucoup plus écoutés de cette façon. Mais en France, en Allemagne et en Italie, ça reste très compliqué pour eux, on estime leur part de marché à 5 %.
À quoi attribuez-vous leur difficulté à s’imposer ?
En France, plus de 2 000 boutiques boycottent leurs produits pour la très grande majorité. Ils sont donc cantonnés au réseau des buralistes qui, eux, ne mettent pas en avant leurs produits. D’ailleurs, et je sais que ça ne plaira pas aux acteurs de la vape, mais si les buralistes étaient beaucoup plus formés et force de conseil, ça développerait considérablement le marché.
Il faudrait pour ça qu’ils révolutionnent leur façon de vendre.
Ah complètement ! Aujourd’hui, un bureau de tabac ressemble plus à un bazar qu’à autre chose.
Est-ce qu’ils tentent de pénétrer le réseau de boutiques spécialisées ?
Oui, notamment Japan Tobacco International avec la Logic Pro, qui est vendue en boutique spécialisée.
Pourquoi éprouvent-ils autant de difficulté à vendre dans ces boutiques ?
Pour plusieurs raisons, par militantisme essentiellement, mais aussi par peur du rapport de force. Face à de grands groupes, ça peut être compliqué de faire valoir son point de vue sur la présence dans les magasins, sur les tarifs, etc. Mais, je le répète pour le marché dans sa globalité, pour son développement et sa visibilité, ça constituerait un très solide moteur. C’est quelque chose qu’on dit depuis 2013, qui peut-être ne plaît pas, mais une vraie accélération du marché passe aussi par le positionnement de Big Tobacco. Ils ont une force de traction formidable, grâce à des moyens financiers formidables comparés à ce qui peut être fait aujourd’hui par les grands opérateurs du secteur. Encore une fois, je parle sous l’optique du marché au niveau global de sa valorisation. Je n’émets pas de jugement de valeur.
Comment décririez-vous le marché aujourd’hui ?
Le marché est bien orienté. Il a des bases beaucoup plus solides qu’il y a quelques années, avec des opérateurs bien ancrés. Il suit un cycle de vie presque normal aujourd’hui après avoir vécu quelque chose de très atypique : une explosion presque sortie de nulle part et un retournement tout aussi rapide et violent. On est sur quelque chose de beaucoup plus cohérent.
Quelles sont vos prévisions pour 2020 ?
Nous sommes sur un scénario plutôt optimiste, notamment avec le paquet à 10 euros. Nous prévoyons un marché qui pourrait atteindre 480 à 500 millions d’euros d’ici 2020, contre 350 millions en 2017. On est donc sur une croissance de 10 à 15 % par an. Ça peut être réalisable s’il y a un afflux massif de vapoteurs et notamment d’anciens vapoteurs déçus.
L’intégralité de l’étude est ici (payant) http://www.xerfi.com/presentationetude/Le-marche-de-la-cigarette-electronique_7DIS47