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Buralistes en colère, la meilleure blague de la semaine ?

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Ce mercredi, les buralistes ont manifesté à Paris contre la hausse des prix du tabac. Parce que, bon, c’est vrai, quoi, à la fin, on ne va tout de même pas laisser ainsi mourir de faim nos compatriotes commerçants de cigarettes sous prétexte de santé publique, tout de même ! En tout cas, on dirait bien, que, pour ce secteur, c’est la fin de la tranquillité…

Buralistes en colère

Donc, mercredi dernier, devant des passants interloqués, des manifestants en colère ont déversés des carottes devant le Ministère de la Santé. Des agriculteurs ? Des cuniculteurs ? Point du tout, des buralistes, déposant symboliquement la carotte stylisée qui orne leurs échoppes aux pieds de la ministre.

Le bon usage du français m’oblige ici à interrompre un instant cet article, pour attirer votre attention sur deux points. Le premier, c’est l’usage de la proposition “manifestant en colère”, que l’on pourrait un peu hâtivement assimiler à un pléonasme. Non. On peut très bien, dans l’absolu, assister à des manifestations de joie. D’accord, c’est rare, mais cela arrive. On songe par exemple à la manifestation de joie qui suivit la libération de Paris de l’occupation nazie, en 1944, ou la manifestation de joie qui suivit la libération des joueurs de football en France du ridicule, en 1998.
Le second, cuniculteur : c’est un éleveur de lapin. Si vous avez pensé à autre chose, c’est mal.

Buraliste en colère, on y arrive

Or donc, les buralistes sont en colère. Pour avoir côtoyé la profession à raison de deux paquets par jour pendant vingt ans, je me demande pourquoi donc cela semble être soudain devenu d’une actualité brûlante. Je n’ai jamais vu un buraliste autrement qu’avec cet air renfrogné qui fait presque partie du folklore de la profession.

Il faut dire que, jusqu’à une époque pas si lointaine, on leur avait fichu une paix royale, aux buralistes. Il faut dire que, depuis 1945, on était occupé à des broutilles : reconstruire l’Europe, essayer de donner une stabilité politique à la France, et puis, le tabac n’était pas alors présenté comme un danger. L’industrie du tabac savait déjà que son produit n’était pas inoffensif, et elle avait tout fait pour que cela ne s’ébruite pas.

Et puis… La première campagne antitabac de l’histoire était récente, et elle avait été ordonnée par Adolf Hitler. Il avait pressenti que cette habitude nauséabonde pouvait être nuisible pour sa “race supérieure”, et le Führer tenait avant tout à avoir des bons aryens en bonne santé (un indice : lisez cette phrase à voix haute). Or, c’est de notoriété publique, Adolf Hitler, en 1945, ne battait plus vraiment des records de popularité, et les initiatives qu’il avait pu promouvoir étaient fort peu goûtées des dirigeants chargés de réparer le foutoir qu’il avait laissé derrière lui.

Jusqu’en 1972-73, donc, les buralistes, et plus généralement la filière du tabac, jouissait d’un bonheur sans tâche, jusqu’à la première initiative anti-tabac, presque insignifiante, mais qui allait faire date. C’est à cette date, en effet, que Simone Veil, alors ministre de la santé, demanda au Ministère des Armées de retirer des rations de combat des militaires le fameux paquet de cigarettes qui était alors fourni. Et personne ne moufta, parce qu’il était très, très difficile, même pour ses opposants de la plus mauvaise foi, d’accuser Madame Veil de sympathie pour le chancelier du reich.

Tout cela est, bien entendu considérablement abrégé et simplifié. Simplement, retenons ceci : dans la lutte antitabac en France, c’est Simone Veil, avec un premier geste significatif, qui a donné le signal du départ. C’est elle aussi qui, en 1975, fit voter la première loi antitabac de l’histoire de France. Simone Veil, rappelons-le à toutes fins utiles, a survécu à Auschwitz, puis à une marche forcée vers Bergen-Belsen, puis elle est devenue magistrate, avant de se lancer dans une carrière politique, dans une France où les députés ne savaient probablement pas écrire féminisme sans faute. Autant dire que, quand une femme de cette trempe siffle la fin de la récré, on range son ballon.

Buralistes en colère, cette fois, c’est la bonne

Nous en sommes là : depuis 1973, il n’y a pas eu une seule année où le tabac n’a pas été montré du doigt, et on peut dire que la lutte, réelle ou supposée, contre la cigarette, s’est intensifiée de façon exponentielle jusqu’à aujourd’hui.

Mais, me direz-vous, c’est bien intéressant tout ça, simplement, on ne voit pas le rapport. Et pourtant, il est bien là.

Parce que, depuis les années 1970, la lutte contre le tabac a gagné des places dans les enjeux de santé publique, jusqu’à atteindre le podium et rester constamment sur les premières marches. Depuis presque 50 ans, on sait, un peu plus chaque année que la précédente, et un peu moins que la suivante, que la cigarette est un fléau dont il faut sortir.

Et là, donc, le 4 octobre 2017, des buralistes manifestent, officiellement pour protester contre la hausse du tabac qui accélérerait le marché noir, mais, officieusement, pour sauver leur peau. “Une France sans buralistes ?” demandait un panneau à Toulouse.

Une France sans buraliste ? Ben oui, les gars, évidemment. C’est le but. Attendez, depuis 1975, on vous le dit, qu’est-ce qui vous étonne ? Parce que le cœur du problème est là.

Buralistes en colère, fin ?

Buraliste, ce n’est pas une charge dont on hérite. Les buralistes vendent généralement leur commerce pour engranger une plus-value, les transmission de bureaux de tabac de génération en génération étant un phénomène marginal, pour ne pas dire inexistant. Le cycle de possession d’un tabac est de sept ans, entre l’achat et la revente du fond de commerce.

Vous voyez où je veux en venir ? Imaginez qu’un type viennent en direct à la télé annoncer que, ça y est, il a découvert la recette de l’immortalité, et qu’il va lancer la production, et qu’un autre type, devant son poste, se dise : “Bon sang, mais c’est bien sûr, je vais immédiatement créer mon entreprise de pompes funèbres.”

Idiot, non ? Alors, peut on m’expliquer pourquoi des gens achètent plusieurs centaines de milliers d’euros des commerces dont de nombreux groupes d’influences, et certains même sincères, veulent la peau ? On ne me fera pas croire que tous les buralistes qui manifestent étaient propriétaire de leur bureau depuis avant 1975, ou qu’ils n’ont rien vu venir.

La vérité, elle est évidente et simple à comprendre : la victoire contre le tabac provoquera automatiquement la disparition du métier de buraliste. Aussi, lorsque les marchands de cigarettes manifestent en expliquant qu’ils veulent être impliqués dans une opération de santé publique concertée et responsable, ils ne sont ni plus ni moins en train d’expliquer qu’ils veulent participer activement à la disparition de leur métier.

Donc, soit les buralistes sont des imbéciles, et ça, j’en doute. Soit les buralistes prennent les gens pour des imbéciles, et ça, c’est possible. Après tout, ils ont affaire toute la journée à des gens à qui on explique que le tabac les tue, et qui en achètent quand même. C’est ce qu’on appelle des circonstances atténuantes.