Vous êtes ici : Vaping Post » Société » Vape chez les buralistes : dialogue autour de la question qui fâche

Vape chez les buralistes : dialogue autour de la question qui fâche

Mis à jour le 8/09/2022 à 12h30
    Annonce
  • Calumette
  • le petit vapoteur
  • Pulp
  • Vaporesso
  • Innokin
  • Vincent
  • Voopoo

Entre les buralistes et la vape indépendante, les relations sont plutôt tendues. D’un côté, les buralistes auraient aimé s’accaparer le marché de la cigarette électronique, quand les boutiques spécialisées dénoncent des buralistes aidés par l’État et manquant d’éthique, d’offres et de compétences. Nous avons posé les questions à plusieurs acteurs du marché de la vape ainsi qu’à la Confédération des buralistes histoire de fixer la situation en 2021.

La “guerre” entre vape shops et buralistes remonte à 2014, quand la Confédération des buralistes a manifesté son souhait d’obtenir le monopole de la vape par les buralistes. À l’époque, elle voyait d’un très mauvais œil les ouvertures massives de boutiques de vape, qui, avec les augmentations du prix du tabac, ont fait fondre leur chiffre d’affaires. 

Le monopole de la vape par les buralistes, toujours d’actualité ?

Philippe Coy, Président de la Confédération des Buralistes © Le Losange

Aujourd’hui, la Confédération des buralistes a assoupli son avis sur le sujet. “Cela pouvait s’entendre mais cette idée n’aurait pas de sens, assure Philippe Coy, son président. Un fumeur qui désire réduire ou arrêter sa consommation de tabac se tourne logiquement vers nos commerces pour ce type de produits. Aujourd’hui, les vape shops sont ancrés dans le paysage et nous ne touchons pas la même cible. Cela s’explique par nos offres et nos rôles. Le vape shop est mono-activité : son affaire tourne exclusivement autour de la vape. Le buraliste a une offre pluriactivités : le tabac, les jeux, la vape mais également les services comme les timbres ou l’offre Nickel. Sans oublier l’offre bar-brasserie-restaurant pour 55,5 % du réseau. Enfin, nous avons mené une étude en mars 2020 qui rapporte notamment que les vapoteurs de nos commerces sont principalement des primovapoteurs, donc des gens désireux de réduire leur consommation de tabac. Alors que les vape shops ont certainement un public plus confirmé et déjà familiarisé au marché.”

Liquidiers et buralistes

Ce conflit entre vape indépendante et buralistes est exacerbé par la position éthique de certains fabricants d’e-liquide qui ne souhaitent pas que leurs produits soient vendus dans les bureaux de tabac. Et cette position fait grincer des dents, voire agace carrément du côté des buralistes. “À partir du moment où la vape concerne un public de consommateurs, le buraliste s’intègre forcément à la stratégie de tous ces fabricants”, estime Philippe Coy. “Ça serait dommage que certains industriels ne s’appuient pas sur l’un des réseaux les mieux maillés du territoire national. 24 000 buralistes en France, en centre-ville comme en village, et assurant le lien social dans leur zone… c’est se passer d’une visibilité reconnue, et ils peuvent ainsi être des promoteurs de ce nouveau mode de consommer la nicotine”, tente-t-il d’appâter.

Antoine Piccirilli, directeur R&D des Laboratoires Xérès

Pour Antoine Piccirilli, directeur R&D des Laboratoires Xérès, cette position éthique peut se comprendre : “Il s’agit tout d’abord d’une question de fidélité aux réseaux de distribution historiques. Voire aussi une question d’éthique et de cohérence à faire coexister sur un même point de vente la cigarette tabac et l’e-cig. Par ailleurs, les boutiques physiques apportent une qualité de service indispensable au développement de la cigarette électronique et sont sans doute les mieux à même de promouvoir les nouveautés.”

Grégory Avril, gérant de Toutatis et du réseau Vapotech, abonde en ce sens : “Oui, tout à fait, c’est aussi notre cas, il y a les résistants comme nous qui revendiquent leur indépendance, c’est une question d’éthique… Cela n’empêche pas de retrouver certains de nos produits, via les grossistes qui peinent à maîtriser leur distribution, chez certains buralistes.”

Autre son de cloche du côté d’Emmanuel Maizière, directeur commercial et marketing de So Good, une marque de Republic Technologies International, qui commercialise aussi le papier à rouler OCB ou Zig-Zag. Lui, qui vend déjà ses liquides aux buralistes, estime que la situation est amenée à évoluer : “Beaucoup de marques d’e-liquide ayant une image plutôt ‘boutique spécialisée’ arrivent dans le réseau des buralistes. Je pense que rapidement, certaines marques disparaîtront du marché et que les restantes seront présentes dans les différents canaux de distribution : buralistes, vape shops et sites Internet. Le réseau des buralistes prend de plus en plus de parts de marché, c’est peut-être un signe !”

Michel Argouet, dirigeant d’Exaliquid

De son côté, Michel Argouet, dirigeant d’Exaliquid, se montre pragmatique et fait la balance : “Le réseau buraliste peut faire fantasmer, 23 500 buralistes c’est énorme en termes de potentiel de croissance. Mais pour ce que j’en sais, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances, dans sa majorité le réseau n’est pas adapté. Parmi ceux qui sont contre, un argument revient souvent : ‘On ne peut pas vendre le remède à côté du poison’. Effectivement, conseiller un produit de sevrage demande de faire un choix, ce doit être un engagement profond et sincère. Du côté des ‘pour’, l’argument fort c’est la densité du réseau. Historiquement, les shops de vape se sont implantés dans les villes bien achalandées plus intéressantes en termes de développement. C’est logique quand on considère le coût d’implantation d’un shop. La densité du réseau buraliste pourrait permettre de rendre accessibles les produits et conseils de la vape dans des endroits moins rentables. Avec la professionnalisation des buralistes, ce mouvement pourrait faire basculer quelques fabricants.”

Le retard historique des buralistes serait-il en passe d’être comblé ?

Les buralistes ont souvent été décriés pour leur manque d’offres, de services et de temps accordé aux vapoteurs pour le conseil. Quel est le ressenti du côté des fabricants de liquides ?

Antoine Piccirilli (Laboratoires Xérès), admet que la cigarette est bien plus mise en avant que par le passé mais il constate que “les buralistes sont très loin d’avoir rattrapé leur retard tant au niveau du conseil que de l’offre produit car ils ne le peuvent pas. Le bureau de tabac devenant un lieu multi-services, le buraliste ne dispose pas du temps nécessaire à l’information du primo-accédant ou encore pour présenter des nouveautés. C’est d’ailleurs pour cette raison que les cigarettiers proposent des packs et des dispositifs prêts à l’emploi. Quant à l’offre en e-liquides, elle est de bien piètre qualité avec des prix de hard discount, ce qui ne met vraiment pas en valeur la cigarette électronique.”

Grégory Avril, gérant de Toutatis et du réseau Vapotech

Selon Grégory Avril, l’offre des buralistes a augmenté, mais pas le conseil. Toutefois, il ne veut pas généraliser : “Nous voyons apparaître de vrais vape corners avec des conseillers dédiés chez certains buralistes. Il me semble qu’actuellement, le temps imparti par client n’est toutefois toujours pas suffisant. D’ailleurs, beaucoup de clients viennent chez nous pour cela (boutiques Vapotech, nldr).

Emmanuel Maizière (So Good) est plus bienveillant avec les buralistes : “Ils ont tout à fait validé, pour le plus grand nombre d’entre eux, qu’ils devaient être des acteurs importants de ce marché. Les offres produits sont en constante évolution, que ce soit en e-liquide comme en matériel. De notre côté, nos animateurs commerciaux passent une grande partie de leur temps à ‘rassurer et former’ nos clients, notamment pour le matériel qui évolue très vite. Nous pouvons constater que les marques de matériels sont communes aux deux réseaux. Concernant les services, les buralistes 2.0 proposent également les pièces détachées, de même qu’un SAV avec une amplitude horaire très importante, souvent 6 jours sur 7 et de 7h à 20h.”

Un avis tempéré par Michel Argouet (Exaliquid), qui se demande : “Qui, dans ce réseau, a le désir et la capacité de proposer sérieusement de la vape ? À mon avis, un pourcentage très faible actuellement. La vape demande une large expérience, une pratique assidue, beaucoup de temps. Un buraliste classique n’a pas ce temps, c’est un constat de bon sens, en marge du tabac les buralistes proposent de nombreux services. Cependant, j’ai rencontré quelques buralistes vapoteurs passionnés qui ont développé des rayons vape assez conséquents, d’autres ont même ouvert un shop dédié à la vape avec un réel engagement. C’est encore minoritaire dans le réseau et ce ne sont plus vraiment des buralistes tels qu’on l’entend habituellement. Depuis peu, les buralistes qui s’engagent dans la vape ont la possibilité de se former, via LGF formation, un organisme indépendant qui propose une formation certifiante. On peut donc s’attendre à en voir se professionnaliser sérieusement. C’est un changement de cap pour certains.”

L’aide de l’État aux buralistes

Depuis 2018, l’État aide les buralistes à hauteur de 80 millions d’euros, jusqu’à 33 000 euros par buraliste, pour se “transformer”. Parmi ces transformations, la vape y semble tenir une place privilégiée. C’est une autre épine dans le pied de la relation buralistes-vape indépendante. Et on peut se demander s’il n’y a pas là une concurrence déloyale face aux boutiques spécialisées ? 

Selon Philippe Coy (Confédéaration des buralistes), la vape n’est qu’une partie de la transformation des buralistes : “Notre fonds de transformation insiste sur la globalité du point de vente et pas seulement une offre. Avec la réalisation d’un audit obligatoire, nous récoltons une vue d’ensemble assez large sur les opportunités pour développer nos commerces. Ce fonds n’est pas dédié qu’à développer l’offre vape. Au contraire, c’est repenser notre commerce dans son offre et, si les opportunités existent, développer des services et des produits complémentaires pour inscrire nos commerces d’utilité locale dans les territoires.”

Emmanuel Maizière (So Good) a une position très proche de la Confédération des buralistes : “Ce sont des commerces de proximité essentiels comme nous avons pu le voir pendant les deux confinements. Ils offrent dans leurs points de vente une multitude de produits et de services à leurs clients qui vont bien au-delà des produits pour fumeurs ou des produits du vapotage. Ils assument également un rôle de collecteur pour l’État. C’est une profession réglementée avec une multitude d’obligations qui a vu son existence fragilisée par les nombreux changements intervenus dans les politiques publiques. Dans beaucoup de villes et de villages, ce sont des commerces d’utilité locale très forte parce qu’ils participent grandement au lien social. En réalité, ce fonds n’est pas destiné à venir concurrencer les boutiques spécialisées mais à permettre aux buralistes de renforcer cette dimension de lien social et d’utilité locale dans des territoires parfois délaissés par les autres commerces, en offrant à leurs clients encore plus de services de proximité et aussi de produits complémentaires.”

Au contraire, pour Grégory Avril, gérant de Toutatis et du réseau Vapotech : “Si, très clairement, c’est injuste et en même temps, n’est-ce pas là aussi notre combat depuis plus de 10 ans, celui de ringardiser le tabac à la source.”

Plus prudent, Antoine Piccirilli (Laboratoires Xérès) estime qu’il est : “Difficile de se prononcer sur ce point car la diversification des buralistes en termes de produits et de services est loin de ne concerner que la cigarette électronique. Au plan juridique, plaider une distorsion de concurrence ne sera sans doute pas aisé.”

Michel Argouet (Exaliquid) temporise et recontextualise la question : “Le débit de tabac est un monopole d’État qui en confie la gestion par un contrat de gérance à un débitant chargé de la vente au détail, le buraliste. Par conséquent, il y a un lien particulier entre l’État et le buraliste qui n’est pas un commerce tout à fait comme les autres. Le maillage territorial est important, il n’est pas rare que ce soit le dernier commerce qui subsiste dans des villages. Je n’ai pas les compétences pour apprécier les conséquences d’une telle aide, cependant, si elle contribue à la professionnalisation et à l’évolution du réseau pour devenir moins dépendant du tabac, alors peut-être que c’est une bonne chose. Cela m’a amené à réfléchir ; doit-on ostraciser ou blâmer des buralistes qui ont compris l’intérêt de la vape, étant eux-mêmes vapoteurs, ou bien les accompagner dans leur mutation ? Je parle bien de mutation, pas d’opportunisme du double jeu gagnant clope/vape. Il est clair que c’est du cas par cas, que cela demande du discernement et un engagement sincère de part et d’autre.”

So Good : la question déontologique

Emmanuel Maizière, directeur commercial et marketing de So Good

So Good est désormais une marque de Republic Technologies International, qui fabrique les papiers à rouler OCB ou Zig-Zag. Comment associez-vous déontologiquement, dans vos démarches commerciales, un problème (le tabagisme) et une solution (le vapotage) ?

Emmanuel Maizière, directeur commercial et marketing de So Good : “So Good est effectivement, depuis le 1er octobre dernier, une marque appartenant au groupe Republic Technologies, fabricant de la marque d’e-liquides E-CG. C’est une véritable chance pour nous qu’un groupe comme Republic Technologies ait procédé à l’acquisition de la marque So Good. D’abord, parce que c’est un acteur industriel reconnu au niveau international, notamment pour son activité de fabrication de papier à rouler avec sa marque phare OCB. Ensuite, parce que c’est un acteur majeur du monde de la vape depuis 2015. So Good et E-CG occupent deux univers différents mais complémentaires qui vont nous permettre de disposer d’une offre complète, cohérente, et unique afin d’accompagner la croissance de cette catégorie de produits. Nous avons la chance d’avoir deux marques appréciées et reconnues pour leur qualité de fabrication, qui bénéficient d’ailleurs du label Origine France Garantie.”

Cette question récurrente dans nos interviews auprès des industriels du tabac et de ses dérivés est toujours intéressante et appelle bien souvent à l’évitement. Les voix du commerce ne s’arrêtent naturellement aux frontières de la philosophie marchande. Si l’engagement et les valeurs d’entreprises sont l’un des maîtres mots du commerce moderne, il y a des secteurs où les choses sont plus difficiles à mailler. Transport avec le CO2, boissons avec le plastique, bien-être animal avec la viande, les exemples sont multiples.

La com’, nerf de la guerre

Dans sa communication, la Confédération des buralistes parle souvent de “vaping” à la place de “cigarette électronique”. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? “Dès le début, nous avons souhaité créer une différence entre le marché du tabac et le marché de la vape, répond Philppe Coy, président de la Confédération des buralistes. Parler de cigarette électronique ou d’e-cigarette, c’est créer un lien avec la cigarette traditionnelle. La sémantique autour de ce secteur est maintenant bien arrêtée mais je préfère parler de vapotage ou de vape pour définir ce geste propre à lui-même.”  

Ces articles pourraient aussi vous intéresser