Un député EELV s’apprête à déposer un projet de loi visant à légaliser le cannabis en France et à en confier le monopole aux buralistes. Sans rentrer dans les détails du produit lui-même, voici un exemple mortifère alors qu’ailleurs, les premiers bilans sont mitigés.
Légalisation, l’arlésienne
Dans Le Journal du Dimanche du 5 mai dernier, le député EELV (Europe Écologie Les Verts) François-Michel Lambert a annoncé qu’il comptait déposer un projet de loi visant à la légalisation du cannabis thérapeutique et récréatif.
Le député se dit favorable à un “encadrement régulé” de ce produit, substance illicite la plus consommée en France. Il met sa proposition sur le compte d’une double rationalité, sanitaire, en proposant au consommateur un produit de qualité avec un taux de THC garanti et “sans pesticides”, et économique en créant une société monopolistique et en confiant la vente du produit au réseau des buralistes. Ceci pourrait rapporter, selon lui, chaque année, deux milliards de taxes.
Un vœu pieux, comme le dirait le compte Dracula, et ce, pour plusieurs raisons.
Rationalité économique et taxes
En effet, un récent article des Echos dressait un bilan sombre de la légalisation du cannabis en Californie. L’État américain a en effet légalisé la substance en 2018 pour tous usages, et, depuis, le marché légal a reculé par rapport à la même période en 2017, où la plante était autorisée uniquement pour usage médical.
En causes ? Les taxes et l’encadrement. Pour faire simple, les prix taxés du cannabis légal sont très largement supérieurs à ceux du marché noir, qui reste très dynamique, dynamisme d’autant plus accru que la répression s’est largement adoucie. Le contrôle des trafiquants ne dépend plus des services de police, mais de ceux du fisc américain, qui ont d’autres chats à fouetter au regard de leurs effectifs limité.
De surcroît, l’encadrement de substances a donné lieu à un nombre important de normes, notamment sur la culture, les taux de THC et de pesticides, qui compliquent la tâche des exploitants… Qui préfèrent s’exiler dans des États plus permissifs et vendre une partie de leur production au marché noir.
À noter que, dans les autres États américains où le cannabis a été légalisé mais où les taxes et normes sont infiniment plus libérales, le marché légal progresse régulièrement.
En un mot, le député Lambert souhaite appliquer quasiment mot à mot la méthode de l’échec californien.
Constatons pour finir que les taxes souhaitées par la Californie étaient de 1 milliard de dollars par ans, pour 39 millions d’habitants. Le montant effectivement perçu est de 350 millions. Un simple calcul sur la population française, deux milliards espérés pour 68 millions d’habitants, montre que le niveau de taxes souhaité par le député est légèrement supérieur à celui de la Californie.
Un cadeau au tabac
En confier, ensuite, le monopole aux buralistes est un non-sens et un véritable cadeau fait à l’industrie du tabac.
Les buralistes sont de plus en plus confrontés à une concurrence à laquelle ils ne s’attendaient pas, la vape, et travaillent dur à leur survie, qui passe par une transformation massive de leur métier. Bureaux de ventes multiproduits, points de vente de vape de plus en plus compétents, dans certains cas, les buralistes n’ont pas le choix : pour survivre, ils vont à terme devoir tourner le dos au tabac.
Et voilà qu’on leur offre sur un plateau un nouveau monopole dont la consommation, justement, est associé à leur produit historique. De quoi attirer dans leurs échoppes des consommateurs qui, se rappelant du petit joint de leur jeunesse, achèterons pour beaucoup un paquet de cibiches destinées à se rouer un trois feuilles “comme au bon vieux temps”, plutôt que de chercher un mode de consommation alternatif.
En d’autres termes, alors que les buralistes sont en train d’essayer de se débarrasser de leur mauvaise habitude, voilà qu’on leur en apporte une nouvelle sur un plateau d’argent, et par-dessus le marché les moyens de faire perdurer l’ancienne. Un peu comme si on offrait un crédit illimité dans les fast foods à vie à quelqu’un qui vient de se mettre au régime et qu’on lui faisait en plus livrer une pizza tous les soirs.
Non seulement cela, mais qui, aujourd’hui, sont les plus gros investisseurs dans le cannabis ? Les industriels du tabac. Voilà qui pourra aider ces entreprises, qui sont, c’est bien connu, des petites PME en difficulté.
Pas une seule seconde, il n’est question ici de remettre en cause la bonne foi du député François-Michel Lambert, ni même de prendre parti contre la légalisation du cannabis. Simplement, il est bon parfois de se souvenir que l’enfer est pavé de bonnes intentions.