SIPCA, le leader mondial de la fourniture d’encres et de solutions de sécurité pour les billets de banque et spécialiste de la traçabilité sécurisée des produits soumis à accises, nous explique dans une interview le détail de son activité et sa dynamique dans le monde politique. Un acteur chevronné de la planète Lobby qui pourrait bien inspirer les grands défenseurs de la vape. Car si les sujets s’opposent, les techniques, elles, restent les mêmes.
Lobbyisme et imaginaire
Vaping Post : Au-delà de l’imaginaire populaire, qu’est-ce qu’un lobbyiste, exactement ? Quel est le réel pouvoir les lobbys ?
Christine Macqueen, Directeur Corporate Affairs de SICPA : Le lobbying, c’est tout simplement la promotion d’une entreprise, d’une technologie ou d’un secteur d’activité auprès d’autorités publiques dans le respect des cadres légal et déontologique. Il s’agit d’une activité utile dans le contexte concurrentiel exacerbé dans lequel nous évoluons tous aujourd’hui. C’est même une activité essentielle dans certains cas où le secteur privé dispose d’une expertise particulière qui peut s’avérer utile au secteur public pour la bonne administration : comme en matière de trafic illicites et des technologies les plus efficaces et éprouvées pour y remédier. C’est quand il y a non-respect des règles établies, voire propension systématique à les contourner que le lobbying devient un problème. Les règles sur le marketing des produits du tabac, sur l’information relative à leur nocivité, ou encore les politiques de prix sur le tabac, sont mises en œuvre pour le bien commun, et leur contournement nuit donc à la communauté.
Traçabilité du tabac
VP : SICPA propose aujourd’hui un système de traçabilité des produits du tabac. En quoi consiste ce système de traçabilité ?
CM, SICPA : L’activité première de SICPA est depuis 1947 la fourniture d’encres de haute sécurité pour la fabrication de billets de banque ou encore de documents d’identité. Nous travaillons avec la quasi-totalité des Etats du monde. Il s’agit d’une activité très spécifique qui s’exerce dans des conditions particulièrement encadrées de sécurité vous l’imaginez bien. Nous sommes tenus par des contrats de confidentialité draconiens pour des raisons évidentes.
Une deuxième activité, basée notamment sur la technologie de la première, consiste à produire des systèmes intégrés d’authentification et de traçabilité sécurisée de produits et de documents sensibles. Cette activité nous amène, pour le compte des Etats qui nous mandatent, à déployer des systèmes de lutte contre la contrebande le commerce parallèle et la sous-déclaration. Nous proposons des solutions alliant sécurité matérielle et numérique pour aider nos clients gouvernementaux et privés à créer de la confiance sur leurs marchés ou auprès de leurs consommateurs, clients ou fournisseurs. Nous assurons ainsi, dans une vingtaine de pays, la traçabilité sécurisée du tabac, du vin, de la bière, ou des boissons non alcoolisées par exemple. Plusieurs études indépendantes conduites par la Banque Mondiale, l’UNICRI, le FMI ou l’OMS ont conclu que les solutions mises en place par SICPA permettent aux Etats de réduire le taux de commerce parallèle et d’augmenter les recettes fiscales. Elles permettent également aux autorités publiques de comprendre de façon fiable et indépendante la structure du marché licite, et par ricochet des trafics illicites, sans avoir à se fier aux présentations de ceux qui n’ont pas intérêt à en donner une image fidèle.
VP : La fabrication de cigarette se fait dans divers sites à travers le monde. Comment vous assureriez-vous que l’industrie du tabac ne puisse pas contrer cette traçabilité ?
CM, SICPA : Nous avons plusieurs solutions différentes qui dépendent du choix exprimé par l’Etat dans l’appel d’offre qu’il lance. Mais, pour schématiser, en ce qui concerne la traçabilité du tabac qui vous intéresse plus particulièrement, toutes nos solutions techniques permettent de répondre aux exigences du Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce parallèle de tabac » adopté en 2012, ce qui signifie que nous mettons en place, la plupart du temps dans le cadre d’un partenariat avec un ou des acteurs locaux, nos systèmes qui permettent de contrôler d’une manière totalement indépendante, et pour le compte de l’Etat qui nous mandate la production de tabac dans les usines, et les flux de tabac organisé par les cigarettiers. De plus en plus d’ailleurs SICPA est sollicitée pour être le fournisseur d’une solution technique d’un groupement d’entreprises nationales. Il s’agit d’un schéma qui correspond parfaitement à l’ADN de notre entreprise.
VP : En quoi est-il nécessaire, selon vous ?
CM, SICPA : Le commerce parallèle de tabac est très spécifique. Il n’existe que très peu de contrefaçon dans ce domaine. La raison est simple : fabriquer un paquet de cigarettes est si peu cher qu’il n’y a aucun intérêt pour un contrefacteur à le fabriquer soi-même. Cela reviendrait plus cher. Il est beaucoup plus avantageux de l’acheter dans des pays à fiscalité faible, et de le revendre dans les pays à fiscalité forte. Ce mouvement ne serait cependant pas possible si la fabrication et les approvisionnements de tabac organisés par les cigarettiers étaient contrôlés d’une manière drastique. Ce qui est le sens du Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite de tabac » élaboré en 2012. Vous comprenez aussi pourquoi ce traité international, qui est pourtant une norme juridique supérieure aux directives européennes et lois nationales, est si combattu par certains.
Big Tobacco et le trafic de cigarettes
VP : Quelle est la part de l’industrie du tabac dans la contrebande de cigarettes ? Sont-ils victimes, bénéficiaires passifs, ou complices actifs ?
CM, SICPA : SICPA ne conduit aucune étude, ni quantitative, ni qualitative, sur le commerce parallèle. Les chiffres ou statistiques dont nous disposons sont donc des données publiques. Par exemple pour le tabac, en ce qui concerne votre question sur le marché français notamment, nous avons constaté que l’étude KPMG/cigarettiers est contestée par l’association anti-tabac Le Comité National Contre le Tabagisme (CNCT). Nous nous basons sur l’étude publiée en France par le cigarettier Seita-Imperial Tobacco dans le magazine de la Confédération des Buralistes Le Losange de novembre 2016, qui ne nous semble pas avoir fait l’objet de critiques, et qui affirme que le commerce parallèle de tabac n’est constitué qu’à 0,2% de contrefaçon et qu’à 1% d’Illicit White. Ce chiffre semble rejoindre celui diffusé par le député du Doubs Frédéric Barbier lors de la publication en octobre 2015 de son Rapport « Sur l’avenir des buralistes » qui affirmait qu’en Andorre, alors que 120 tonnes de tabac suffisent à alimenter annuellement le commerce domestique, les cigarettiers livrent … 850 tonnes de tabac ! encore une fois, ces chiffres n’ont pas été contestés. La réponse à votre question semble donc claire. En tous cas pour un exemple type du marché commun européen où une politique de contrôle du tabac est mise en œuvre.
VP : On voit ce que votre système de suivi apporterait aux services des douanes, mais à qui d’autre pourrait-il bénéficier, et comment ?
CM, SICPA : L’OMS affirme que 12% des 6000 milliards de cigarettes produites chaque année dans le monde font l’objet d’un commerce parallèle de tabac. Plusieurs députés européens, reprenant les chiffres ci-dessus, affirment que 98,8% du commerce parallèle de tabac est composé de vraies cigarettes qui sortent des usines des cigarettiers. Des parlementaires européens et nationaux affirment également que ce commerce parallèle de tabac occasionnent une perte fiscale de 3 milliards d’euros en France, 20 milliards d’euros par an pour les Etats membres de l’UE ou de 10 milliards d’euros par an pour les Etats africains. SICPA n’est pas en mesure de vérifier ces chiffres avancés par des parlementaires, mais nous n’avons jamais vu qu’ils étaient contestés. Nos systèmes doivent permettre de garantir aux consommateurs que les produits qu’ils veulent consommer sont véritables, et aux Etats d’une part qu’il n’y a pas de problèmes sanitaires potentiels et d’autre part qu’ils récupéreront l’ensemble des recettes afférentes. Mais aussi que les politiques de santé publique qu’ils adoptent sont suivies d’effets, et non pas contournées. Car in fine, la hausse des prix du tabac est justifiée, selon l’OMS, par l’arbitrage entre les coûts du tabac et les recettes fiscales qu’il génère, et ce bilan est très défavorable. Le but des hausses répétées n’est pas de percevoir davantage de taxes contrairement à une idée reçue, mais de vraiment faire baisser la prévalence tabagique et les maladies liées qui coutent très chères à la collectivité. Cela soulage d’autant les contribuables (à long terme), qui peuvent voir leurs prélèvements obligatoires baisser d’autant.
VP : Une traçabilité des produits du tabac contrarie les cigarettiers et les trafiquants, c’est évident, mais on s’attendrait à voir les gouvernements sauter sur l’occasion. Or ils donnent l’impression de traîner des pieds. Pourquoi d’après vous ?
CM, SICPA : Il est évident que ce sujet fait l’objet d’un lobbying très fort des cigarettiers. Mais ayons une lecture positive des choses : le Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite de tabac » a été adopté en 2012. C’est en réalité très récent. Il est en cours de ratification au niveau mondial. Il entrera en vigueur lorsqu’il aura été ratifié par 40 pays. A ce jour il l’est par 34 pays et par l’Union européenne. L’OMS pense qu’il entrera en vigueur au plan international en octobre 2018. Nous ne doutons pas que tous les pays alors, et l’Union européenne, adapteront leur législation pour la rendre conforme au Protocole de l’OMS qui est une norme juridique supérieure aux directives européennes et aux lois nationales. Sinon ce sont les juridictions administratives qui devront trancher, d’autant que quand bien même ce Protocole n’est pas encore entré dans le droit international, il est d’ores et déjà protégé par la Convention de Vienne sur les traités internationaux. Mais nous n’imaginons pas que les pays qui ont et qui auront ratifié le Protocole de l’OMS ne l’appliqueront pas pleinement par souci de conformité, de cohérence et dans l’intérêt de leurs citoyens.
Et sur la vape ?
VP : Les entreprises de la vape sont au mieux des petites et moyennes entreprises aujourd’hui, qui n’ont pas les moyens financiers de l’industrie du tabac, ou de la pharmacie, leurs adversaires. Quel conseil leur donneriez-vous pour s’organiser ?
CM, SICPA : Les activités commerciales de SICPA relèvent pour l’essentiel des appels d’offre lancés par les Etats. Le lobbying ne relève donc pas d’un enjeu majeur. Les intérêts de notre secteur d’activité sont défendus par des organisations professionnelles à l’exemple d’ITSA (International Tax Stamp Association) dont nous sommes membres. Nous ne sommes par conséquent pas les mieux placés pour donner des conseils en la matière. Mais il est évident que pour défendre ses intérêts, il faut pouvoir s’appuyer sur des faits avérés, des données vérifiables, des chiffres et statistiques incontestables, des études d’organismes reconnus. Forts de ces éléments, les entreprises de la vape auront de quoi faire valoir leurs arguments auprès des autorités publiques face aux produits du tabac traditionnels, voire aux nouveaux produits du tabac électroniques.
VP : La dernière question est ouverte : qu’aimeriez-vous dire aux lecteurs du Vaping Post ?
CM, SICPA : Il est indéniable que le vapotage va susciter un intérêt croissant dans les années à venir, notamment commercial. C’est la raison pour laquelle ce secteur, paradoxalement, a besoin rapidement d’un cadre législatif, réglementaire et fiscal bien défini. Car les consommateurs, et notamment les lecteurs du Vaping Post, ont besoin d’avoir confiance dans les produits qu’ils consomment.