La cigarette électronique en France

La France et le vapotage : entre succès historique et défis réglementaires

La France occupe une position singulière en Europe dans sa relation avec la cigarette électronique. Alors que le pays enregistre des résultats remarquables dans sa lutte contre le tabagisme, avec une baisse historique du nombre de fumeurs, le vapotage fait l’objet d’une surveillance accrue et de mesures réglementaires de plus en plus restrictives. Cette situation illustre la tension entre deux visions : celle qui voit dans la cigarette électronique un outil de réduction des risques efficace, et celle qui la considère avant tout comme une nouvelle menace pour la santé publique, particulièrement pour les jeunes.

Une baisse spectaculaire du tabagisme

En octobre 2025, Santé publique France a publié des résultats qui ont marqué un tournant dans l’histoire de la lutte antitabac française. En 2024, seulement 24% des adultes de 18 à 79 ans déclaraient fumer du tabac, dont 17,4% quotidiennement. Ces chiffres représentent le niveau le plus bas jamais observé depuis le lancement de cette enquête nationale. La comparaison avec 2021 est édifiante : on comptait alors 32% de fumeurs et 25% de fumeurs quotidiens parmi les 18-75 ans.

Sur la période 2014-2024, la France a enregistré une diminution de 4 millions de fumeurs quotidiens âgés de 18 à 75 ans. La prévalence du tabagisme quotidien est ainsi passée de 28,6% en 2014 à 18,2% en 2024 dans cette tranche d’âge. Cette évolution spectaculaire est particulièrement visible chez les jeunes : en 2024, seulement 18,4% des 18-29 ans fumaient quotidiennement, contre 29% en 2021.

Les autorités sanitaires françaises attribuent ce succès à une politique globale combinant plusieurs leviers : hausse régulière du prix du tabac, campagnes de prévention comme le Mois sans tabac, accès facilité aux traitements d’aide à l’arrêt, et mesures législatives restrictives. Entre 2023 et 2024, le prix moyen du paquet le plus vendu est passé de 10,92 euros à 12,54 euros, soit une hausse de près de 15%.

Des disparités qui persistent

Malgré cette tendance encourageante, de fortes inégalités sociales et territoriales persistent. Les fumeurs quotidiens sont deux fois plus nombreux parmi les ouvriers (25,1%) que chez les cadres (11,8%). Les personnes percevant leur situation financière comme difficile présentent un taux de tabagisme quotidien de 30%, et les chômeurs de 29,7%.

Au niveau géographique, le tabagisme quotidien varie significativement selon les régions. En 2024, il était plus faible en Île-de-France (14,6%) et en Auvergne-Rhône-Alpes (16%), mais nettement plus élevé dans le Grand Est (19,8%), en Occitanie (20,6%) et en Provence-Alpes-Côte d’Azur (20,9%). Ces disparités s’expliquent par des facteurs socio-économiques, mais aussi par la proximité frontalière avec des pays où le tabac est moins cher.

La cigarette électronique en France : un marché dynamique mais surveillé

Une adoption croissante du vapotage

En parallèle de la baisse du tabagisme, la France a connu une augmentation de l’utilisation de la cigarette électronique. Selon les données de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives publiées en 2025, 8,3% des adultes de 18 à 75 ans vapotaient en 2023, dont 6,1% quotidiennement. Cette proportion concerne toutes les catégories de la population, avec une prévalence légèrement supérieure chez les hommes (6,8%) que chez les femmes (5,4%).

La proportion d’adultes ayant déjà expérimenté le vapotage a presque doublé en neuf ans, passant de 25,7% en 2014 à 41,8% en 2023. Le marché français de la cigarette électronique a franchi la barre symbolique du milliard d’euros en 2024, avec des estimations variant entre 1,1 et 1,65 milliard d’euros selon les sources. On estime qu’environ 3 millions de personnes vapotent quotidiennement en France, tandis qu’un million s’y adonnent de manière occasionnelle.

Chez les jeunes, l’utilisation de la cigarette électronique a également progressé. En 2022, l’OFDT recensait 6,2% de vapoteurs quotidiens parmi les jeunes de 17 ans, contre 1,9% en 2017. L’expérimentation du vapotage chez les jeunes de 17 ans atteignait 56,9% en 2022, dépassant pour la première fois l’expérimentation du tabac fumé (46,5%). Cette inversion des courbes depuis 2017 témoigne d’un changement générationnel dans les comportements d’initiation.

Répartition géographique et profils des vapoteurs

Certaines régions se distinguent par un taux de vapotage quotidien plus élevé. En 2023, la Bretagne et la Normandie affichaient respectivement 8,5% et 8,1% de vapoteurs quotidiens, des taux supérieurs à la moyenne nationale. Cette spécificité bretonne avait déjà été observée lors d’enquêtes précédentes.

Selon les enquêtes menées en 2024 et 2025, les vapoteurs français sont majoritairement d’anciens fumeurs ou des personnes engagées dans une démarche de sevrage tabagique. Une enquête révélait que 55% des fumeurs envisageaient de passer au vapotage pour réduire ou arrêter leur consommation de tabac. Parmi les vapoteurs, 83% déclaraient avoir réalisé des économies depuis leur passage à la cigarette électronique, et 65% constataient une amélioration de leur qualité de vie.

Un cadre réglementaire strict : la transposition de la TPD

Depuis 2016, la France applique la directive européenne sur les produits du tabac (TPD 2014/40/UE), transposée en droit français par l’ordonnance n°2016-623 du 19 mai 2016. Cette réglementation classe les produits du vapotage comme “produits connexes au tabac” et leur impose des règles strictes.

Les principales restrictions concernent la composition et le conditionnement des produits : les flacons d’e-liquides contenant de la nicotine sont limités à 10 ml maximum, avec une concentration de nicotine ne pouvant excéder 20 mg/ml. Les réservoirs jetables et cartouches préremplies avec nicotine sont limités à 2 ml. Les flacons doivent comporter un dispositif de sécurité enfant inviolable et être protégés contre le bris et les fuites.

Depuis octobre 2017, l’utilisation de la cigarette électronique est interdite dans les lieux clos et collectifs, notamment les établissements scolaires, les transports en commun, les lieux de travail fermés et collectifs, et les espaces d’accueil ou d’hébergement de mineurs. Toutefois, contrairement au tabac, le vapotage peut être autorisé dans certains espaces publics fermés comme les bars, cafés et restaurants, à la discrétion du propriétaire des lieux.

Interdiction de la publicité et vente aux mineurs

Comme pour le tabac, toute forme de publicité, de propagande, de parrainage et de mécénat pour les produits de vapotage est strictement interdite en France, qu’ils contiennent ou non de la nicotine. Cette interdiction s’applique également aux réseaux sociaux et aux plateformes en ligne.

La vente de cigarettes électroniques et d’e-liquides est interdite aux mineurs de moins de 18 ans. Les vendeurs sont tenus de vérifier l’âge des acheteurs et risquent une amende pouvant atteindre 750 euros en cas de non-respect. Les fabricants et importateurs doivent également notifier leurs produits auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) six mois avant leur commercialisation.

Des mesures récentes qui inquiètent

L’interdiction des cigarettes électroniques jetables

En septembre 2024, la Commission européenne a approuvé la demande française d’interdire les cigarettes électroniques jetables, communément appelées “puffs”. Cette interdiction est entrée en vigueur le 26 février 2025, faisant de la France l’un des premiers pays européens à prendre une telle mesure. Officiellement justifiée par des préoccupations environnementales et de santé publique, cette interdiction vise particulièrement à protéger les jeunes, considérés comme la cible principale des campagnes marketing pour ces produits.

Cette mesure a suscité des inquiétudes parmi les experts du sevrage tabagique, qui soulignent que la simplicité et le caractère non engageant des puffs en font un point d’entrée facile vers le vapotage pour les fumeurs souhaitant arrêter.

Le projet de taxation des e-liquides

En octobre 2024, le gouvernement français a présenté un projet de taxation des e-liquides dans le cadre du projet de loi de finances 2026. Cette proposition prévoyait initialement une taxe forfaitaire de 0,15 euro par millilitre sur tous les e-liquides, qu’ils contiennent ou non de la nicotine. Cette taxation aurait représenté une hausse de 38% du prix des e-liquides.

Face à la mobilisation massive des vapoteurs et des professionnels du secteur, qui ont réuni 96 000 signatures de pétition en 72 heures, le gouvernement a dû revoir sa copie. Les acteurs du secteur arguent que cette taxation pourrait décourager les fumeurs de passer au vapotage et inciter les vapoteurs à revenir au tabac, compromettant ainsi les efforts de santé publique.

Des restrictions sur les arômes envisagées

En juin 2025, le gouvernement français a annoncé son intention d’encadrer davantage les arômes et la nicotine dans les cigarettes électroniques dès 2026. Ces restrictions, qui s’inscrivent dans le durcissement du discours gouvernemental contre le tabagisme, inquiètent les professionnels du secteur et les associations de défense du vapotage.

Les enquêtes menées auprès des vapoteurs soulignent l’importance des arômes dans la réussite du sevrage tabagique. Les vapoteurs se montrent particulièrement inquiets face aux restrictions potentielles sur les saveurs, qui constituent selon eux un élément essentiel de leur motivation à rester éloignés du tabac.

L’objectif “Génération sans tabac 2032”

Un engagement présidentiel ambitieux

En février 2021, le président Emmanuel Macron a formulé l’objectif d’une “génération sans tabac” à l’horizon 2032. Concrètement, cet objectif vise à faire passer la prévalence du tabagisme chez les jeunes de 18 ans sous la barre des 5%, soit une quasi-élimination du tabagisme dans cette tranche d’âge. Cet objectif concerne spécifiquement les enfants nés à partir de 2014.

Le Programme national de lutte contre le tabac (PNLT) 2023-2027, présenté en novembre 2023, s’inscrit dans cette ambition. Copiloté par les ministères chargés de la santé et des comptes publics, ce programme repose sur des leviers économiques, sanitaires et sociaux pour construire une société sans tabac.

Une stratégie globale multi-axes

Le PNLT 2023-2027 s’articule autour de plusieurs axes prioritaires : protéger les enfants et éviter l’entrée dans le tabagisme, encourager et accompagner les fumeurs vers le sevrage, agir sur l’économie du tabac pour protéger la santé publique, et surveiller, évaluer et diffuser les connaissances relatives au tabac.

Les mesures envisagées incluent la poursuite de la hausse du prix du tabac (objectif de 13 euros le paquet d’ici 2027), l’extension des espaces sans fumée, le renforcement de la lutte contre le marché noir, et l’amélioration de l’accès aux traitements de substitution nicotinique. Le plan prévoit également des actions spécifiques pour les populations les plus vulnérables, notamment les personnes en situation de précarité et les femmes enceintes.

Le dispositif Mois sans tabac

Lancé en France en 2016, le dispositif Mois sans tabac connaît un succès croissant. Chaque année en novembre, cette campagne encourage les fumeurs à tenter un arrêt du tabac pendant 30 jours, avec l’idée qu’après cette période, les chances d’arrêt définitif sont multipliées par cinq. En 2024, 17,3% des fumeurs quotidiens de 18-79 ans ont déclaré avoir fait une tentative d’arrêt d’au moins une semaine au cours des douze derniers mois.

Une vision contrastée de la cigarette électronique

Un outil de sevrage reconnu mais mal perçu

Malgré l’efficacité reconnue de la cigarette électronique comme outil de sevrage tabagique, sa perception auprès du grand public français reste mitigée. Selon les enquêtes menées en 2024 et 2025, seulement 10% des Français avaient une image positive de la cigarette électronique, tandis que 65% la percevaient comme dangereuse.

Toutefois, des évolutions positives sont à noter : 38% des Français considéraient en 2024 que la vape était moins nocive que le tabac, contre 33% en 2023. La moitié des répondants reconnaissaient que le tabagisme demeurait plus dangereux que le vapotage, une opinion largement répandue chez les vapoteurs exclusifs (66%) et les vapofumeurs (63%).

Un sondage publié en 2025 révélait que 77% des Français croyaient à tort que la nicotine cause le cancer, témoignant d’une désinformation massive sur les risques réels du vapotage. Cette méconnaissance alimente les débats sur les politiques publiques à adopter vis-à-vis de la cigarette électronique.

La position des autorités sanitaires

Les autorités sanitaires françaises maintiennent une position prudente sur la cigarette électronique. Si elles reconnaissent que le vapotage est moins nocif que le tabagisme, elles refusent de l’encourager activement comme outil de sevrage, préférant promouvoir les traitements de substitution nicotinique classiques et l’accompagnement par des professionnels de santé.

Cette approche diffère de celle adoptée par le Royaume-Uni, où le système de santé publique recommande explicitement la cigarette électronique comme outil de sevrage tabagique. La France privilégie une stratégie visant à prévenir l’entrée dans toute forme de dépendance à la nicotine, y compris par le vapotage.

Le secteur professionnel face aux défis

Le marché français du vapotage compte entre 3 000 et 3 500 boutiques spécialisées en 2024. Le secteur fait face à plusieurs défis : une réglementation de plus en plus stricte, avec un taux d’anomalies détectées de 65% lors des inspections menées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en 2024, et la menace d’une taxation accrue qui pourrait affecter le pouvoir d’achat des consommateurs.

En 2024, l’association SOVAPE, dédiée à la promotion de la réduction des risques liés au tabac, a annoncé sa dissolution après une série de revers, notamment le refus d’une société d’études de marché de poursuivre son enquête annuelle sur les perceptions du vapotage en raison d’un nouveau contrat l’empêchant de travailler avec des entités liées à la vape.

Face à ces menaces, la Fédération interprofessionnelle de la vape (FIVAPE) a ouvert ses portes en 2025 à de nouveaux soutiens avec un statut spécialement conçu pour les partenaires engagés, dans une stratégie de renforcement face aux défis réglementaires à venir.

Entre succès et controverses

La France présente aujourd’hui un paradoxe : d’un côté, elle enregistre des succès remarquables dans la lutte contre le tabagisme, avec une baisse historique du nombre de fumeurs qui rapproche le pays de son objectif d’une génération sans tabac. De l’autre, elle adopte des mesures de plus en plus restrictives envers la cigarette électronique, alors même que celle-ci semble jouer un rôle dans cette transition.

Les données montrent clairement que le vapotage a augmenté en France parallèlement à la baisse du tabagisme, particulièrement chez les jeunes. Cette corrélation interroge : la cigarette électronique a-t-elle contribué à cette réussite, ou représente-t-elle une nouvelle menace pour les générations futures ? Les débats sur cette question continuent de diviser experts de santé publique, associations de défense du vapotage, et décideurs politiques.

Alors que d’autres pays européens, comme le Royaume-Uni ou la Suède, ont fait le choix d’une politique de réduction des risques intégrant activement les alternatives au tabac, la France maintient une approche plus restrictive, privilégiant l’objectif d’une société totalement débarrassée du tabac et de la nicotine. L’avenir dira laquelle de ces stratégies se révélera la plus efficace pour protéger la santé publique tout en respectant la liberté des adultes fumeurs qui cherchent à sortir du tabagisme.

Sources

  • Santé publique France – Baromètre 2024 sur le tabagisme (octobre 2025)
  • Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) – Enquête EROPP 2023
  • Ministère de la Santé – Programme national de lutte contre le tabac 2023-2027
  • Ordonnance n°2016-623 du 19 mai 2016 – Transposition de la directive TPD
  • Commission européenne – Directive sur les produits du tabac 2014/40/UE
  • Cabinet Xerfi – Étude sur le marché de la cigarette électronique
  • IFOP – Sondage sur le vapotage 2025 pour Kumulus Vape
  • Génération Sans Tabac – Site d’actualités sur la lutte antitabac
  • Comité national contre le tabagisme (CNCT) – Livre blanc pour une génération sans tabac 2032
  • MILDECA – Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives
  • FIVAPE – Fédération interprofessionnelle de la vape