Les cigarettiers le jurent, main sur le cœur : le tabac, c’est bientôt fini. On ne les y prendra plus, et, juste le temps de faire la transition, promis, ils seront les acteurs d’un monde sans tabac. Avec parfois la bénédiction de certains acteurs de la vape. Mais le monde selon les cigarettiers n’est pas le monde du commun des mortels.
Les mystères de l’Afrique
Le continent africain est, souvent, pour les occidentaux, nimbé de mystères, mélange de prospectus d’agence de voyage, d’actualités compliquées, de mémoire coloniale et d’images de films d’aventures. Pourtant, il suffit de se plonger dans la PQR (presse quotidienne régionale) africaine pour réaliser une chose : les préoccupations quotidiennes des Africains sont exactement les mêmes que celles des Occidentaux, des Asiatiques, des Latins, etc.
Exemple de questionnement du quotidien commune à tous les continents à diverses époques : la montée du tabagisme chez les jeunes, qualifie par bon nombre d’experts locaux de « préoccupante ».
Bon nombre de pays africains sont en développement, ce qui signifie qu’ils sont en décalage sur certains sujets par rapport à certains pays asiatiques ou occidentaux. Jusqu’ici, l’Afrique n’avait pas été, pour les cigarettiers, un pôle de développement majeur.
Les marchés orientaux, occidentaux et latins étaient déjà vastes et profitables, et le pouvoir d’achat du continent noir en faisait un marché certes important, mais pas stratégiquement crucial.
La donne a changé. L’arrivée de la vape a réveillé la lutte contre le tabagisme, même dans les pays qui la rejettent : la lutte antivape s’accompagne souvent de nouvelles mesures antitabac. Et le développement, malgré tout, de la cigarette électronique, a surtout un effet : ringardiser la clope chez les jeunes.
Le nouvel Eldorado
La réaction de l’industrie du tabac, du point de vue occidental, on la connaît : s’axer sur le développement des produits du vapotage, tout en développant une propagande sur le « fumer moins, fumer mieux », une affirmation totalement fictive, et promettre la main sur le cœur que le tabac, c’est bientôt terminé. Pas partout, manifestement.
L’Afrique est un continent jeune : 60 % des habitants ont moins de 24 ans. L’Afrique subsaharienne compte, selon la Banque mondiale, 1,1 milliard d’habitants, et une projection porte ce chiffre à 2,4 milliard en 2050. A ce moment-là, 35 % des jeunes de moins de 25 ans dans le monde seront africains.
Dès lors, le continent, jusqu’ici délaissé, devient pour beaucoup le nouvel Eldorado. Avec un axiome bien connu par les professionnels du tabac : un client jeune est un client captif plus longtemps.
La réalité décrite par les observateurs par exemple en Côte d’Ivoire est terrifiante. La vente de cigarettes se fait en pleine rue, à l’unité, alors que la législation sur le tabac dans le pays est restrictive : les cigarettes doivent être vendues en paquet, et la vente aux mineurs est interdite. Dans la réalité, les revendeurs de rue l’ignorent superbement.
Même si les adolescents sont convenablement informés sur les dangers du tabac, ils sont baignés dans la fumée de cigarette chez eux, avec leurs proches, et commencent à fumer avec leurs camarades par effet de groupe. Un mécanisme bien connu, et pour cause : il est universel.
Par dessus tout cela, la publicité pour le tabac se fait en pleine rue, montrant des jeunes gens sportifs et heureux, cigarette à la bouche. Des versions modernisées de celles que l’on pouvait voir dans l’hémisphère nord jusque dans les années 80.
Le monde sans tabac, ou presque
En 2018, à la conférence « Tabac et santé » qui réunissait 3000 experts en tabagisme du monde entier, L’Atlas du tabac était révélé qui dévoilait, chiffres à l’appui, les stratégies de l’industrie du tabac en terme de marketing pour se lancer à l’assaut de l’Afrique, nouveau pôle majeur de développement. Force est de constater, en lisant la PQR africaine, que l’objectif est en passe d’être atteint.
En 2017, une projection de l’OMS prévoyait une augmentation, au niveau mondial, de 40 % du nombre de fumeurs dans le monde. Les chiffres n’ont, pour l’instant, pas encore été actualisés, mais la vitalité démographique de l’Afrique et la perméabilité de la jeunesse au marketing agressif de l’industrie du tabac rendent ce chiffre tout à fait envisageable.
Loin, très loin, donc, d’un monde sans tabac. L’Afrique est la meilleure réponse à ceux qui, aujourd’hui, collaborent avec l’industrie du tabac, en expliquant qu’elle a changé : non, elle a juste posé ses valises mortifères ailleurs.
Sources
Alliance pour le Contrôle du Tabac en Afrique
OMS (avec les réserves qui s’imposent, voir ici)
“Interview du Pr Alexandre Kouassi” dans Presse Côte d’Ivoire
“A Yopougon, l’inquiétante montée du tabagisme chez les mineurs” sur Abidjean.net
“La jeunesse africaine, proie de l’industrie du tabac” sur Génération Sans Tabac