Les buralistes ne parlent pas tous d’une seule voix : l’association Buralistes en Colère, à travers notamment une page Facebook très active, plaide pour des solutions différentes que celles avancées par la confédération. Interview de Eric Hermeline, président.
Une colère maîtrisée
Buralistes en Colère a tout d’abord pris la forme, en 2014, d’une page Facebook destinée à regrouper tous les professionnels qui ne trouvaient pas satisfaction dans les solutions avancées par la Confédération des Buralistes.
« Notre objectif était de proposer une autre vue et un esprit critique par rapport à la confédération » explique Eric Hermeline, à l’initiative du projet « et un groupement de buralistes moins à la merci des sponsors et partenaires de la Confédération ».
Le but n’est d’ailleurs pas de s’opposer frontalement à la Confédération « j’en fais moi-même partie » souligne Eric Hermeline. Ce n’est pas une double appartenance ? « Non, Buralistes en Colère est une association, et la Confédération un syndicat, ce ne sont pas les même fonctions ni les mêmes aspirations ». Buralistes en Colère est à voir comme un Think tank avec les coudées franches.
La page devient ensuite une association « il fallait être une personne morale pour pouvoir attaquer l’état, ce que nous sommes devenus en constituant une association au moment du paquet neutre. » Mais le procès ne s’est pas fait « nous n’en avons pas eu besoin » explique Eric Hemeline « le paquet neutre n’a eu aucune incidence sur les ventes de cigarettes » aucune ? « absolument aucune ».
Les choses sont différentes pour l’augmentation du prix du tabac et le paquet à dix euros.
Mais Buralistes en Colère, c’est aussi un laboratoire d’idées et d’initiatives. « Nous avons lancé la marque Bural Zen, pour vendre du CBD. Bon, une initiative de courte durée, il est vrai, au vu du flou qui a régné ces derniers temps, mais la situation sera clarifiée à la rentrée. »
L’Europe inefficace
Eric Hemeline le reconnaît il n’est pas de ceux qui souffrent le plus de l’augmentation du prix du tabac « honnêtement, chez moi, ça va. Je m’en sort bien mieux que beaucoup de mes confrères, parce que je suis bien situé. En réalité, les difficultés des buralistes sont différentes en fonction de la zone géographique où ils se trouvent. »
Par rapport aux achats frontaliers ? « Oui. Entendons nous bien : que l’état souhaite augmenter le prix du tabac pour faire baisser le nombre de fumeurs, ce n’est pas cela que nous contestons. Que le tabac soit un enjeu de santé publique, nous en avons conscience. Ce qui pose problème, c’est que ce plan ne s’inscrit pas de façon concertée dans un plan européen. Le Luxembourg fait des ventes de tabac dix fois supérieures à la consommation locale. Andorre, c’est pareil. »
« Le candidat Macron » rappelle Eric Hemeline, « avait promis l’augmentation des prix du tabac uniquement s’il y avait une harmonisation européenne. Le président Macron augmente les prix alors que les tarifs sont très disparates à travers l’Union ».
Et l’Europe ne fait rien ? « Pas efficacement, en tout cas. Les pays concernés ont des amendes, ils paient, ils s’en moquent. Pensez que le Luxembourg paie tous ses fonctionnaires rien qu’avec les taxes sur le tabac. Ils n’ont aucun intérêt à suivre les règles, et aucun risque si ils ne les suivent pas. »
Selon Eric Hemeline, cette politique est de plus inefficace « Un fumeur qui achète son paquet cher en France, il fait attention, il l’économise, il fume moins. Celui qui va acheter pour trois fois rien cinq cartouches en Espagne, lui s’en donner à coeur-joie, il n’a aucune raison de moins fumer. Si il y a une harmonisation européenne, les fumeurs continueront de fumer, plus modérément. Certains arrêteront, d’autres non, mais je préfère voir un fumeur arrêter le tabac que d’aller acheter en Espagne ».
Buralistes contre trafiquants
En parallèle, les trafics explosent « on parle des vendeurs à la sauvette dans les rues, ça semble anecdotique, mais on comprend mieux quand on sait que l’Algérie est le deuxième distributeur de cigarettes en France après Logista. Entre les achats à l’étranger et les trafics, aujourd’hui, 24 % du tabac consommé en France est acheté hors réseau. Ce sont autant de pertes pour l’état, donc le contribuable. »
L’industrie du tabac organise-t-elle le trafic de tabac ? « Je ne le pense pas. Mais elle en profite ».
« Ce que revendique Buralistes en Colère, c’est un gel des augmentations, au moins jusqu’à ce qu’il y ait une harmonisation européenne et une lutte efficace contre les trafiquants ».
La vape, pas une martingale
« Nous avons tous quelques clients qui ont arrêté de fumer grâce à la vape, mais ce n’est pas la martingale en terme de chiffre d’affaires. L’idée de passer du tabac à la vape n’est pas viable. Il y a en France environ 2000 vape shops et 24 000 tabacs, et le marché n’est pas assez grand pour que tout le monde en vive. »
Eric Hermeline ne veut pas non plus du monopole des buralistes sur la vape « ce n’est pas une bonne idée, à mon avis, et de toute façon, ce n’est pas à l’ordre du jour. D’après ce que j’en sait, la ministre de la Santé ne veut pas provoquer la fermeture des vape shops aujourd’hui ouverts en France. »
« La contrebande de cigarettes met aussi à mal le marché de la vape » souligne Eric Hermeline « les vape shops ne se sentent pas concernés par les problèmes des buralistes, mais ils se trompent. »
Et les vape shops buralistes destinés à conquérir le marché ? « C’est très bien, mais pour les gros bureaux de tabac, qui ont les moyens de le mettre en place. 45 % des bureaux de tabac sont des points de vente situés dans des communes de moins de 3000 habitants, ce n’est pas viable. Les petits bureaux de tabac ont en majorité disparus, aujourd’hui c’est au tour des moyens, et ce n’est pas cette solution hors de portée pour eux qui les sauvera. »
Un point que Eric Hermeline apprécie néanmoins particulièrement « La vape nous a rendu notre rôle de commerçants. La vente de tabac nous avait habitués à une vente simple, le client commande, on sert. La vape nous oblige à nous informer sur le matériel pour pouvoir l’expliquer au client, il y a un changement qui se crée. »
Les vape shops, pas fair play
Eric Hermeline a un gros reproche à adresser aux vape shops « Ils nous accusent de ne pas proposer autant de matériel qu’eux, mais qu’ils nous laissent travailler, alors. J’achète mes produits de vape chez un grossiste, mais je ne vois jamais son commercial. Ils préfèrent éviter de vendre ouvertement aux buralistes, parce que ce serait mal vu dans la vape. Je leur dit : laissez-nous travailler, que nous puissions proposer à nos clients qui souhaitent se mettre à la vape quelque chose de bien. Après tout, on nous dit que vapoter c’est mieux que fumer. Très bien, mais à condition que tout le monde joue le jeu. »
Le boycott du Loto
Pour agir, Buralistes en Colère a appelé à boycotter le Loto du patrimoine, une initiative totalement assumée par Eric Hermeline « On essaie de profiter du lancement de ce jeu hyper médiatisé pour dire qu’on est pas d’accord. Cela permet d’envoyer un message fort à la fois au gouvernement et à la Française des jeux. »
Mais, et c’est là l’astuce, s’en prendre au Loto sans s’en prendre au patrimoine « Ce jeu va coûter quinze euros et rapporter 1,52 euros au patrimoine. Nous ne voulons surtout pas spolier cet aspect patrimonial, j’y suis moi-même très attaché. Nous, ce que nous proposons, c’est de donner directement les quinze euros à une association qui s’occupe de préserver notre patrimoine. Ce qui vous donne droit, au passage, à une réduction d’impôts de 9 euros, à tous les coups. Si vous faites le calcul, tout le monde y gagne, sauf la française des jeux et le gouvernment. »
Une perte du monopole des buralistes ?
On pose la question franchement à Eric Hermeline : si aujourd’hui un jeune désirait ouvrir un bureau de tabac et venait lui demander son avis, que lui répondrait-il ? « Je ne serais pas encourageant. On va me le reprocher, puisqu’on m’accuse régulièrement de faire baisser le prix des commerces à la revente, mais il faut être honnête, ça sera dur. »
Au cours de la conversation, le buraliste a évoqué la perte du monopole du tabac, comment serait-ce possible ? « Très simplement : l’état a horreur des zones blanches. Le monopole des buralistes et concédé en échange d’un certain nombre d’engagements, parmi lesquels une couverture du territoire. Avec la fermeture des bureaux de tabac frontaliers, des zones blanches sont en train d’apparaître. Or, l’administration a horreur du vite : si il n’y a plus de buralistes dans ces secteurs pour assurer la vente du tabac, ils confieront cette mission à quelqu’un d’autre, via des ventes par adjudication. Ce sera une fin du monopole de fait. »
Les projets de Buralistes en Colère
L’association porte un certain nombre de projets : la marque Bural accolée à certains services comme Buralphone, par exemple. Et le retour du CBD.
« Philippe Coy a proposé le monopole du cannabis récréatif pour le réseau. C’est une mauvaise idée. Franchement, avec l’augmentation des prix du tabac, il y a une nette croissance des agressions et des braquages chez les buralistes, ce n’est pas en plus pour nous mettre à stocker du THC. En revanche, le CBD est un produit prometteur. Le président du syndicat des chanvriers estime le marché à un milliard d’euros la première année. Avec Buralzen, nous proposeront un produit qualitatif dans un réseau professionnel. »
Buralistes en Colère est donc un réseau actif. Qui veut contrer la fédération des Buralistes ? « Non, je l’ai dit, c’est différent. Même si je dois parfois l’exaspérer, je n’ai rien contre Philippe Coy, qui fait ce qu’il peut avec sincérité. Simplement, nous avons du recul et de la circonspection ».
Un mois de la vape !
Par exemple, sur le désir de la Confédération des Buralistes de participer activement au mois sans tabac « ce n’est pas très crédible, vendre des cigarettes à nos clients en leur expliquant que fumer tue, je vous laisse imaginer la scène. C’est comme si on demandait à la confédération des bouchers charcutiers de participer aux manifestations végans. En revanche, organiser un mois de la vape serait certainement plus crédible et constructif. » Nous l’espérons tous.
À la rencontre de Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes