“Maman ! Oui, Maman !”
La dame entre dans le magasin d’un pas décidé, suivie d’un petit jeune. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne perd pas de temps : “Je viens acheter une vape pour ce petit con !”
“Euh… Oui ?”, je rétorque, dans ce qui ne restera pas à la postérité comme ma meilleure répartie.
Elle explique sur le ton d’un adjudant-chef qui distribue des corvées : “Il fume ! Ses copains fument, et donc cet idiot se sent obligé de faire pareil. Du coup, moi, je préfère le mettre à la vape, je suis pas naïve, il va cloper, alors autant que ce soit sain et que j’aie l’œil dessus. Mais attention !” et là, elle pointe un doigt accusateur vers moi et l’agite d’une manière qui me donne aussitôt envie de filer ranger ma chambre : “Je veux un contrôle total sur ses achats ! Vous ne lui vendez rien hors de ma présence, je veux tout voir !”
Aucun problème, je lui explique que, de toute façon, je n’ai le droit de vendre qu’à elle, après avoir vérifié, bien entendu, qu’elle est majeure. Elle rit et se déride un peu sous la flatterie. Son fils me jette un regard qui veut dire : “Bien joué, mec.”
Repos sur place, vous pouvez vapoter
Après, tout a été assez simple. Elle s’est tournée vers son rejeton : “Tu discutes pas, tu prendras ce que le monsieur te dira”, puis vers moi : “N’en profitez pas, c’est moi qui paie !”, et on est parti sur un kit qui fait de la grosse vapeur, comme il le voulait, et un liquide sans nicotine, parce qu’après vérification, son expérience du tabagisme se limitait à une bouffée sur la clope d’un copain et une flaque de vomi.
C’est surtout vers les vapes de ses copains qu’il lorgnait, et, si on y réfléchit bien, hormis une blessure d’amour-propre qui sera vite cicatrisée, il a fini par obtenir exactement ce qu’il voulait, tous frais payés.
Je ne sais pas si c’est un hasard ou le fait d’une époque, mais j’ai reçu, dans les dernières semaines, pas mal de parents qui voulaient mettre leur ado fumeur à la vape pour lui éviter le pire. On pourrait discuter de la position morale dans laquelle ça me place, mais je me dis qu’on ne peut pas leur refuser une chance que nous aurions aimé avoir avant d’être marqués par le tabac.
Mais aucun de ces autres parents ne m’a passé un savon et ne m’a fait sentir comme si j’avais quinze ans depuis cette dame. Dommage. Quinze ans, c’était le bon temps.
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