Le projet de taxation des e-liquides dans l’Union européenne aboutira cette année. Pour en connaître tous les détails, Vaping Post magazine a interviewé Sélim Denoyelle, délégué général de la Fivape. Rien n’est perdu d’avance, mais la bataille sera rude.
Bonjour Sélim Denoyelle, vous venez de rejoindre la Fivape en tant que délégué général, bienvenue à vous ! À quoi peut s’attendre la filière pour cette année 2023 ?
Sélim Denoyelle : Bonjour, pour commencer, je dois dire que je suis très heureux de rejoindre la Fivape. Le potentiel des produits du vapotage est colossal pour améliorer la santé des fumeurs et les aider dans leur sevrage tabagique. Cette innovation mérite que l’on s’engage à 100 % pour la défendre et pour représenter dignement les professionnels qui la font vivre. Notre ambition est simple : nous battre pour que la vape soit reconnue et qu’elle occupe la place qu’elle mérite dans les politiques publiques de lutte contre le tabagisme. Concrètement, la filière vape est cette année confrontée à ce qui sera probablement son plus grand défi depuis 2016 et l’adoption de la TPD. Je parle du projet de taxe que la Commission européenne cherche à faire appliquer sur les e-liquides, et qui devrait être publié au 2e semestre de cette année.
Votre prédécesseur évoquait cette directive dans notre dernier numéro, mais sans entrer dans les détails. On parle désormais d’une taxe qui pourrait atteindre jusqu’à 3 euros par flacon. Avez-vous des informations qui confirment ou infirment ces rumeurs ?
S. D. : Oui, nous avons obtenu des informations sur la direction que pourrait prendre le texte. Évidemment, rien de certain à 100 %, mais on commence à voir se dessiner des scenarii qui portent sur les modes de calcul et les montants. La commission pourrait ainsi proposer une taxation en fonction de la concentration en nicotine. Le texte distinguerait deux catégories d’e-liquides : ceux dont la concentration est inférieure à 15 mg/ml – dont ceux ne contenant pas de nicotine – et ceux dont la concentration est supérieure à 15 mg/ml. Les premiers seraient taxés à 10 centimes du millilitre, ou 20 % du prix de vente TTC, les seconds seraient taxés à 30 centimes le millilitre, ou 40 % du prix de vente TTC. Nous arriverions donc en effet à une taxe de 3 euros pour un flacon de 10 ml en 16 mg/ml. Il est primordial de rappeler l’importance du prix de vente public dans l’équation du vapotage. Les études statistiques convergent partout dans le monde sur les motivations et les intentions d’achat. Toutes montrent que le prix est un facteur décisif de l’entrée et du maintien dans la démarche d’arrêt du tabac par le vapotage. Ce qui compte, c’est de creuser le plus possible – et par tous les moyens – la différence de prix entre la vape et le tabac. Ces apports scientifiques font prendre conscience que toute augmentation du prix des produits du vapotage, même minime, pourrait décourager de nombreux fumeurs de se tourner vers une option considérablement moins nocive pour leur santé. Pire encore, certains vapoteurs pourraient reprendre le tabac, annulant ainsi les efforts entrepris depuis des mois, voire des années.
Quelle est la réaction de la Fivape face à ces futures hausses du coût du vapotage en France ?
S. D. : Sur les montants et le principe même d’une taxe, nous sommes évidemment très critiques. Sur le fond, rappelons que toute politique qui consiste à taxer un produit dont les effets sont bénéfiques sur la santé publique est contre-productive. Ce sont des débats qui ont lieu en dépit du bon sens et qui ne servent en rien le bien commun. Pire, ils risquent de déboucher sur des mesures, in fine, favorables à l’industrie du tabac. Un non-sens.
Taxer plus fortement les liquides les plus nicotinés est une aberration. Ça revient à pénaliser les plus gros fumeurs.
S. D. : Effectivement, concernant la différenciation par taux de nicotine, pénaliser financièrement celles et ceux qui ont besoin d’un fort taux de nicotine pour sortir du tabac est tout simplement cruel et contreproductif, puisque les plus accros à la cigarette sont justement ceux qui ont le plus besoin de nicotine pour quitter le tabac. En outre, l’addiction au tabac touche plus fortement les catégories sociales les moins favorisées. Leur imposer une “double peine” – difficulté du sevrage tabagique plus taxation supplémentaire – alors qu’ils cherchent à sortir de leur addiction serait une injustice qu’il nous faut combattre. Enfin, sur l’inclusion des e-liquides sans nicotine dans le champ de la taxation, la logique nous échappe totalement. Pas d’addiction, pas ou très peu d’effets sur la santé, un rôle utile pour les vapoteurs en cours d’arrêt de la vape : quel est le sens de cette mesure ? Qu’est-ce qui justifie de taxer les liquides en 0 ?
Dans ce contexte, quelle approche stratégique allez-vous adopter ?
S. D. : Les produits du vapotage ne doivent pas être taxés. Malheureusement, la majorité des États membres taxent déjà, dont certains grands pays comme l’Allemagne. Il nous faut être pragmatiques. Aussi douloureux que soient les constats que nous venons de faire, nous devons être stratégiques et pondérer, dans une certaine mesure, l’engagement militant qui nous anime. Partir au combat frontalement contre ce projet de taxe rendrait notre voix inaudible.
Concrètement, qu’envisagez-vous comme stratégie ?
S. D. : Nous pensons qu’une voie médiane pourrait tout à fait concilier la volonté des États membres, qui souhaitent une harmonisation du régime fiscal des produits de la vape, et celle des pays qui voudraient mobiliser correctement le vapotage dans leurs politiques de santé publique. Cette option consisterait à faire démarrer l’assiette de taxation à 0 euro. Des règles communes en matière de fiscalité s’appliqueraient, harmonisant ainsi le fonctionnement entre tous les États membres. Mais les pays qui le souhaitent pourraient choisir de ne pas faire peser de pression fiscale supplémentaire sur un produit de sortie du tabac. Que l’on aime ou pas la vape, nous pensons que les États membres, dont évidemment la France, doivent avoir la capacité de la mobiliser au service de leurs politiques, sans se voir imposer une taxe par Bruxelles. Il en va de leur souveraineté dans la conduite des politiques sanitaires et ceci trouve totalement sa justification dans les écarts immenses qui séparent les États européens en termes de prévalence tabagique. Cette directive sera au cœur des discussions de l’assemblée générale de la Fivape, qui aura lieu le 27 mars à Paris.
Ce qu’il faut retenirLe projet de taxe sur les e-liquides de la Commission européenne devrait être publié au 2e semestre de cette année. Les e-liquides dont la concentration de nicotine est inférieure à 15 mg/ml – dont ceux ne contenant pas de nicotine – seraient taxés à 10 centimes du millilitre, ou 20 % du prix de vente TTC. Ceux dont la concentration de nicotine est supérieure à 15 mg/ml seraient taxés à 30 centimes le millilitre, ou 40 % du prix de vente TTC. La Fivape souhaite que l’assiette de taxation démarre à 0 euro pour que les États qui le souhaitent puissent mobiliser correctement le vapotage dans leurs stratégies antitabac.
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