En juillet 2019, Éric Juan, alias Le Plombier Volant, un des modeurs les plus singuliers de la scène française, tirait sa révérence. Nous souhaitions lui consacrer un article, et, pour ce faire, nous avons demandé à des proches de parler de lui.
Un personnage singulier
Tout le monde s’accorde sur une chose à propos d’Éric Juan, le Plombier Volant : c’était un personnage singulier, un personnage tout court, d’ailleurs. Arrivé dans la vape au terme d’un parcours qui n’était pas celui de tout le monde.
C’est peu dire que l’homme a eu plusieurs vies. Tout d’abord costumier et accessoiriste, principalement pour le théâtre, il devient ensuite plombier. Il faut dire qu’il avait six CAP dans six domaines différents. Tout le monde s’accorde là-dessus, il avait de l’or à la fois dans l’esprit et dans les mains.
L’aventure du moding a commencé pour lui avec la découverte de la vape et d’une eGo-C “pas très jolie”, selon ses dires. Il a essayé de fabriquer une vape plus agréable à l’œil avec des pièces de plomberies de son atelier. Et c’était parti, le doigt était dans l’engrenage. Éric Juan s’est mis à fabriquer des mods et est devenu modeur, tout simplement.
Agnès Fonbonne, écrivaine et vapoteuse, a bien connu Éric, qui habitait pas loin de chez elle, à Montreuil. “C’était un très bon ami. Je l’ai connu tout d’abord par ses premiers mods, qui étaient proposés dans quelques boutiques à Paris, avant de le rencontrer, en 2014”, se souvient-elle. Agnès est séduite par les créations du Plombier Volant et achète directement le premier modèle qu’elle voit.
Elle rencontre Le Plombier Volant un peu plus tard. “C’était au premier Vapexpo, précise-t-elle. Il n’y avait pas encore de coin du modeur, à l’époque. Je l’ai aperçu de loin, il était en grande conversation avec Jan Kounen, une sacrée entrée en matière.”
Éric et Agnès commencent à discuter. “Très vite, on s’est rendu compte qu’on était voisins. Il est venu à la maison, et on est devenus de grands amis. Il était charmant, bizarre mais charmant.”
Le charmant bizarre
Le portrait qu’Agnès Fonbonne fait d’Eric Juan est étonnant. “C’était un homme assez petit, très sec, toujours habillé n’importe comment. Il avait un vrai caractère. Il avait très peu d’amis, c’étaient surtout des connaissances. Il trouvait des gens dans la vape super cons, et quand on lui faisait remarquer que c’était un jugement exagéré, ça le faisait rire, il avait un côté clairement provocateur”, s’amuse-t-elle. Une de ses grandes passions, c’étaient les ragots : “les cancans, dans le milieu de la vape, il adorait ça, ça l’amusait beaucoup.”
Au nombre de ses amis proches, Vanessa Koita est venue l’aider dans ses activités de modeur et a été à ses côtés, d’une indéfectible amitié. Très touchée lors du décès d’Éric, elle s’est mise en retrait du monde de la vape par la suite. Nous n’avons pas réussi à la joindre pour cet article.
Tous s’accordent sur la plus grande qualité d’Éric Juan : il était d’une intelligence absolument redoutable. “Au fur et à mesure du temps, j’en suis parvenu à la théorie qu’il était HPI, haut potentiel intellectuel, précise Agnès Fonbonne. En plus, il savait tout faire de ses mains.” Et sa passion l’animait en permanence, “quand il venait à la maison, ou que je passais chez lui, il me montrait des dessins, des plans, il en parlait”, raconte Agnès Fonbonne.
Le château du magicien
Si Le Plombier Volant ressemblait à un savant fou, à un magicien de fantasy, il lui fallait l’élément indispensable à ces deux archétypes : son laboratoire. Et celui d’Éric était son atelier.
“C’était un endroit magique, au fond d’un jardin où il faisait de la permaculture, se rappelle son amie Agnès. C’était à la fois son atelier et son habitation. C’était un fatras incroyable, une sorte de caverne d’Ali Baba, on se demandait comment il s’y retrouvait.”
C’était là que le modeur s’adonnait à sa créativité sans faille, au point de fasciner même d’autres créatifs. Cédric Persan et Audrey Roussel, alias Animodz, ne l’oublieront pas de sitôt.
“Nous l’avons connu sur le forum Vaporama, expliquent Audrey et Cédric. À l’époque de la création du CMF, le Collectif des modeurs français. Il n’a pas participé à sa création, arrivant un peu plus tard, mais il en a tout de suite été adhérent.”
Et Cédric Persan, alias Aniki, son alter ego modeur, ne cache pas son admiration. “On a été surpris par ses créations, agréablement surpris. Ça ne ressemblait à rien d’autre de ce qui se faisait à ce moment-là.”
Hypothétique futur passé
S’il s’inspirait effectivement de la plomberie, un de ses métiers, Éric Juan ne se cantonnait pas à cette originalité. Son univers était le rétrofuturisme, univers graphique particulier inspiré à la fois du futur et du passé. Une forme de recréation d’un futur, mais imaginé par le passé.
Et pour cela, il utilisait des méthodes de travail à l’ancienne et des matériaux parfois surannés. La bakélite, par exemple, plastique fait de polymères synthétiques tombé en désuétude parce que plus coûteux et plus compliqué à fabriquer que le plastique simple.
“Nous l’avons rencontré en vrai peu de temps après avoir fait sa connaissance sur le forum. C’était au salon E-Cig Show, et le CMF avait négocié un endroit pour nous, le premier coin des modeurs, même si ça ne s’appelait pas comme ça. Et on l’a vu arriver, un petit bonhomme tout sec, très gentil. Quand il s’est installé, on a halluciné, se souviennent Audrey et Aniki. Nous, on avait fait du mieux qu’on pouvait, on avait nos petites tables et tout. Lui, il avait une table, un mètre carré, et dessus, il avait tout son univers. Ses stands, c’était toujours l’attraction.”
On ne plaisante pas avec la minutie
Et, en tant que modeur, Aniki est stupéfait par la méthode de travail du Plombier Volant. “Nous, on faisait les choses à la main au début. Mais quand on pouvait trouver certaines pièces existantes auprès de fournisseurs, on les utilisait. Éric, lui, faisait tout à la main.
Absolument tout. Un détail qui m’avait fasciné : sur son mod Le Rasoir D’Ockham, il y a trois petites charnières. Il les faisait lui-même, il y passait trois heures. Il prenait une fine plaque d’acier, qu’il découpait, pliait, et un petit morceau de métal découpé pour faire la charnière. Tout était fait main, à l’exception des circuits électroniques de ses derniers modèles.”
Une logique jusque-au-boutiste qui n’étonne pas quand on se fait une image précise du personnage. “C’était quelqu’un de très intéressant, très cultivé, on pouvait parler de tout avec lui, n’importe quel sujet, se rappellent Audrey et Cédric d’Animodz. C’était quelqu’un qui avait une forte personnalité, il était très affirmé, très poli, mais très franc. Quand il avait quelque chose à dire, il le disait sans détour à la personne concernée, toujours poliment, sans éclat de voix, mais sans détour, c’était net.”
Éric Juan sera aussi élu président du CMF. “Quand la première présidente est partie, Créavap a pris la suite, mais au fur et à mesure du temps, quand le collectif se développait en même temps que son activité, c’était devenu une charge de plus en plus lourde, rapporte Aniki. Éric a proposé une présidence tournante, chacun son tour avec un mandat d’un an. Ça a été lui d’abord, puis Robin Guillaume de Volute Modz. Puis, le CMF s’est mis en sommeil pour diverses raisons.”
Un vide de lui plein de souvenirs
Au final, qui était Éric Juan, le Plombier Volant ? Un personnage complexe, sans doute, à la fois entier et mystérieux. Il s’est éteint à l’hôpital, entouré de ses proches, laissant dans le cœur de ceux qui l’ont connu un souvenir qui ne s’éteindra pas.
Dans la vape, il a laissé des œuvres d’art. Ses premiers mods mécaniques, assemblages de pièces de plomberie et de systèmes de son invention, comme sortis d’un futur qui n’a jamais été – rétrofuturistes. Sa dernière création, le Rasoir d’Ockham, utilisait comme matériau des pages de livre durcies par un procédé de son invention.
Une preuve de la passion et du respect qu’il éprouvait pour la vape, ce grand amateur de livres anciens avait trouvé un moyen d’associer ses deux univers, transformant l’un en l’autre.
Le 10 mai 2019, il poste sur sa page Facebook la photo d’un nouveau projet, la Clock Paradox, une bottom feeder. Le 18 juillet de la même année, sa sœur annonce son décès.
Nous n’avons pas fait témoigner toutes celles et tous ceux qui ont côtoyé Éric Juan, et qui avaient certainement des choses à dire. Ceci, pour des contraintes simplement techniques. Mais il vit encore à travers toutes ces personnes. Les souvenirs de tous ceux qui l’ont connu sont à l’image de son atelier : pleins de merveilles.