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Le moraliste, le nombriliste et le pleutre : l’abstinence systématique, une méthode contre-productive

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Un article de David T Sweanor, spécialiste de la réduction des risques associés au tabagisme de l’université d’Ottawa, a attiré notre attention sur deux points : la victoire sur le tabac serait, à l’échelle médicale, aussi importante que contre la polio, par exemple, et nous avons à présent tous les moyens de le faire. Mais l’approche uniquement basée sur l’abstinence adoptée par certains s’avère contre-productive.

 

Les conseilleurs ne sont pas les payeurs

L’incitation, voire l’exhortation, à l’abstinence comme moyen de sevrage tabagique, figure en tête des préconisations de certaines personnes plus ou moins bien intentionnées. Dans les voix qui portent le plus, il y a les moralistes, les nombrilistes, et les pleutres.

Les moralistes sont toutes ces personnes qui abordent le tabac comme un pêché. Quoique laïques, elles sont enfermées dans un carcan de pensée qui utilise une conception religieuse de la chose, avec le bien (ne pas fumer), le mal (fumer) le pêcheur (le fumeur), et le choix entre la rédemption ou la damnation, fumer ou arrêter.
C’est une religion ou la nicotine est le Diable et ou le fumeur n’est pas sa victime, il est son complice. Dès lors, la seule manière pour lui d’expier est d’arrêter à la seule force de sa volonté, les souffrances causées par le manque tenant lieu de châtiment piaculaire. Souvent, le moraliste est une personne qui n’a jamais fumé lui-même, dédaigne les études scientifiques et ne se réfère qu’à sa vision.
Leur attitude sectaire et punitive est la principale cause de leur manque d’efficacité pratique : ils ne donnent tout simplement pas envie, parce qu’ils démontrent assez rapidement qu’ils ne savent absolument pas de quoi ils parlent.

Le nombriliste est celui qui a arrêté à la seule force de sa volonté et qui considère que, si lui l’a fait, tout le monde devrait en faire autant. Il peut sembler bien intentionné, il l’est certainement en son for intérieur, mais sa démarche est négativiste. Bien souvent, il balaie de la main le fait que chaque fumeur est différent, et que ce qui a réussi pour lui peut échouer pour d’autres.

Il y a dans cette démarche, également, une part d’ego, puisque plaçant toute personne ayant échoué par cette méthode dans la catégorie des faibles sur son échelle de valeur. Enfin, il peut être motivé par une certaine forme de jalousie, lui n’ayant pas pu bénéficier de certains moyens qui lui auraient épargné la souffrance du manque.

Ainsi, dans un groupe où se trouve une personne qui souhaite arrêter de fumer et qui demande conseil, l’intervenant le plus négatif sera celui qui rétorquera « La volonté, moi j’ai arrêté comme ça » sera celui qui fera le plus de dégât, puisqu’il déniera au fumeur le droit d’arrêter sans souffrance, instillera en lui une crainte sournoise de l’échec qui s’avérera souvent paralysante, et induira que ce qui lui arrive est de sa faute.

Enfin, le pleutre, c’est tout simplement celui qui considère que, « certes, le tabac, c’est mal, mais que les autres dispositifs d’aide au sevrage sont peut-être dangereux, enfin, on ne sait pas, on n’en est pas certain, mieux vaut rester prudent jusqu’à plus ample informé, le principe de précaution, tout ça… Il est urgent d’adopter une posture attentiste ! ».
Parfois, le pleutre est appelé, en fonction de son sexe, Monsieur ou Madame Le (ou La) Ministre. Souvent, également, on lui dit « Merci, docteur, combien je vous dois ? »

Le parti des Déconstructifs ?

Pourtant, mises bout à bout, toutes ces voix dissonantes finissent par couvrir le chœur et gâcher la symphonie. Parce que c’est douce musique, à l’oreille du fumeur, de s’entendre dire « Il existe aujourd’hui des moyens de te sortir du tabac
(“Démon, démon, brûlez l’hérétique”),
avec beaucoup moins, voire pas du tout, de souffrance
(“ouais, mais bon, moi j’y suis arrivé comme ça, même pas mal, toi t’es pas cap’”),
et un facteur de risque nettement inférieur
(“Oui, certes, mais je paie très cher des gens pour me dire le contraire, restons prudents”) »

Pourtant, on a aujourd’hui pléthore de moyens pour permettre la consommation de nicotine de façon plus saine qu’avec la combustion d’une cigarette, ce qui fait, par ricochet, qu’on a des moyens pour transformer, presque, le sevrage tabagique en formalité (le presque est TRES important dans cette phrase).

La vape, bien entendu, les patchs et chewing-gum à la nicotine, le SNUS (qui a obtenu des résultats spectaculaires dans les pays qui ne l’ont pas interdit) sont autant de pièces d’artillerie spécialisées dans cette guerre, à choisir selon la cible, à savoir les spécificités de la dépendance de chaque fumeur.

Ces moyens se heurtent aux moralistes parce que, la plupart du temps, ils dispensent de la nicotine, et que la nicotine représente le mal pour eux, aux nombrilistes parce que c’est de la triche dans leur conception mano à mano de l’arrêt du tabac, et aux pleutres parce qu’ils n’ont qu’une peur, c’est que le moindre problème leur revienne au visage et leur coûte leur poste.

Mauvais conseil ?

Le problème n’est pas en soit que tant de gens conseillent le Cold Turkey, ou sevrage à la dure, comme méthode, le problème, c’est qu’ils le conseillent systématiquement à la place de tout autre chose. Parce que cette attitude finit par instiller le doute dans l’esprit du fumeur.

La raisonnement est le suivant : « le tabac est un des facteurs de mort les plus important au monde. Arrêter est difficile. Il existe des moyens pour faciliter cet arrêt, pourtant, des gens qui ont tous en commun d’être des ennemis du tabac préconisent la méthode difficile. Donc, soit ces dispositifs d’aide au sevrage sont moins efficaces encore, soit ils sont très dangereux, dans tous les cas, je préfère m’en tenir éloigné, et si j’échoue dans mon arrêt du tabac, tant pis, je réessaierai une autre fois. ». raisonnement erroné, certes, mais logique si l’on ne prend en compte que l’attitude irrationnelle du moraliste, du nombriliste et du pleutre.

Le tabac sera vaincu le jour ou l’on pourra proposer sans arrière-pensée au fumeur tous les moyens disponibles, ce qui signifie, non pas d’éliminer l’abstinence, mais d’en faire un moyen parmi d’autres. Parce que ce qu’il est important de dire, c’est que l’abstinence fonctionne très bien… Mais pas pour tout le monde.

C’est un fait avéré, aujourd’hui, que la dépendance à la nicotine doit se traiter au cas par cas. Il reste un dernier palier à franchir, c’est d’accepter qu’il n’existe pas qu’une seule solution. Privilégier une solution contre toutes les autres pour de mauvaises raisons est le seul obstacle qui nous sépare de la plus grande victoire de santé publique depuis le programme d’éradication de la poliomyélite. Qu’attendons nous ?