Depuis 2001, Gérard Audureau préside DNF, Demain sera Non-Fumeur. Une association à la pointe de la lutte contre le tabagisme, parfois présentée caricaturalement comme un ennemi de la vape. Une position en réalité plus nuancée, comme il l’explique lui-même au Vaping Post.

Gérard Audureau, président de l’association Demain sera Non-Fumeur (DNF)

Vers des lendemains sans tabac

Gérard Audureau est le président de DNF, Demain sera Non-Fumeur, anciennement Droits des Non-Fumeurs. Un changement de nom qui n’est pas qu’accessoire : “L’association a été créée en 1973. Il y avait sept fondateurs, à Colmar. Elle s’appelait à l’époque Ligue contre la fumée du tabac en public, rappelle Gérard Audureau. Nous avons élargi notre champ d’action au-delà de la fumée en public, ce qui a mené à changer récemment DNF, Droits des Non-Fumeurs, en Demain sera Non-Fumeur. Pour une raison simple : certaines personnes nous reprochaient, dans nos actions judiciaires destinées à veiller au respect de la loi, de nous mêler de choses qui ne nous regardaient pas, selon eux, en raison du nom trop spécifique de Droit des Non-Fumeurs. Le nouveau nom nous permet d’étendre le champ de notre action, pour viser un monde sans tabac en 2032.”

En 2006, les premières cigarettes électroniques sont apparues, en pharmacie. C’était une invention géniale.

Dans l’action de lutte contre le tabagisme, la cigarette électronique est un enjeu et un sujet de débat majeur. Quelle est la position de DNF et Gérard Audureau sur le sujet ? “En 2006, les premières cigarettes électroniques sont apparues, en pharmacie. À l’époque, les premières photos que j’avais vues montraient des dispositifs jetables, avec la batterie blanche et le filtre jaune, pour pousser la ressemblance avec une cigarette traditionnelle. Un journaliste m’a proposé de l’accompagner dans une pharmacie pour découvrir ce nouveau dispositif”, se souvient-il.

“Le pharmacien nous a fait une démonstration complète, nous repartons, et le journaliste me demande ce que j’en pense. Je lui ai alors répondu que c’était une invention géniale, qu’il faudra éviter de voir détourner de son objectif qui est de permettre aux gros fumeurs de quitter le tabagisme.”

Une solution dévoyée ?

Gérard Audureau étonne : “Moi-même, ancien gros fumeur, si, en 1979, lorsque j’ai arrêté, la cigarette électronique avait existé, je l’aurais utilisée.” Autant donc, pour l’image antivape parfois donnée de DNF et de son président, la réalité est bien plus nuancée.

“Ce qui manquait aux substituts, c’était la gestuelle. La gestuelle du fumeur, associée à un dispositif permettant de réduire son taux de nicotine, en faisait un produit idéal pour arrêter.” Gérard Audureau pressent alors que la vape va prendre de l’ampleur. “J’ai reformulé cette mise en garde, ne pas détourner l’e-cigarette de son but initial, auprès de nos partenaires. Le milieu médical, à l’époque, a considéré qu’il s’agissait d’un épiphénomène qui allait disparaître. J’ai aussi questionné l’ANSM, AFFSAPS, la DGCCRF, et leurs réponses confortaient mon intuition. Je n’ai jamais changé d’opinion depuis : c’est un produit qui peut aider à sortir du tabac, il devrait être comme tous les autres produits de ce type et passer un examen de l’ANSM.” Mais les choses ne vont pas aller dans le sens espéré par le président de DNF.

Le “lobbying” de la vape, ennemi de DNF

“Le risque, c’était qu’il n’y ait pas de sagesse chez les fabricants. Rapidement, des associations comme l’Aiduce ont exercé une influence auprès de ceux qui avaient pour métier d’aider les fumeurs : les médecins, pour qui la réduction des risques est primordiale. Il y a eu également un lobbying féroce auprès du ministère de la Santé de l’époque.”

Ce qui manquait aux substituts, c’était la gestuelle. La gestuelle du fumeur, associée à un dispositif permettant de réduire son taux de nicotine, en faisait un produit idéal pour arrêter.

Ce qui a donné lieu à un décret invalidant le texte législatif et qui offrait la possibilité de vapoter partout au travail, sauf dans les open spaces, interdiction de vapoter qui, par ailleurs, ne s’applique que dans les transports en commun et dans les écoles, une très mauvaise chose pour le président de DNF. Ainsi peut-on vapoter au cinéma, au théâtre ou à l’Assemblée nationale lors des séances publiques.

“Il faut en passer par la loi. Constatez par vous-même : à chaque fois qu’on a laissé la possibilité, par exemple aux cafetiers-restaurateurs, de choisir par eux-mêmes, ils ont toujours opté pour une solution a minima.”

Gérard Audureau met en garde le jeune milieu de la vape. “J’ai été invité à intervenir aux Sommets de la vape. J’y ai fait un exposé basé sur des faits, des chiffres et mis en garde de ne pas dépasser les limites de l’acceptable en détournant vers le délit de publicité ou de propagande en faveur du tabac ou de la vape. Et ça n’a pas manqué, aujourd’hui l’industrie du tabac est massivement rentrée dans la brèche ouverte par ces groupes de pression.”

Toutes les idées sont bonnes pour lutter contre le tabac, mais…

“Lorsqu’en 2009, l’interdiction de vente aux mineurs est passée de moins de 16 ans à moins de 18 ans, les premiers à forcer en faveur de cette mesure ont été les industriels du tabac. Pour une raison simple : avec la limite d’âge précédente, ils étaient directement responsables du saccage de la jeunesse entre 16 et 18 ans. Grâce à cette mesure, ils refilaient le bébé aux buralistes et pouvaient prétendre que la promotion de leurs produits s’adressait à des adultes consentants et informés.”

Augmenter le nombre d’espaces sans tabac, par exemple, ça, c’est efficace.

On parle aujourd’hui d’une loi qui interdirait aux buralistes de vendre du tabac aux personnes nées après une certaine date, augmentée chaque année d’un an sur le modèle d’un projet néo-zélandais.

“C’est le cheval de bataille de certains professionnels de santé, précise Gérard Audureau. Beaucoup de choses sont faites pour lutter contre le tabac, et aucune n’est condamnable. Mais pour parvenir à réduire le tabagisme, les deux objectifs majeurs sont la suppression de son attractivité et la réduction de son accessibilité.”

En termes d’accessibilité, par exemple : “Augmenter le nombre d’espaces sans tabac, par exemple, ça, c’est efficace. Cela permet de concevoir enfin que le tabac n’est pas la norme.” Dénormaliser le tabac, donc faire en sorte qu’une action aussi simple que d’allumer une cigarette soit pratiquée en respectant des contraintes qui démontrent que, dans cet acte, il y a quelque chose d’anormal et de dangereux, non seulement pour soi, mais également pour ceux qui vous entourent.

DNF est radicalement opposé à la puff.

Parce que, même refoulé petit à petit de l’espace public, le tabagisme reste un problème pour les non-fumeurs. “À l’heure actuelle, 95 % des plaintes qui arrivent sur notre site concernent la pollution tabagique de voisinage. Il n’existe aucun texte législatif aujourd’hui qui permette de résoudre ce problème. Nous disposons d’un recueil qui compte 8 000 plaintes de ce type dont la plupart relatent une profonde détresse lorsqu’il s’agit de leur lieu de vie, mais combien sont-ils à devoir subir le tabagisme passif dans les abribus, les files d’attente ou à ne plus pouvoir fréquenter les stades, les terrasses de café ou de restaurant ?” Il en va de même, à un bien moindre degré, du vapotage passif.

Attractivité du tabac banalisée par la vape

Quant à l’attractivité, un nouveau problème s’est posé. “Il fallait absolument que l’aide nouvelle au sevrage apportée par la vape ne permette pas aux fabricants de tabac de blanchir leur image en se cachant derrière cette fameuse réduction du risque pour devenir des partenaires de la santé publique. Malheureusement, c’est chose faite : l’industrie du tabac y est à fond, avec les cigarettes électroniques, et ils ramènent inexorablement au tabac avec le tabac chauffé, les sachets de nicotine, etc. Et malheureusement encore, la vape leur a déroulé le tapis rouge. Ils ont désormais porte ouverte partout en Europe.”

En parlant d’Europe, un des projets phares est de taxer la vape, idée à laquelle Gérard Audureau trouve une certaine logique. “Il ne faut pas tout vouloir en même temps. Soit l’e-cigarette est un produit de consommation courante, comme les professionnels l’ont souhaité, et, dans ce cas, on peut le taxer. Soit c’est un dispositif de sevrage tabagique, et, à ce moment-là, on rentre dans un processus avec autorisation de mise sur le marché, et on ne taxe pas.”

Les puffs et les “croisés de la vape”

Sur le sujet des puffs, DNF, via son président, est très clair : “Dès que les puffs ont été commercialisées en France, nous avons envoyé 7 000 courriers de mise en garde à l’Éducation nationale sur son usage, notamment chez les plus jeunes.”

“DNF est radicalement opposé à la puff, et ce, pour plusieurs raisons. Des raisons écologiques, tout d’abord, il me semble inutile de vous expliquer quelle aberration c’est sur ce chapitre. Pour des raisons de santé publique, également. Plus personne ne peut aujourd’hui contester le danger de voir ces puffs, dont beaucoup tournent aux alentours des 20 mg/ml de nicotine, facilement accessibles, et souvent dans des commerces dont ce n’est pas la vocation et qui n’ont aucune compétence sur le sujet.”

Les moyens d'éradication du tabagisme ne peuvent pas être exclusivement confiés à un ministre dont la seule préoccupation est de veiller à l’équilibre budgétaire.

L’interdiction des puffs va venir, mais elle a tardé : “Ce retard est dû à plusieurs facteurs, et les ‘croisés de la vape’ n’y sont pas pour rien.” Le 16 octobre dernier, la marque de puffs X-Bar a fermé son compte Instagram sous la pression de DNF, qui soutenait entre autres que cela violait la législation sur l’interdiction de publicité, sur un réseau social essentiellement utilisé par des jeunes.

Prix du tabac : augmenter oui, mais bien

D’ailleurs, à l’occasion de cette interview où elle annonçait l’interdiction à venir des puffs, la Première ministre Élisabeth Borne démentait l’augmentation prochaine du prix du tabac.

“Sur ce sujet très précis de l’augmentation, il s’agit, en fait, de la fiscalité qui est le levier le plus efficace pour lutter contre le tabagisme. Le prix, en soi, n’a d’efficacité que lorsqu’il s’intègre dans une trajectoire avec un objectif. Ainsi, en 2003, le Président déclare ‘la guerre au tabac’ avec pour objectif de passer de 3,50 à 5 € en trois augmentations rapprochées ; résultat : 32 % de chute des ventes. De la même manière, en 2018, est annoncé un ‘paquet à 10 €’ alors qu’il est à 7,50 €. En cinq étapes d’augmentations fiscales fortes ou rapprochées, le paquet dépasse effectivement 10 € et la chute des ventes est de 20 %. Il faut que l’augmentation qui arrive soit forte ou que le fumeur n’ait pas eu le temps d’oublier la précédente.”

L’industrie du tabac est à fond, avec les cigarettes électroniques, et ils ramènent inexorablement au tabac avec le tabac chauffé, les sachets de nicotine, etc.

Le prix du tabac va augmenter mécaniquement. “C’est une indexation basée sur l’inflation. Il faut impérativement supprimer cette indexation sur l’inflation qui a été introduite en 2019 pour banaliser l’effet de la fiscalité ! Aujourd’hui, nous avons une augmentation mécanique de la fiscalité qui n’entraînera qu’une augmentation de 30 à 40 centimes du prix des cigarettes, et les seuls à qui cela va profiter, ce sont les fabricants de tabac.”

Le problème majeur, selon Gérard Audureau, c’est le courage politique. “En 2017, DNF a été un acteur majeur de l’introduction d’une cogestion de la fiscalité du tabac par le ministre de la Santé et celui du budget. Aujourd’hui, le ministre de la Santé est effectivement associé, mais on lui met des menottes, en lui imposant cette indexation. Le tabac est un problème de santé publique ; les moyens de son éradication ne peuvent pas être exclusivement confiés à un ministre dont la seule préoccupation est de veiller à l’équilibre budgétaire en cours alors que le tabagisme coûte en réalité beaucoup plus qu’il ne rapporte.”

Nul ne doutera de la sincérité de DNF dans sa lutte contre le tabagisme. Discuter de ses choix et méthodes est une autre chose. Pour celles et ceux qui partagent cette cause, l’objectif n’est-il pas de débattre afin, ensemble, de déterminer ce qui est mieux ?

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