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Combien y a t-il réellement de fumeurs en Suisse ?

Mis à jour le 5/08/2024 à 19h25
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Des chercheurs de l’Université de Neuchâtel se sont penché sur les données et remettent en cause les statistiques officielles.

N’y a t-il vraiment qu’un quart de la population Suisse qui fume ? Une analyse des données de consommation de cigarettes [1] par des chercheurs de l’Université de Neuchâtel remet en cause cette statistique officielle. En réalité, le nombre de cigarettes fumées en Suisse est près du double de celui évalué par le Monitorage de l’Office fédérale de la santé publique (OFSP) [2]. «Une consommation de 10,8 milliards de pièces correspond à une prévalence de l’usage de la cigarette de 40,2 % (contre 22,9 % selon le Monitorage) ou à une consommation quotidienne moyenne de 18,1 cigarettes (contre 10,4 selon le Monitorage)», conclut l’étude publiée en décembre 2016 par l’Institut de recherches économiques de l’Université de Neuchâtel.

L’analyse, menée par le Pr Claude Jeanrenaud, Alain Schoenenberger et Lasha Labaze, a compilé les données des ventes et importations légales de 2014, y ajoutant une part évaluée à 8,7% de cigarettes non taxées en Suisse. Celles-ci proviennent d’achats dans les boutiques duty-free, dans les zones limitrophes, lors de voyages à l’étranger et une part minime dans la rue. «Les produits illicites, de contrebande et les contrefaçons représentent moins de 2% de la consommation totale (240 millions)», estiment les économistes.

Entre 23% et 40% de fumeurs

L’étude était passée inaperçue jusqu’à ces derniers jours. Un communiqué de presse d’Helvetic Vape, à propos de la diffusion télévisée du film Vape Wave, a attiré l’attention à son propos. «Avec un taux de prévalence du tabagisme situé quelque part entre 22,9% et 40,2% de la population de plus de 15 ans (*), la Suisse ne peut pas continuer à se passer de la réduction des risques et des dommages pour lutter efficacement contre la combustion comme mode de consommation de substances», souligne l’association de défense des usagers du vapotage en référençant l’étude neuchateloise.

En réaction sur la radio suisse-alémanique SRF, Roy Salveter, de l’OFSP, reconnaît le biais des réponses de fumeurs au Monitorage. «Certains des répondants sous-estiment leur consommation quotidienne de cigarettes. D’autres déclarent être non fumeurs, bien qu’ils fument de temps en temps ou même régulièrement», estime le responsable de la section prévention. A son sens, la précision des données n’a pas grande importance. «Pour nous, ce qui compte est la tendance. Nous voulons savoir quel est le développement de la consommation au cours des dernières années», explique Roy Salveter. Mais comment juger de cette évolution, avec des données aussi imprécises que la marge d’erreur de 43% relevée par l’étude de l’Université de Neuchâtel ?

Occultation du tiers de la population

Un angle-mort que pointe le Pr Jean-François Etter, de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève. «Le problème du monitorage des addictions et de l’Enquête Suisse de Santé de l’OFS, c’est le taux de réponse relativement bas avec environ un tiers de non-répondants. Or c’est justement dans ce tiers de la population que les comportements défavorables à la santé se concentrent», nous confie le directeur de Stop-Tabac.ch. Auquel s’ajoute la sous-déclaration de ceux qui acceptent de répondre. Rien d’étonnant pour le Pr Etter à ce que des sources plus objectives montrent une prévalence tabagique bien plus élevée en Suisse que les statistiques officielles.

Une nécessité de réforme profonde

Ces défaillances de longue date soulèvent un problème de fond de la réflexion sur la stratégie suisse sur la consommation tabagique. L’outil visiblement peu fiable pour le tabac a aussi été projeté sur le vapotage sans réelle compréhension des différences fondamentales avec le tabagisme ni de sa propre diversité d’usages. Dans un climat de propagande pesant contre les vapoteurs, le biais de masquage de consommation au Monitorage, qui évalue la part de vapoteurs au quotidien à 0,3% de la population, pourrait être encore plus important que pour les cigarettes. Au terme du Plan national tabac 2008-2016, l’échec est patent. En se privant d’outils de réduction des risques et dommages, il n’a pas réduit le poids sanitaire du tabagisme en Suisse.

Une inefficacité qui amène Olivier Théraulaz, président de l’association Helvetic Vape, a appeler les autorités à réformer leur stratégie globale, y compris le système de Monitorage. «La Suisse souffre d’un manque de données de qualité. Le monitorage se concentre sur le tabac fumé, en restant peu fiable, alors que les autres modes de consommation de nicotine, moins risqués pour la santé, sont mal monitorés. Dans ces conditions, il est difficile d’évaluer les migrations d’usagers et leurs raisons», nous explique le défenseur des usagers du vapotage.

Avant de conclure: «Une modification en profondeur est nécessaire. La lutte anti-tabac élabore la prévention, produit les statistiques sur le tabagisme et s’auto-évalue pour attribuer le fond national de prévention du tabagisme. Il est inévitable que des conflits d’intérêt surgissent. Ils mènent à une minimisation systématique de la prévalence tabagique qui sert à valider frauduleusement l’efficacité de la politique anti-tabac dans notre pays».

Pour aller plus loin

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 [1] Consommation de cigarettes non taxées en Suisse (pdf). Claude Jeanrenaud, Alain Schoenenberger, Lasha Labaze. Institut de recherches économiques, Université de Neuchâtel.

 [2] Monitorage suisse des addictions Consommation d’alcool, de tabac et de drogues illégales en Suisse en 2015 (pdf). Office fédéral de la santé publique.