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À la rencontre de Pierre-Yves Normand, pionnier du chanvre depuis 2001

Mis à jour le 16/11/2023 à 18h02
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Qui dit chanvre en France, dit forcément Pierre-Yves Normand. Cet amoureux de la plante milite depuis une vingtaine d’années pour la reconquête du chanvre via de multiples applications, dont le CBD. Nous avons rencontré ce passionné multicarte à l’itinéraire inspirant.

Pierre-Yves Normand est pionnier du chanvre en France. Ce Breton, comme son nom ne l’indique pas, a fait connaissance avec cette plante au début des années 2000. Opticien de formation, il ouvre sa boutique à Quimper à la même époque. En parallèle, il rachète une petite grange, qu’il veut rénover avec des matériaux naturels. L’opticien remarque alors que le chanvre commence à être proposé pour faire des enduits isolants. Il se renseigne donc sur le produit. “Quand je vois les tarifs, et comme je suis issu du milieu agricole par mes grands-parents, je me dis que ce serait une bonne idée de planter du chanvre et de voir combien je pourrais en récolter, se souvient-il. Là, je me rends compte qu’avec 1 hectare de chanvre, je pourrais isoler ma maison.” Banco, il se lance dans l’aventure chanvre et récolte, broie et tamise la paille pour aboutir à un matériau d’isolation pour faire ses isolants en enduit chaux-chanvre. C’était en 2001.

Le bouche-à-oreille fonctionne et son histoire commence à faire le tour de Quimper. D’autres personnes lui demandent s’il peut leur fournir du chanvre pour isoler leur maison. Du coup, il crée l’Association Bretagne Chanvre Développement (ABCD) pour transmettre son savoir sur la culture du chanvre et sur les enduits chaux-chanvre isolants dans le bâtiment. 

L’opticien diffuse le chanvre

De plus en plus de personnes viennent le voir dans sa boutique d’optique, non pas pour voir l’opticien mais pour rencontrer le chanvrier. Le magasin devient un salon de discussion. À la même période, des clientes du magasin, qui ont entendu parler du chanvre, tendent l’oreille. Elles ont lu dans les médias que le chanvre est un des médicaments pour lutter contre le glaucome (hypertension oculaire). Et finalement, les ophtalmos de la région apprennent qu’un opticien du coin cultive du chanvre. Et comme il n’y avait pas de médicaments sur le marché en France, ils lui envoient des patients pour lui demander de récupérer les déchets de récolte de chanvre, c’est-à-dire les feuilles et les déchets de fleurs. Pierre-Yves Normand joue le jeu et fournit des sacs de tisane de chanvre. Et cela fonctionne, en association avec les médicaments. Les glaucomes de ses clients se stabilisent, “ce qui correspondait aux études internationales et à ce qui pouvait être prescrit dans d’autres pays”.

C’est à ce moment que Chanvre Développement s’intéresse à la plante dans son ensemble, et plus seulement pour le bâtiment. Et vers 2003-2004, l’association constate que la graine de chanvre peut être également récoltée. Elle contient des huiles de première pression à froid qui ont des valeurs nutritionnelles exceptionnelles, tant pour l’alimentation que pour la cosmétique. Il rassemble les savoir-faire et met au point des procédés pour récolter les graines de chanvre, pour presser les graines et en sortir les huiles. Et Chanvre Développement commence à distribuer ses huiles végétales de chanvre. 

En même temps, l’association se retrouve avec des matières sèches issues du pressage des huiles, qu’on appelle les tourteaux, et qui contiennent de la farine très riche en protéines. Chanvre Développement, qui s’étoffe de producteurs, de transformateurs et de moulins de tamisage de farine, réussit à sortir des copeaux pour l’isolation, des graines pour faire les huiles, des farines et des protéines. C’est à ce moment-là, en 2010, que la marque Chanvre de Bretagne est créée. 

Trop grand pour être enduiseur

À l’époque, le marché commence à émerger. L’Association Bretagne Chanvre Développement fait le choix de travailler exclusivement en bio, sur des terres propres. En effet, comme le chanvre a des vertus de purification et de nettoyage des sols (il a la capacité de stocker les métaux lourds, les pesticides et les insecticides), il était inenvisageable de cultiver sur des terrains qui n’étaient pas propres.

C’est à ce moment que Pierre-Yves Normand arrête son activité d’opticien, en 2007. Il se met à son compte avec la petite entreprise Habitat Chanvre. Elle fait des chantiers de rénovation, notamment le château de Keriolet dans le Finistère. Pierre-Yves Normand accueille des stagiaires qui veulent apprendre le métier et devient également formateur en enduit chaux-chanvre pour la Fédération régionale du bâtiment de Bretagne.

En plus d’être producteur, il acquiert des connaissances nouvelles qui n’existaient pas alors et il crée un nouveau métier, celui de chanvrier. Mais avec sa grande taille (1,90 m), ses genoux ne tiennent pas le coup : il doit se baisser, monter dans les combles, grimper aux échelles, s’agenouiller… En 2017, il est victime d’un accident du travail et met un terme à son métier d’enduiseur de chanvre.

En 2018, son Association Bretagne Chanvre Développement gagne le concours “Mon projet pour la planète” organisé par le ministère de la Transition écologique avec le dossier “Du chanvre au bout du monde”. Mais, la subvention ne sera jamais versée par l’agence chargée de gérer le dossier. Selon son directeur, “sur ordre du préfet”.

Le Breton commence à réfléchir à la transmission de son savoir et se retrouve propulsé au Syndicat professionnel du chanvre, en 2019. Il y représente la filière alimentaire et la filière bien-être puisqu’il n’y avait pas d’interprofession autre qu’InterChanvre, qui représente les agriculteurs qui cultivent du chanvre exclusivement pour de l’isolation.

Une chanvrière bretonne en projet

Aujourd’hui, un projet de chanvrière implantée en Bretagne semble se dessiner grâce au développement de la filière textile, car la Bretagne est une des régions de France dont la situation géographique permet de produire du chanvre textile de qualité, grâce à ses conditions météo qui voient alterner la pluie et le soleil. Cette chanvrière aurait les capacités de valoriser en 2021 l’ensemble des parties de la plante : les graines pour l’alimentaire, la fibre et la tige pour le bâtiment et la plasturgie. Il ne manque plus que l’outil de transformation qui permette d’obtenir un produit en accord avec les normes du marché. Cette chanvrière pourra également produire du fil de chanvre de la meilleure qualité qui soit parce qu’aujourd’hui, les chanvriers bretons ont récupéré du savoir-faire ancestral concernant les variétés et les techniques de récolte et de séchage permettant de refaire du fil comme au XIXe siècle. D’ailleurs, en décembre 2020, ils ont réussi à inscrire le chanvre textile comme patrimoine immatériel de l’Unesco, autant sur les itinéraires culturaux que sur les process de transformation de la fibre en fil.

Déjà 80 stagiaires formés

Revenons en 2018, Pierre-Yves Normand rencontre Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique, qui lui propose de participer au concours “Mon projet pour la planète” organisé par son ministère avec le dossier “Du chanvre au bout du monde”. Le but ? Produire du chanvre alimentaire de façon locale, en bio, et partager dans le cadre du projet des produits transformés (des pâtes et des cookies à base de chanvre) pour les diffuser dans les écoles de Quimper. Le dossier se classe 12e sur les 1 200 présentés. Il met deux ans à se réaliser. Mais à la suite d’un cafouillage administratif du ministère, la subvention n’est pas versée comme prévu malgré les réalisations de l’équipe. Entre autres, la partie formation de chanvrier est mise en place avec Chanvre Légal Pro. En trois ans, 80 stagiaires ont été formés à la découverte de la production et transformation de chanvre industriel.

L’association compte une quarantaine de membres actifs et est en train de se structurer pour monter un GIE (groupement d’intérêt économique) pour rassembler les partenaires et leur proposer des solutions clé en main pour cultiver, transformer et diffuser des produits innovants à base de chanvre, que ce soit dans l’alimentaire, la plasturgie, la cosmétique ou le bâtiment. Les retours de leurs stagiaires en formation ont montré que beaucoup de partenaires ont des demandes d’informations sur la production de chanvre à vocation bien-être. ABCD s’est donc replongé dans le travail de R&D fourni avant la décision de la Mildeca  (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives).

Aujourd’hui, ABCD a mis au point des process de la récolte à la transformation des fleurs, qui correspondent aux normes internationales sur les plantes aromatiques et médicinales, mais ne peut pas commercialiser alors que les produits venant de l’étranger peuvent être commercialisés en France. L’association aurait pu faire le choix d’un développement uniquement commercial en envoyant ses matières à l’étranger pour les récupérer ensuite, mais au regard de son ancienneté, elle n’a pas eu envie de dilapider cet acquis. Elle fait donc le choix de continuer son travail de longue haleine dans le respect des règles floues imposées par l’État français. L’association s’oriente vers la valorisation et la transformation de produits alimentaires et cosmétiques à forte valeur ajoutée (baumes, graines décortiquées, tisanes, cookies, crêpes séchées, biscuits apéritifs, etc.) en créant la SAS Bretagne Blue Eco qui commercialise ses produits sous la marque Chanvre de Bretagne. 

La modification de l’arrêt de 1990 déclenchera la prochaine étape : trouver un prestataire pour commercialiser des huiles et des produits bien-être au CBD. 

Prêt à se lancer dans le CBD

Mais revenons au CBD. Jusqu’en 2018, avant que la Mildeca ne donne son avis, les chanvriers français pouvaient récolter les fleurs pour en extraire les huiles essentielles, notamment pour la parfumerie et la cosmétique. “Ça n’a jamais posé de problème à personne, ça n’était pas interdit par la loi. Nous savions déjà que sur une tonne de fleurs, par rapport au 0,2 % de THC et aux 2 % de CBD contenus dans les variétés légales, nous avions 2 kg de THC et 40 kg potentiels de cannabinoïdes, dont le CBD. Nous le savions, mais nous n’avions jamais essayé d’extraire ces cannabinoïdes qui étaient considérés comme des déchets”, rappelle Pierre-Yves Normand. 

On ne parle que du cannabinoïde CBD en France alors qu’il y en a une centaine dans la plante, qui sont déjà étudiés et commercialisés, notamment en Israël. Nous ne sommes même pas encore au niveau de la ‘mise à jour française’ que le marché s’est déjà envolé ailleurs. À part des stratégies de lobbys invraisemblables, personne ne comprend rien à la situation française”, déplore-t-il.

En 2017, ABCD fait quand même des essais de récolte des 30 derniers centimètres de la plante, puisque ce n’était pas interdit. L’asso met au point des machines et réussit à récolter de la biomasse qui contenait des cannabinoïdes. Elle est donc prêtes à lancer une production de chanvre industriel à vocation d’extraction de cannabinoïdes pour en extraire notamment le CBD. Mais en 2018, tout s’arrête puisque la Mildeca interdit l’extraction et la vente de cannabinoïdes. 

En novembre 2020, le rendu de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) rebat les cartes en s’opposant à la position de l’État français. Et depuis, le secteur attend que les autorités françaises se mettent en conformité avec la décision de la CJUE. Entre-temps, les agriculteurs n’ont pas pu se lancer dans la production de chanvre industriel à vocation d’extraction de CBD par peur de représailles. “Et même si les juges français ont jugé en appel des cas de production de fleurs de chanvre, de vente de fleurs de chanvre, ça reste une interprétation d’une zone grise du droit, constate Pierre-Yves Normand. Et tout le monde n’a pas envie d’aller se frotter à la justice, sachant que c’est du pile ou face. Pour la partie agricole, nous attendons une décision claire pour pouvoir produire, récolter et stocker. Nous attendons également une évolution législative sur la dénomination de l’étiquetage des produits, que ce soit pour les tisanes, les compléments alimentaires, les cosmétiques, pots-pourris, produits à fumer. Aujourd’hui, les députés nous ont dit de faire avec ce qui existe. Donc chacun fait ce qu’il peut de son côté et la DGCCRF valide ou pas les étiquettes des produits commercialisés.”

Pierre-Yves Normand ne fait pas dans la langue de bois et donne son avis cash sur la situation actuelle sur le marché français du CBD. “On trouve sur le marché français des fleurs de chanvre mais les vendeurs ne sont pas au courant des process de fabrication et de transformation de cette matière. Bien souvent, elles sont modifiées chimiquement et ne sont pas étiquetées comme produits à fumer ou comme produits de consommation humaine. Donc les consommateurs prennent des risques. Il serait important que ces risques soient diminués avec une législation claire. Et ça, c’est la condition sine qua non pour que l’on puisse produire sur le territoire des produits que l’on peut contrôler, suivre et sourcer. Si les consommateurs connaissaient la composition des produits dans certains bureaux de tabac ou CBD shops, ils n’en achèteraient pas, c’est au détriment des boutiques qui, elles, ne sont pas là exclusivement pour du business en zone grise du droit, mais sont là pour des valeurs personnelles liées au bien-être des gens.”

La Bretagne, futur eldorado ?

L’objectif de Pierre-Yves est simple : recouvrir la Bretagne de chanvre en retrouvant l’état de production de 1853 avec 200 000 hectares de chanvre. “Nous pouvions obtenir une production aussi importante et qualitative parce que la terre était de bonne qualité à l’époque. Depuis, la terre a été massacrée, et le chanvre est un régénérateur de sol qui peut lui redonner vie avec des applications industrielles pour ce chanvre nettoyant. Pour le chanvre alimentaire, il faut garder les meilleures parcelles. Cela poussera la région et la chambre d’agriculture à exceller dans le domaine en devenant une référence au niveau de la qualité et de la stabilité des cannabinoïdes médicaux et bien-être qu’on pourrait produire”, assène-t-il.

Attention, si la Bretagne a été le grenier à chanvre de la France au XIXe siècle, aujourd’hui, ce dernier n’est plus en terrain conquis. Il y a 20 ans, un responsable d’une coopérative locale lui a dit : “Pas de chanvre en Bretagne ! Comment veux-tu qu’on gagne notre vie si on ne vend pas d’insecticides, ni de pesticides, ni d’engrais ?” Et en Bretagne, c’est un sujet : la région est la plus grande consommatrice de produits chimiques et c’est du lourd… Eh oui, il faut savoir que l’union des coopératives Triskalia, qui s’est associée au Groupe d’Aucy en 2020 pour donner naissance à Eureden, regroupe 20 000 agriculteurs-coopérateurs et 9 000 collaborateurs et réalise un chiffre de 3,2 milliards d’euros. Du lourd. Le chanvre pourrait bouleverser cet équilibre ! “Les coopératives vendent les semences et vendent aussi les produits de traitement. Elles rachètent ensuite la production pour la revendre. Si l’agriculteur n’achète pas les produits de traitement, il n’est plus sous contrat, c’est très bien pensé”, admet Pierre-Yves Normand.

Aujourd’hui, selon lui, le modèle agricole breton (maïs-cochon), qui a 60 ans, doit évoluer puisque les terres sont saturées en nitrates et qu’il y a des pollutions aux algues vertes chaque année. Le nettoyage des sols aura un impact environnemental et économique positif pour l’avenir. “Des dizaines de milliers d’exploitations ne trouvent pas de repreneurs parce que les modèles proposés sont aujourd’hui connus et nous voyons les dégâts qu’ils ont engendrés.” 

Si Pierre-Yves Normand n’a pas encore accès aux écoles d’agriculture parce que le chanvre n’existe pas dans les programmes, de plus en plus de stagiaires en bac pro ou en BTS agricole chez ABCD font leur rapport de stage sur le chanvre. De plus, l’association a participé à la mise en place de culture expérimentale pour la récolte de chanvre à vocation de cannabinoïdes, et ils sont les premiers en France à avoir acheté une barre de coupe dédiée à la récolte des fleurs. Évidemment, ils n’ont pas eu le droit de commercialiser la matière mais ils sont allés jusqu’au bout du process “puisque personne en France ne s’intéressait au sujet et que l’interprofession s’est voilé la face quant au potentiel présent dans les cultures de chanvre de ses adhérents.” Cash, on vous dit.

Influenceur pro-chanvre

Au niveau associatif, Pierre-Yves Normand est président de Bretagne Chanvre Développement. Il est membre du bureau du Syndicat professionnel du chanvre et du bureau de l’AFPC (Association française des producteurs de cannabinoïdes). Il est également adhérent de l’association culturelle Lin et chanvre en Bretagne et de l’association orientée textile Lin et chanvre bio. Il a aussi contribué à la rédaction du livre blanc du chanvre bien-être, qui a été remis aux sénateurs et députés.

Plutôt qu’entrepreneur, Pierre-Yves Normand se considère comme militant pour le bien-être des gens, pour les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement (pas de pesticides, pas de fongicides, ni d’insecticides). “Je n’ai pas envie de gaspiller mon temps à faire du commerce, je préfère mettre à disposition des outils et des produits à forte valeur ajoutée qui sont et seront plébiscités par les consommateurs aux entrepreneurs. Je suis là pour transmettre le savoir ancestral de la culture du chanvre en France et en Bretagne et pour transmettre le savoir moderne de valorisation du chanvre dans son entièreté jusqu’aux extractions de cannabinoïdes à vocation médicale et thérapeutique. Donc je suis un communicant, un transmetteur de savoir.” C’est pour ça qu’il intervient dans différentes conférences, auprès des députés, dans les écoles et lors de webinaires. Et dès que l’arrêté de 1990 sera modifié, il se voit bien conférencier, inspirateur, influenceur “pour ce changement culturel et alimentaire respectueux des gens et du sol.”

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