Malmenée depuis six mois dans l’actualité, la vape attire l’attention… mais pour de mauvaises raisons. Interdiction d’arômes, taxation, extension du paquet neutre aux e-liquides : c’est comme si la priorité était donnée à la lutte contre le vapotage plutôt qu’à la lutte contre le tabac. La vape menace autant les parts de marché de Big Tobacco que l’univers traditionnel de la lutte contre le tabac. Un coupable pratique qui pousse le pouvoir à céder à la facilité et à privilégier un agenda plus politicien que sanitaire. Voici quelques analyses apportées par Jean Moiroud, président de la Fivape, pour tenter de comprendre un peu mieux pourquoi un produit aussi porteur d’espoir que l’e-cig a tant de mal à trouver sa place au sommet de l’État.

Décryptage de la séquence puffs

La proposition de loi sur l’interdiction des puffs est riche d’enseignements. Sa genèse, tout d’abord, est une anomalie dans le paysage politique des dernières années. Elle a été initiée par des députés allant des écologistes aux républicains, traditionnellement opposés sur la plupart des sujets. Cette approche dite “transpartisane” a été conduite, fait rare, à son terme et le cheminement de cette proposition s’est fait sans obstacle majeur.

L’angle choisi au départ a été l’écologie. On a pu l’observer avec beaucoup de clarté dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, qui incluait même une distinction claire entre les dispositifs jetables et ceux remplissables. Un démarrage sensé, qui hélas, a laissé place lors des débats à des discussions sur les menaces pour la jeunesse. Une thématique qui a fait consensus et qui a transformé les prises de parole des députés et sénateurs en tribunal contre le vapotage, jetant le discrédit sur l’ensemble de notre catégorie de produits.

Au-delà de l’occasion manquée d’apporter, avec recul critique et hauteur de vue, des éclairages honnêtes sur la vape, c’est l’entièreté avec laquelle les élus se sont lancés dans le vape-bashing qui a choqué les professionnels que nous sommes. Aucune voix contradictoire ne s’est élevée dans les hémicycles, aucun propos modéré faisant état de la décennie d’efficacité de la vape comme stratégie d’arrêt du tabac, aucun rappel aussi, que le vrai scandale est celui de l’entrée, via les buralistes, dans le tabac à l’adolescence. Aucun député ou sénateur n’ayant réalisé que, tout aussi disruptive que soit la vape, elle est porteuse d’un potentiel énorme pour améliorer la santé de quinze millions de nos concitoyens. En l’espace de quelques mois, la vape est devenue un sujet politique, sortant du cadre de la rigueur scientifique pour être livrée à une analyse superficielle, moraliste et bigote.

La peur et la morale : tellement plus facile que le risque intelligent

Informer les décideurs sur le vapotage n’est pas chose aisée. Notre sujet est compliqué à mobiliser dans l’espace public. Les raisons sont économiques, culturelles, mais aussi psychologiques. En notre qualité d’experts de l’arrêt du tabac, majoritairement anciens fumeurs, nous savons que l’entrée dans l’addiction est rarement un choix “éclairé” puisqu’elle a lieu à l’adolescence. Quant au maintien dans la consommation, ce sont des mécanismes chimiques qui dépassent la volonté qui sont à l’œuvre, ne faisant pas du fumeur un responsable, mais une victime. En majorité, les non-fumeurs n’ont pas cette connaissance.

Par instinct, ils ont tendance à considérer les fumeurs comme responsables de leur dépendance. Naturel alors pour eux d’accorder un “bonus” aux discours antivape qui jouent sur les peurs et la bonne morale, plutôt que de se lancer dans un travail personnel en profondeur sur un sujet qui demande de revoir ses idées préconçues.

La science devrait les y aider, mais malgré les études qui s’accumulent et qui tendent, dans leur ensemble, à prouver que le vapotage est l’approche la plus efficace pour arrêter de fumer, nos différents interlocuteurs changent assez peu d’avis sur la vape. De même, les experts du sujet, ceux qui interviennent dans les médias, les professionnels de santé et les scientifiques, appartiennent à deux familles : les pro et les antivape. Leurs propos se confrontent, mais l’audience, elle, est majoritairement non-fumeuse. Ceci explique la perte progressive de réputation des produits du vapotage, tristement illustrée par le nombre croissant de nos concitoyens qui pensent que la nicotine est cancérigène.

Comment faire basculer l’opinion sur les produits du vapotage ?

C’est toute la difficulté de l’exercice. Si on ne peut demander aux politiciens une connaissance absolue du sujet, ces derniers ayant en théorie tous les autres sujets à traiter, les professionnels de santé sont plus faciles à convaincre. C’est dans le corps médical que les perceptions sur la vape progressent le plus grâce à la rationalité scientifique, mais la dynamique n’est pas assez importante.

Toujours pas de mouvement militant, global et suivi de la part des pros de santé qui pourrait forcer le pouvoir politique à une inclusion de la vape dans les stratégies nationales. Une des explications à ce phénomène de désintérêt pourrait tenir à la nature de nos produits, qui ne sont pas des médicaments.

La vape est perçue par les médecins comme concurrente des programmes médicaux traditionnels, et y avoir recours hors du champ de la médecine passe pour immoral. Une fois encore, une question de psychologie qui met le monde de la médecine et les fumeurs en porte-à-faux. En obligeant le fumeur à se considérer comme un patient malade, on le flèche vers un circuit dans lequel il ne se sent pas toujours à l’aise.

Finalement, le dernier recours pour corriger, légitimer et ancrer les perceptions sur la vape reste le pouvoir politique de haut niveau. Ce sont les agences de santé qui construisent la doctrine et attirent l’attention des médecins sur les sujets d’intérêt. Ce sont les déclarations des ministres qui cadrent et animent le débat public avec aplomb.

Trop réglementer, c’est priver l’État de promouvoir la vape

Le Royaume-Uni a plus soutenu le vapotage que n’importe quel autre pays dans le monde ces 10 dernières années. L’incluant activement dans les campagnes nationales, dont le célèbre “Stoptober”, les médecins anglais ont aussi été à l’origine du rapport dit des “95 %” que nous connaissons bien.

Cette approche s’est construite autour d’une acceptation des principes de la réduction des méfaits, sans céder au dogme du “tout médical” et en s’affranchissant des vieux automatismes de la lutte antitabac. Nous appelons les pouvoirs publics français à suivre la même voie depuis plus d’une décennie. Jusqu’en 2018, à sa manière et de façon moins assumée, la France a suivi un chemin plutôt positif dans son rapport à la vape, évitant les pièges d’une mauvaise transposition de la directive européenne et laissant les professionnels que nous sommes faire leur travail.

Il en va tout autrement depuis cinq ans, où nous notons une baisse d’intérêt et une attitude globalement méfiante envers nos produits. Un retour en grâce du vapotage est vital pour notre filière. Hélas, le risque est désormais bien réel de voir le législateur s’engouffrer dans des thématiques réglementaires qui pourraient constituer un point de non-retour. Comment veut-on que l’État mobilise la vape dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre le tabac, après l’avoir taxée, amputée et neutralisée ? La taxation identifie définitivement un produit comme un problème et non comme une solution. Le combat qui se joue cette année est le plus important de tous pour la vape indépendante. Les enjeux sont bien plus larges que le simple bannissement de quelques saveurs ou une taxe qui augmenterait “un peu” le prix des liquides.

Transiger c’est risquer de tout perdre. Il en va du maintien en vie du seul recours qui peut encore asseoir la légitimité de la vape : le soutien assumé des autorités. La vape est devenue un sujet politique.

Jean Moiroud, président de la Fivape

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