C’est un évènement plutôt banal : l’apparition d’un nouveau produit sur un marché de la vape déjà bien rempli. Pourtant, son succès et ses implications soulèvent des problèmes inattendus. Un produit au succès foudroyant pourrait-il abattre, par ricochet, toute la filière vape française ?

Les puffs sont mortes…

Vous vous en souvenez : la France avait décidé d’interdire les puffs, ces cigarettes électroniques jetables contenant un liquide prérempli et qu’on ne pouvait pas recharger. La loi avait été promulguée en février 2025 et était entrée en vigueur presque immédiatement, dès le 26 février, sans accorder aux commerçants de délai pour écouler leurs stocks.

Officiellement, cette mesure visait avant tout à “protéger les jeunes”. Certaines études avaient avancé qu’en 2024, environ 13 % des collégiens et près de 18 % des lycéens en avaient déjà essayé, séduits par les goûts sucrés et les emballages attractifs. Les autorités craignaient un effet d’accoutumance pouvant conduire plus tard à la consommation de tabac, le fameux “effet passerelle” dont tout le monde parle, mais que personne n’a jamais vu.

L’argument environnemental avait également été mis en avant, puisque ces dispositifs jetaient chaque année des tonnes de plastique et de batteries au lithium. On parlait de près de 45 tonnes de déchets en 2024. Là encore, certains observateurs estimaient qu’un système de collecte obligatoire ou une consigne aurait pu constituer une alternative plus pragmatique.

… Vive les puffs !

La mesure concernait uniquement les puffs jetables, tandis que les cigarettes électroniques rechargeables et les pods avec cartouches restaient autorisés. Les professionnels s’exposaient à des amendes allant jusqu’à 100 000 euros, voire le double en cas de récidive. Des contrôles étaient organisés par la DGCCRF pour vérifier que les stocks avaient bien disparu des étagères.

Beaucoup s’étaient interrogés sur l’efficacité réelle d’une interdiction totale. Certains professionnels estimaient qu’un encadrement plus strict ou un contrôle renforcé des ventes aux mineurs aurait pu suffire. D’autres doutaient de la pertinence d’une mesure qui risquait surtout de déplacer la consommation vers d’autres produits nicotinés ou d’alimenter un marché parallèle difficile à réguler. Et, précisément, nous y sommes.

Un pod, actuellement, remporte un véritable succès sur le marché, mettant à l’amende les cadors du secteur. Et pourtant, rares sont les boutiques de vape à l’avoir en stock. Le principe est simple : une cigarette électronique rechargeable.

Étonnant, non ?

Quoi d’étonnant ? Eh bien, sa particularité est que le réservoir est fixé à la batterie. Quand la résistance est usée, on jette l’ensemble. Comme une puff. Il est vendu en pack avec deux flacons de dix millilitres de liquide, qui correspondent, peu ou prou, à la durée de vie de la résistance, le tout à un prix très attractif. Et c’est légal ? Oui, c’est légal.

Les produits JNR sont arrivés sans tambour ni trompette en mai 2025 sur le marché français, principalement dans les petites épiceries et dans des commerces hors vape, en s’appuyant sur les réseaux communautaires. Dans le même temps, un site Internet fait son apparition pour proposer de la vente directe.

Le produit mis en place, il reste à trouver un moyen d’en faire la promotion. C’est le réseau TikTok et les “influenceurs” qui sont mis à contribution. Étant donné la moyenne d’âge des utilisateurs du réseau, il est possible de commencer à se faire une idée de la clientèle ciblée.

Et le succès est immédiat : un mois après son apparition sur le marché, ce sont entre 300 000 et 500 000 unités qui s’écoulent, selon les grossistes que nous avons interrogés. Un score à tomber par terre pour une nouvelle marque.

Le mystère JNR

On sait peu de choses de JNR, qui n’a pas de filiale française. Il y a un site Web, mais géré par un distributeur qui précise être indépendant de la marque elle-même.

JNR (pour Just No Reason) serait, selon nos informations, l’association d’un homme d’affaires chinois qui aurait fait fortune dans la téléphonie mobile recyclée, de son adjoint pakistanais établi en Europe et chargé de mettre en place la distribution, et d’une société chinoise qui, à l’origine, fabriquait des puffs. L’originalité de la commercialisation réside principalement dans le choix du “commerce communautaire”.

Il s’agit de tisser des liens de confiance avec diverses diasporas établies, qui s’entraident et se soutiennent, et, surtout, se font confiance. Rien d’inhabituel, la seule chose surprenante, c’est que ces commerces n’ont en général rien à voir ni avec la vape, ni avec le tabac, un choix mûrement réfléchi pour JNR.

L’épicier du coin

Voici l’exemple de Mehmet, qui travaille dans une épicerie en région parisienne. “C’est un commercial que je connais qui est venu me proposer le produit. Nous avions déjà vendu un peu de puffs, mais j’ai quand même été surpris de la démarche. Les puffs étaient un produit simple à vendre. La vape, par contre, c’est plus compliqué, on n’a pas forcément le temps d’expliquer, ni l’envie, entre nous.”

Ce qui l’a décidé, c’est que “c’est aussi simple que des puffs, pas cher, avec une bonne marge. Au début, on s’est quand même demandé à qui on allait vendre ça, mais le commercial m’a dit de ne pas m’inquiéter pour ça.”

Et il en vend ? “Non, je n’en vends pas”. Décevant, donc ? “Pas du tout. On ne s’est pas compris : je ne les vends pas. Par contre, beaucoup de gens viennent m’en acheter”, rit-il, content de sa blague. Ses clients sont “beaucoup de jeunes. On en vend régulièrement, mais c’est vrai qu’il y a un pic en fin de journée, le week-end, juste avant qu’ils sortent. C’est un truc de soirée pour beaucoup de monde.”

Mais ces gens qui viennent en acheter, pourquoi viennent-ils dans l’épicerie de Mehmet plutôt que dans un tabac ou une boutique de vape ? Comment savent-ils qu’ils vont en trouver ? “Je ne sais pas. Moi, on m’a proposé d’en vendre, et, quand j’en ai vendu, les gens sont venus m’en acheter sans avoir l’air surpris. Qui les a prévenus, je ne sais pas. Mais il y a des clients que je n’ai jamais vus et qui entrent dans la boutique en s’attendant à trouver le produit.”

Avec la bénédiction du ministère

Au cours de nos recherches, nous avons entendu dire qu’un certain nombre d’unités s’écoulaient sur le marché noir. Le sourire de Mehmet s’entend à travers le téléphone : “c’est illégal, de ne pas tout déclarer, Monsieur.”

En parlant de légalité, notre épicier a-t-il vérifié que tout était en règle ? “Oui, j’ai même un système de vérification, s’amuse-t-il. J’ai quelques clients policiers, à force, on finit par bien se connaître, et quand ils voient quelque chose qui pourrait poser problème, ils me le disent. Là, ils ont vu ça sur le comptoir, ils n’ont rien dit. Le commercial m’a expliqué qu’il y avait une autorisation du ministère.”

Une “autorisation du ministère”, c’est un peu exagéré, mais c’est un fait : les deux flacons de 10 ml qui accompagnent les JNR sont convenablement notifiés. Des produits fabriqués et embouteillés en Chine, ce qui pourrait induire la méfiance, mais qui respectent les règles.

La loi devient un rond-point

Sur la vape en elle-même, c’est un dispositif jetable, mais rechargeable et remplissable, ce qui lui permet d’exploiter à fond un angle mort de la loi. Littéralement, c’est une puff légale.

“L’interdiction des puffs est une excellente mauvaise loi”, la formule est de Jean Lorcy, de Fuu. “Pour être précis, c’est une loi très bien écrite, mais mal rédigée. La loi a été juridiquement bien formulée, parfaitement verrouillée, mais maintenant que les angles morts se révèlent, toutes ces précautions et les efforts qu’ont déployés ses auteurs pour verrouiller le texte font qu’elle est quasiment impossible à modifier.”

Et là, on parle du texte initial. Inutile de dire que la situation politique du pays fait que l’examen d’une nouvelle loi tient plus de la science-fiction qu’autre chose.

Mais pourquoi cette obsession pour la vente de dispositifs jetables ? Certains semblent autant obsédés par l’idée d’en fabriquer, que les autres par l’idée d’en acheter.

Aimer se faire jeter

“L’approche jetable pure permet une meilleure marge, explique Jean Lorcy. Quand tu ne prévois pas que le pod va être remplacé, tu économises plein de pièces, tu y mets une batterie bas de gamme.” Plus besoin, en effet, d’une chaîne pour fabriquer des résistances, des pièces détachées, pas de service de garantie, on s’assure juste que le matériel tiendra 20 ml. Quant aux accus, ce sont des seconds choix éliminés par les contrôles qualité des fabricants et rachetés presque au poids.

Quant à l’obsession pour vouloir à tout prix acheter du jetable… Il y a plusieurs ressorts à cela. Des mineurs, tout d’abord, qui achètent ce type de produits pour une sortie, une soirée, et le jettent ensuite avant de rentrer chez eux, pour éviter que leurs parents les trouvent. Les utilisateurs qui veulent une vape à usage unique, pour un concert ou une soirée…

“Il y a une psychologie du paquet de clopes, pense Jean Lorcy. Une habitude héritée du tabac, on achète quelque chose de jetable pour ne pas rentrer dans la mécanique de la vape elle-même.” Et si cela peut sembler curieux, les mécanismes qui gouvernent ces achats sont bien connus de la psychologie, et font l’objet d’études (voir notre article Pourquoi le jetable cartonne).

Le retour paradoxal du 10 ml

Selon Jean Lorcy, “il y a un effet surprenant au succès de JNR, c’est le retour du 10 ml. Littéralement, ils arrivent à vendre des flacons de 10 ml aux consommateurs de puffs qui en sont pourtant, dans leur approche de la vape, les plus éloignés. Et il y a quelque chose à faire de cette réhabilitation.”

“Proposer un pod de 10 ml, c’est génial, souligne le patron de The Fuu, et c’est légal. La loi interdit les cartouches scellées de plus de 2 ml, mais les réservoirs ouverts de 10 ml, il n’y a pas de problème. Il faut souligner que c’est spécifique à la France : on ne trouve pas de JNR en Belgique ou en Allemagne, par exemple.”

Alors, c’est une bonne nouvelle, ce retour du 10 ml ? Oui… et non. Parce que les packs JNR ont un second effet : jusqu’ici, les industriels chinois vendaient le matériel, et les liquides étaient fournis par le marché local. Ça, c’était avant la puff, et plus encore avant JNR. Mais le fait de vendre des packs préconstitués avec un produit adapté fait qu’ils multiplient les sources de profit.

Le salarié d’un grossiste, qui préfère garder l’anonymat, le confirme : “Les industriels chinois de la vape n’ont absolument aucune volonté militante. Pour eux, c’est un marché comme un autre, ils abordent la vape en pur business. Pour eux, vendre le matériel pour une consommation de liquide de provenance locale, c’est partager le marché. Et s’ils pouvaient à la fois vendre le matériel et le liquide, ramener toute la valeur en Chine, ça ne les dérangerait pas, au contraire. Il ne faut pas voir les fabricants comme des amis. Pas comme des ennemis non plus, ce n’est pas ce que je dis. Ce sont des businessmen très pragmatiques, et, si demain, pour gagner plus d’argent, ils doivent couler tout le secteur liquidier français, ils n’hésiteront pas une seconde, ce n’est même pas un sujet pour eux.”

La réponse à JNR se prépare d’ailleurs déjà en Chine, et il faut s’attendre à voir de grands noms arriver sur le marché à court terme.

Les réponses en marge de la loi

En réalité, les réponses à JNR sont déjà sur le marché français. Les officieuses, en tout cas. Dans les réseaux de distribution des ex-puffs, hors boutiques de vape, on trouve déjà des répliques de JNR, certaines non remplissables. Littéralement, des clones. La différence majeure réside dans le fait que ces produits-ci ne font pas l’objet d’une notification. Difficile d’aller voir les autorités en demandant : “Vous pouvez valider ma contrefaçon illégale ?” Si tout du moins, il y avait une volonté en ce sens.

Un autre système débarque en France, avec carrément une cartouche scellée de 10 ml préremplie. Pourtant, la TPD est très claire là-dessus, c’est illégal. Le fabricant a contourné l’interdiction en scindant son kit en deux pièces, le réservoir et la batterie, et en intégrant la résistance sur cette dernière. Le réservoir n’étant pas muni de sa propre résistance, il ne répondrait donc pas à la définition de “cartouche scellée”.

Dans ce dernier cas, selon bon nombre d’observateurs du marché, ça ne tient pas et le produit va se faire retoquer très rapidement par le législateur. Peut-être aussi par ses utilisateurs : “Ce sont les chutes du Niagara. L’idée est maligne, mais concrètement, le système est mal conçu, ça fuit”, nous explique un pro qui l’a testé.

I’ll be back puff

Mais la réponse la plus inattendue est le retour des puffs. Elles ne sont pas en vitrine, pas forcément sur le comptoir, mais elles sont bien de retour dans les réseaux habituels. Les puffs, les vraies, préremplies, ni remplissables ni rechargeables, cent pour cent jetables. Par quelle sorcellerie ? À cause de, ou grâce à, selon où vous vous situez, de l’absence de contrôles.

En effet, si la DGCCRF a mené des opérations quand l’interdiction est passée, l’administration est rapidement passée à d’autres sujets plus importants. Et certains commerces savent pertinemment qu’ils ne seront pas exagérément contrôlés. Le business de la puff va donc bien, merci, et en dehors des réseaux semi-mafieux où elle subsistait jusqu’à présent. Bon nombre de ces produits semblent s’enferrer dans une vraie logique de marché noir.

“Bienvenue dans un monde d’interdictions, soupire Jean Lorcy. Ça a toujours, dans l’Histoire, mené à la contrebande et au trafic.”

La riposte française

Et la vape française, là-dedans ? Elle prépare sa réponse, comme avec Fuu et Vape 47. “Nous avons eu une réunion avec Vape 47, explique Jean Lorcy, et nous nous sommes dit que nous pouvions proposer un produit concurrent à JNR, mais avec un pod qui se remplace. Les utilisateurs de JNR qui ont la mentalité jetable se sont déjà refamiliarisés avec les flacons de 10 ml et le fait de remplir soi-même son réservoir, nous proposons depuis fin juillet un équipement où le réservoir peut être changé, un effort bien moindre que ceux auxquels ils consentent déjà.”

D’autres fabricants français ont déjà proposé leur réponse ou la préparent. La CLK de Lips/Le French Liquide, avec son système de rechargement rapide, la Wilo Max de Levest accompagnée de son flacon de liquide, les pods Slim et Flip de Pulp à cartouches préremplies, voire le pack First du Petit Vapoteur, une vape conçue pour être simple d’utilisation. Sans oublier les Wpuff de Liquideo, pods à cartouches scellées pré-remplies.

Quant à JNR, parmi tous les pros avec lesquels nous avons échangé, nous n’avons pas trouvé d’hostilité. Au contraire, il y a une certaine forme d’admiration pour l’intelligence de ses promoteurs. Un produit qui a déjoué en quelques semaines le résultat de trois ans de travail, et qui génère, selon nos estimations, entre trois et cinq millions de chiffre d’affaires un mois après son apparition.

Non, le problème, ce n’est pas JNR, ce sont certains suiveurs qui veulent leur part du gâteau sans s’encombrer d’éthique.

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