Avec la deuxième version de son rapport sur la cigarette électronique, l’agence de santé publique anglaise, Public Health England (PHE) étend son investigation aux produits du tabac chauffé qui ont fait irruption sur le marché britannique.

Ce qu’il faut retenir sur le tabac chauffé

  • Le tabac chauffé serait moins nocif que le tabagisme, mais contiendrait plus de composés toxiques que la cigarette électronique.
  • Les risques pour l’entourage lors de l’exposition à la fumée produite par le tabac chauffé sont encore débattus par la communauté scientifique.
  • La quantité de nicotine délivrée par ces appareils est plus faible que dans le cadre du tabagisme ou du vaping.
  • Bien que le vaporisateur personnel soit un meilleur choix que le tabac chauffé, ce dernier doit quand même être considéré par les fumeurs désireux d’arrêter de fumer.

 

Sommaire

 

Placer le tabac chauffé dans un continuum des risques

Bien que plus nocif que le vapotage, le tabac chauffé reste un moyen de réduire les méfaits du tabagisme.

Deux ans et demi après son premier rapport sur la cigarette électronique, l’agence de santé publique anglaise, Public Health England (PHE), publiait en février 2018 une mise à jour du document qui a fait date dans l’histoire de la cigarette électronique.

Ce rapport, établi à partir de l’examen minutieux d’études retenues selon des critères rigoureux, est destiné à éclairer les politiques de santé publique et le législateur. Pour cette deuxième version, les auteurs ont étendu leur investigation aux produits du tabac chauffé [1], qui ont fait irruption sur le marché britannique, sans rencontrer un grand succès pour l’instant.

Les auteurs ont évalué un continuum des risques plaçant le tabac chauffé entre la cigarette traditionnelle et le vapotage. Selon leur examen des données disponibles, si ces produits devraient s’avérer moins nocifs que les cigarettes fumées, ils le sont plus que le vapotage. Dans un pays où la vape est très développée, le PHE s’interroge sur l’intérêt d’une offre supplémentaire de réductions des risques.

Le « taux » de risque du tabac chauffé varie de 7 à 12, celui du vaping est inférieur à 5. Le tabagisme, lui, est à 100.

La majorité des études est financée par l’industrie du tabac

Après un rigoureux travail de sélection, l’agence de santé publique a retenu, parmi 843 identifiées, une vingtaine d’études ayant suivi le processus de validation scientifique de relecture par les pairs, dans l’objectif de passer en revue les données sur les émissions et l’utilisation de ces produits. Néanmoins, l’agence souligne que parmi ces vingt études douze ont été financées par l’industrie du tabac, la recherche indépendante fait encore défaut.

S’ils sont réunis sous le même vocable “tabac chauffé”, les produits proposés par chaque fabricant fonctionnent selon des techniques très différentes. Entre le chauffage du tabac par contact d’une résistance et celui par un flux de vapeur, les substances toxiques présentes dans les émissions seront sans conteste bien différentes. Une situation qui, selon l’agence anglaise, complique la recherche et pose un défi au législateur et aux autorités de santé.

Pour l’instant, la plupart des études se sont concentrées sur l’iQOS, le produit de Philip Morris. Lors du lancement du rapport, le PHE n’avait identifié aucune étude spécifique à la Glo de BAT ou à la Ploom TECH de Japan Tobacco International.

Une concentration moins forte de nicotine dans l’aérosol que dans la fumée de cigarette

Le tabac chauffé délivre moins de nicotine qu’une cigarette, mais aussi moins qu’une vapoteuse.

Deux études indépendantes menées respectivement par le Dr Farsalinos et le Dr Auer de l’université de Berne, ainsi que deux autres menées par Philip Morris International, ont comparé les niveaux de nicotine dans les aérosols produits par les dispositifs de tabac chauffé, en l’occurrence l’iQOS, avec ceux présents dans la fumée de cigarettes traditionnelles.

Le Dr Auer a opté pour un protocole ISO et les trois autres pour le protocole Health Canada Intense regime (HCI). Ce dernier produit généralement des niveaux plus élevés de composés nocifs et potentiellement nocifs que le protocole ISO. Par ailleurs, le chercheur grec a adapté le régime HCI pour faire des comparaisons avec la cigarette électronique.

Des concentrations de nicotine entre 70 et 84 % de celle de la fumée de cigarette.

Dans tous les cas de figure, quels que soit le protocole et la cigarette témoin utilisés, les niveaux de nicotine mesurés dans l’aérosol produit par le dispositif de tabac chauffé étaient inférieurs à ceux présents dans la fumée de cigarette. Seul à utiliser le protocole ISO, le Dr Auer a mesuré dans l’aérosol une quantité de nicotine représentant 84 % de celle présente dans la fumée de cigarette. Les trois autres études ont mesuré des niveaux de nicotine dans l’aérosol représentant entre 70 et 73 % de celui présent dans la fumée de cigarette.

Farsalinos, le seul à avoir effectué des mesures dans la vapeur des cigarettes électroniques, a constaté que si le dispositif chauffant le tabac en délivrait moins qu’une vapoteuse.

La nocivité pour l’entourage : une question loin d’être tranchée

Si les conclusions des études divergent à ce sujet, la présence de composés nocifs dans le tabac chauffé étant diminuée par rapport au tabagisme, les risques pour l’entourage devraient également l’être.

La question de la nocivité en cas d’exposition passive est encore loin d’être tranchée. Conséquence de travaux hétérogènes dans les méthodes d’investigation et dans la communication des résultats, les données publiées à ce jour ne convergent ni sur la quantité des émissions produites dans l’environnement ni sur la composition de ces émissions.

Ainsi, une équipe de chercheurs italiens a mesuré des niveaux de particules fines associés aux aérosols du tabac chauffé et de la cigarette électronique quatre fois inférieurs à la fumée de tabac, mais elle considère toutefois qu’ils présentent des risques pour la santé des utilisateurs et de l’entourage.

Une autre étude, financée par Imperial Tobacco, un concurrent de PMI, indique que l’iQOS produit des quantités d’émissions dans l’air ambiant significativement plus élevées que les vaporisateurs et que, contrairement à ce qu’avance son fabricant, les émissions de l’iQOS sont détectables lorsque l’appareil est allumé, mais non utilisé.

Une autre étude indépendante a mis en évidence la présence de particules de différentes tailles et de composés nocifs ou potentiellement nocifs (HCPH) dans l’air ambiant associés à l’utilisation de produits du tabac chauffé. Les proportions étaient beaucoup plus faibles qu’après la consommation de cigarettes, mais considérablement plus élevées que la cigarette électronique. Ces auteurs ont relevé la présence de carbonyle dans les émissions de produits du tabac chauffés leur faisant craindre que l’utilisation de ces produits n’affecte l’entourage.

Contrairement aux travaux précédents, une étude financée par le fabricant a conclu que l’utilisation de produit du tabac chauffé (iQOS) ne produit pas de matières particulaires et que les émissions sont plus faibles que la cigarette traditionnelle. Ils n’ont constaté aucun changement dans les marqueurs de particules et des niveaux de particules cancérigènes et potentiellement cancérigènes inférieurs (5,8 % pour le benzène à 40,5 % pour le formaldéhyde comparativement à la fumée de cigarette).

Quels risques pour le consommateur ?

Plus nocif que le vapotage, le tabac chauffé resterait moins dangereux pour la santé que le tabagisme.

Dix études ont été sélectionnées et classées par type de produit.

Vaporisateur de feuilles de tabac

Une étude indépendante mettant en œuvre un modèle croisé et incluant quinze participants a comparé le seul produit de la catégorie, la PAX, qui chauffe des morceaux de feuilles de tabac, avec la cigarette traditionnelle et une cigarette électronique de deuxième génération (type eGo utilisée à 3,3 V avec une résistance de 1,5 ohm et un e-liquide dosé à 18 mg/ml de nicotine).

L’étude a notamment évalué pour chaque dispositif les niveaux de nicotine, la concentration de CO dans l’air expiré et la suppression des symptômes de manque après une courte période d’utilisation (dix bouffées espacées de trente secondes, chaque période espacée de soixante minutes).

La mesure des concentrations plasmatiques de nicotine montre que les plus élevées sont associées à la cigarette traditionnelle (24,4 ng/ml), suivies de la PAX (14,3 ng/ml) et enfin la cigarette électronique de deuxième génération (9,5 ng/ml).

Avant l’utilisation d’un quelconque dispositif, la mesure de CO de l’air mesurée se situait aux alentours de 5 ppm. Après deux périodes d’utilisation d’une cigarette traditionnelle, ce taux atteignait un pic de 16,9 ppm contrastant avec une diminution régulière néanmoins significative dès la première période d’utilisation de la PAX ou de la cigarette électronique. Aucune différence entre ces deux produits n’a été observée sur cet indicateur.

Un questionnaire soumis au participant a montré que fumer une cigarette était le moyen le plus efficace pour supprimer les symptômes de manque, venait ensuite la PAX et enfin la cigarette électronique de deuxième génération.

Le dispositif THS 2.2, plus connu sous son appellation commerciale : iQOS

L’IQOS du cigarettier Philip Morris est le produit du tabac chauffé le plus populaire dans le monde.

À ce jour, cinq publications ont recensé selon les critères du PHE, toutes financées par le fabricant.

Une première étude croisée randomisée a été menée au Japon avec l’objectif d’évaluer les propriétés pharmacocinétiques de l’iQOS, avec des sticks standard et menthol, par rapport à celles des cigarettes (classiques et menthol) et des gommes à la nicotine.

Selon les conclusions des chercheurs, la délivrance de nicotine de l’iQOS (classique ou menthol) est similaire à celle de cigarettes classiques ou menthol :

  • les concentrations plasmatiques maximales étaient atteintes en six minutes, avec tous les produits,
  • les courbes de concentrations de nicotine évoluaient dans le temps de manière très similaire et les quantités mesurées après usage de l’iQOS représentaient 96,3 % de celles obtenues en fumant (98,1 % dans le cas du menthol),
  • de même pour la demi-vie de la nicotine ces pourcentages étaient respectivement de 93,1 % et 102,3 %,
  • la concentration maximale de nicotine suite à l’usage de stick tabac classique par rapport aux cigarettes était de 103,5 % et de 88,5 % dans le cas du menthol.

Quatre autres publications, assises sur trois essais randomisés contrôlés, sont disponibles, toutes  financées par Philip Morris International, concepteur et fabricant de l’iQOS.

Deux essais avec les mêmes configurations ont été menés, l’un au Japon et l’autre en Pologne. Ils avaient pour principal objectif de comparer l’exposition des participants aux substances “nocives ou potentiellement nocives” chez des fumeurs répartis aléatoirement en trois groupes. Pendant cinq jours, les participants du premier groupe utilisaient exclusivement l’iQOS, ceux du deuxième groupe continuaient à fumer comme habituellement et ceux du troisième étaient abstinents.

Un autre essai conduit au Japon s’est concentré sur les stick et les cigarettes mentholées. L’exposition aux substances “nocives ou potentiellement nocives” et le changement des marqueurs de risque pour la santé ont été évalués après cinq jours de confinement des participants et après 85 jours. Un troisième groupe de participants devait rester abstinent pendant la même période.

Les trois études ont enregistré des informations sur l’utilisation des produits pendant les cinq jours de confinement des participants. Elles ont produit des résultats contrastés.

  • au Japon, le groupe utilisateur d’iQOS a moins consommé de sticks de tabac (en moyenne 20 %) que les fumeurs de cigarettes,
  • en Pologne c’est l’inverse qui s’est produit, le groupe iQOS a utilisé beaucoup plus de stick (en moyenne 25 %) que les fumeurs de cigarettes.
  • dans l’étude japonaise sur le menthol, la consommation quotidienne de sticks tabac par le groupe iQOS et de cigarettes par le groupe fumeurs ne différait pas.

Les publications issues des trois essais ont conclu à une exposition moindre aux substances nocives et potentiellement nocives chez les utilisateurs d’iQOS par rapport aux fumeurs, approchant même, selon les auteurs, celle mesurée dans les groupes abstinents.

L’IQOS a déjà été bien étudié par la science.

Les trois études ont obtenu des résultats similaires sur la topographie des bouffées. Les utilisateurs du dispositif de tabac chauffé avaient adapté leur consommation (augmentation de la fréquence, de la durée et du nombre de bouffées) par rapport au groupe fumeurs. La contribution de l’iQOS à la suppression de l’envie de fumer était semblable dans les trois études. Néanmoins, les taux de satisfaction sensorielle et psychologique sont inférieurs à ceux des cigarettes, avec des scores significativement plus faibles sur certaines sous-échelles. 

L’étude sur le menthol effectuait un suivi à 90 jours, elle a mis en évidence des changements sur un ensemble de marqueurs de risque associé aux maladies cardiovasculaires. Les utilisateurs d’iQOS voyant, selon les auteurs, leurs marqueurs de risque évoluer au point se rapprocher du groupe des abstinents.

L’agence de santé anglaise met en garde sur les résultats et les conclusions des auteurs. En effet, la consommation des participants est auto-déclarée. Par ailleurs, si le CO expiré a été mesuré, contrairement à la pratique courante, les résultats n’ont pas été communiqués. Cela suggère que des participants du groupe “abstinent” et des participants du groupe produits du tabac chauffés ont pu fumer. La comparaison avec le groupe d’abstinents doit être traitée avec une prudence particulière, car l’étendue de l’abstinence n’est pas claire. La validité de l’étude est encore fragilisée par le protocole choisi qui compromet la validité de la randomisation et contrevient à des normes d’essai formalisées (CONSORT).

Mise à jour 2020 : Une nouvelle étude française (2) conduite par l’Institut National du Cancer (INCa) et l’Institut de Recherche en Santé publique (IResP) a été conduite. Dans ses conclusions, elle indique que si le tabac chauffé semble moins nocif que le tabagisme, il le serait plus que le vapotage. La faute à des composés toxiques présents dans sa fumée, en plus petit nombre que le tabac fumé, mais en beaucoup plus grande quantité que dans l’aérosol d’une cigarette électronique.Les chercheurs indiquent toutefois que l’IQOS peut bel et bien faire partie de l’arsenal de lutte contre le tabagisme.


 (1) Evidence review of e-cigarettes and heated tobacco products 2018 – A report commissioned by Public Health England
Authors: Ann McNeill, Leonie S Brose, Robert Calder, Linda Bauld, Debbie Robson

(2) Dusautoir, Romain, et al. “Comparison of the Chemical Composition of Aerosols from Heated Tobacco Products, Electronic Cigarettes and Tobacco Cigarettes and Their Toxic Impacts on the Human Bronchial Epithelial BEAS-2B Cells.” Journal of Hazardous Materials, Elsevier, 7 July 2020, https://doi.org/10.1016/j.jhazmat.2020.123417

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