Pour la première fois, des usagers ont été invités au Parlement européen. Une grande première qui a permis de faire entendre la voix des vapoteurs au plus haut niveau.
De bon augure en vue de la prochaine TPD ?
Le 5 décembre 2023 se tenait une table ronde baptisée Harm reduction – the road to a smoke free Europe, organisée par l’eurodéputé Johan Nissinen. Se déroulant au Parlement européen, elle avait pour objectif de réunir divers experts pour discuter du rôle de la stratégie de réduction des risques dans les politiques antitabac européennes. Une action qui entrait dans le cadre du Beating Cancer Plan de l’Europe, dévoilé à la fin de l’année 2021.
Parmi les personnalités invitées à cette table ronde se trouvaient Clive Bates, partenaire de santé publique de l’European Tobacco Harm Reduction Advocates (ETHRA), Julio Ruades Esteban, de l’Asociación Española de usuarios de Vaporizadores Personalessova
(ANESVAP), Tom Gleeson, de la New Nicotine Alliance (NNA), et Philippe Poirson, vice-président de SOVAPE. Ce dernier a accepté de répondre à nos questions.
Bonjour Philippe, pouvez-vous commencer par vous présenter et nous expliquer pourquoi et comment vous êtes intervenu au Parlement européen ?
Je suis un des deux vice-présidents de Sovape. C’est à ce titre que j’étais invité à la table ronde sur « la réduction des risques : une voie vers une Europe sans fumée » le 5 décembre au Parlement européen.
L’événement était organisé par Johann Nissinen, eurodéputé suédois du groupe European Conservatives and Reformists (ECR). Il s’est adressé à l’European Tobacco Harm Reduction Advocates (ETHRA), qui regroupe 24 organisations européennes de défense des usagers de produits à risque réduit, notamment de vape, mais aussi des utilisateurs de snus ou de nicotine pouches, et dont Sovape est membre.
Je crois qu’il est important de rappeler que l’ETHRA est une des rares organisations européennes sur le domaine à être indépendante en n’ayant aucun conflit d’intérêts : ni avec l’industrie du tabac, ni l’industrie financière, ni les laboratoires pharmaceutiques, ni même d’entreprises de vape et sans être financé par la Commission européenne. C’est également le cas de Sovape qui se base sur le bénévolat, et je n’ai aucun lien d’intérêt financier non plus à titre personnel. Je le précise parce qu’il y a « des gens » qui essaient de lancer de fausses rumeurs.
De son côté, l’eurodéputé Johann Nissinen voulait organiser ce forum au sujet de la réduction des risques face au tabagisme dans le contexte du plan contre le cancer et la perspective d’une probable révision de la directive sur les produits du tabac (TPD) dans la prochaine mandature après les élections de juin 2024.
En tant que Suédois, Johann Nissinen voit l’exemple de son pays où le tabagisme a chuté à 5 %, soit 5 fois moins que la moyenne de l’UE, sous l’impact du snus qui est utilisé par 18 % des Suédois. L’UE a interdit le snus, tandis que la Suède bénéficie d’une dérogation. Or, il y a désormais en proportion presque moitié moins de décès liés au tabagisme en Suède que dans le reste de l’UE. Il y a donc matière à réflexion, d’autant plus que le plan cancer a consacré le principe de réduction des risques, y compris à propos du tabagisme.
On parle de cet événement comme de quelque chose d’unique, d’une grande première. Avez-vous une opinion à ce sujet ?
Pour cette table ronde, Johann Nissinen s’est tourné naturellement vers l’ETHRA pour lui demander de présenter le point de vue et l’expérience des usagers. Donner la parole aux principaux concernés devrait être évident. Pourtant, sur le domaine du tabagisme et de la réduction des risques, il semble que la participation d’usagers à une table ronde au sein du Parlement était une première.
Cela a une importance qui n’est pas que symbolique. Il est essentiel que les usagers puissent être entendus par les parlementaires européens. Il s’agit de comprendre que le pouvoir à l’UE est partagé entre plusieurs institutions : il y a le Conseil européen qui regroupe les dirigeants des 27 pays et le Conseil de l’UE qui réunit les ministres ; la Commission européenne dont le rôle oscille entre administration et gouvernement ; et enfin le Parlement qui est élu par les citoyens. La prochaine élection sera d’ailleurs en juin prochain.
ETHRA et des associations membres, comme l’AIDUCE ou Sovape, sont régulièrement auditionnées par la Commission ou ses mandataires. Cependant, ce sont souvent des séances de surréalisme bureaucratique. Pour donner un exemple, il y a eu une audition de différentes organisations en faveur de la réduction des risques où, sans nous prévenir auparavant, l’officiel de la Commission a invité des antivapes de l’ENSP et de la SFP (les deux principales fédérations d’organisations antitabac européennes, N.D.L.R.) pour nous observer.
Pensez-vous que cet événement a la moindre chance de jouer un rôle dans la révision de la prochaine TPD ? Les données qui démontrent l’intérêt de la vape et du snus dans le cadre du sevrage tabagique existent et semblent pourtant ignorées par l’UE. Pourquoi est-ce que les choses seraient différentes avec cet événement ?
Dans le contexte d’hostilité de la Commission, avoir accès aux parlementaires sans passer par son filtre est une vraie opportunité, que l’on cherchait à provoquer depuis longtemps. Il faut se souvenir qu’en 2013, la Commission voulait réduire la vape à un produit pharmaceutique limité à 4 mg/ml de nicotine en 2 saveurs. À l’époque, la mobilisation des vapoteurs et le courage de parlementaires qui y ont été attentives, notamment Rebecca Taylor ou Frédérique Ries, ont permis d’éviter cette catastrophe.
Ces citoyens ont littéralement sauvé des millions de vies. À partir des données de l’Eurobaromètre, on peut évaluer à près de 9 millions d’Européens qui ont arrêté de fumer à l’aide de la vape, dont environ la moitié ont ensuite arrêté de vapoter.
Le statut de la vape comme produit connexe dans la directive sur les produits du tabac (TPD), qui est ressorti finalement du compromis entre les 3 institutions européennes en 2013, est loin d’être parfait. La concentration en nicotine des e-liquides a été fixée à un niveau trop faible, et ne permet pas l’arrêt tabagique de près d’un tiers des fumeurs. Tandis que la limite de 10 ml des fioles de recharge n’a aucun sens à part augmenter artificiellement le gâchis de plastique et gonfler le prix de vente à cause des frais de l’emballage. Cependant, par rapport au projet initial de la Commission, on a échappé au pire grâce à la prise en compte de l’avis des usagers par des élus du parlement européen.
Aujourd’hui, malgré l’adoption du plan Cancer et les données scientifiques, il paraît cousu de fil blanc que la Commission ne dévie pas de sa ligne lors de sa prochaine proposition de révision de la TPD. De facto, cette position a pour conséquence de protéger les ventes de cigarettes contre la concurrence des produits de réduction des risques, même si la Commission prétend viser la santé publique.
Dans ce contexte, les parlementaires constituent un possible contre-pouvoir aux projets anti-réduction des risques de la Commission et de certains États. Les mobilisations des citoyens sont importantes pour donner du poids et de la légitimité aux demandes des associations. Les happenings peuvent être sympas et participent à diffuser le sujet. Cependant, si ces actions restent sans un accès des usagers au niveau politique alors elles servent les intérêts de ceux qui ont un tel accès et qui pourront les instrumentaliser.
Autrement dit, les associations d’usagers et de défense du droit à la réduction du risque font un travail souvent fastidieux, mais obligatoire visant la transparence de leur statut. C’est ce qui permet d’être sollicité lors des consultations d’experts, d’y participer et de tenter de dialoguer avec les élus. Sans la présence des associations indépendantes, le champ serait libre pour les lobbyistes professionnels, notamment de l’industrie cigarettière.
La récente demande d’interdiction d’arômes de Seita-Imperial Tobacco, en mimant être en faveur de la vape tout en utilisant les arguments antivapes les plus crasses dans un exercice rhétorique très habile du lobbyiste, devant l’Office parlementaire science et technologie (OPECST) en est un parfait exemple. Évidemment, pour les cigarettiers, une vape restreinte à des pods en 3 ou 4 arômes permettrait d’éliminer une concurrence dont ils n’arrivent pas à égaler la qualité et la diversité des produits. Et en plus récupérer une partie de ceux qui ne s’y retrouveront pas en leur vendant des cigarettes. D’ailleurs, cet épisode met à nu que le discours antivape est devenu un soutien objectif des intérêts des cigarettiers.
En bref, nous devons tenter d’informer directement les parlementaires européens des réalités vécues par les utilisateurs, comme lors de cette table ronde. Personne ne le fera à notre place. Il n’y a aucune garantie de succès à cette démarche, mais il y a la garantie d’avoir une révision de la directive européenne catastrophique si nous ne nous occupons pas de ce qui nous concerne directement. À moins de la fin de l’UE ou d’une grande révolution générale, dont on ne sait pas si elle aggraverait ou améliorerait la situation, mais cela sort du cadre d’action de Sovape.
Les intervenants ont visiblement mis l’accent sur le fait d’accompagner les chiffres et données scientifiques par des témoignages réels de personnes dont la vie a vraiment été transformée par les nouveaux produits qui leur ont permis d’arrêter de fumer. Pensez-vous que le côté humain soit trop souvent mis de côté par les décideurs politiques ?
Il faut préciser que Clive Bates, qui est un des conseillers en santé publique de l’ETHRA avec une grande expérience dans le domaine notamment, ayant été directeur de l’Action on Smoking and Health (ASH), la principale organisation antitabac britannique, a eu une large place pour faire une présentation de très haute qualité concernant le corpus scientifique et des analyses épidémiologiques sur la pertinence de stratégies de réduction des risques face au tabagisme.
Cependant, effectivement, il nous paraissait essentiel de faire un lien sensible entre ces analyses théoriques et les réalités vécues par les usagers. Les décideurs sont souvent ignorants des réalités des fumeurs et a fortiori des fumeurs qui tentent d’arrêter de fumer. Il est frappant de voir le gouffre entre le milieu de la santé publique, qui réfléchit à partir de données abstraites, et les professionnels de santé de terrain qui sont en prise avec des fumeurs.
Chez les premiers, beaucoup nourrissent une sorte de fantasme de l’être idéal qui ne boirait que de l’eau de source et respirait un air pur des montagnes. Du coup, quand ils voient la vape, ils n’y voient qu’un risque de ne pas se conformer à cet idéal de risque zéro.
Cependant le fumeur réel ne ressemble en rien à cette projection idéelle. Ceux qui sont en contact avec eux, comme les tabacologues de terrain, le savent. Dans un sondage interne, 95,5 % des membres de la Société Francophone de Tabacologie estiment que la vape est un outil d’aide à l’arrêt du tabagisme.
Une conséquence de ce gouffre est que les décideurs politiques risquent de se trouver dans une sorte d’aveuglement. Le tabagisme est un marqueur social et une très faible proportion des classes dirigeantes fume. Les consultations invitent en priorité des experts de santé publique plutôt que des acteurs de terrain, des organisations antitabac professionnalisées plutôt que les usagers. Or, les politiques sont dans le rôle délicat de devoir prendre des décisions et faire des lois ou des directives qui vont s’appliquer en concret sur des personnes réelles et non des abstractions.
Un passage parmi les témoignages qu’a relaté Julio Ruades de l’association des vapoteurs espagnols Anesvap m’a frappé. C’est celui d’un handicapé à la campagne qui n’a qu’internet pour commander ses produits de vape. Si le pouvoir espagnol avait interdit la vente à distance, comme il en était question, il avait toutes les chances de retomber dans la cigarette et de voir son état de santé encore s’aggraver. De son côté, Tom Gleeson, de la NNA Irlande, a souligné les méfaits du dénigrement du vapotage amenant des fumeurs à croire qu’il vaut mieux continuer de fumer. Pour ma part, j’ai tissé un lien entre ma propre expérience et les résultats de l’enquête que nous avons mené avec ETHRA fin 2020 auprès de 37 000 consommateurs européens. Ces éléments concrets, comment les décideurs pourraient les deviner sans entendre les usagers ?
Lors de votre intervention, vous avez mentionné les dangers inhérents à la désinformation sur le vapotage. L’un des plus grands pourvoyeurs de fake news dans le domaine est l’OMS. Que pensez-vous de cette organisation ? Comment expliquez-vous son point de vue sur la vape qui est, pour beaucoup, complètement déconnecté des réalités ? Étant mondialement reconnu et respectée, n’y a-t-il pas un risque que l’UE se calque sur ses décisions, comme peuvent le faire de nombreuses associations antitabac ?
Je vais essayer d’être concis, mais c’est un « gros » sujet. L’idée d’une Organisation mondiale de la santé est une belle idée. Malheureusement l’OMS souffre depuis sa création d’une orientation très rétrograde qui privilégie le moralisme à la science et au pragmatisme en matière de santé. Au point que dans les années 1990, l’ONU a dû créer une organisation alternative, ONUSida, pour réagir efficacement à l’épidémie de HIV.
Les choses se sont empirées depuis une quinzaine d’années avec le poids croissant de fortunes privées, déguisées en « philanthropies », qui financent et imposent leurs vues à l’OMS. Depuis la nomination de Tedros à la direction de l’OMS, il n’y a plus de frein à la servilité de l’organisation. C’est une des grandes explications du dogmatisme anti-réduction des risques de l’OMS. Il ne résulte pas d’un manque de données, d’information ou d’incompréhension du sujet.
Robert Beagglehole, ex-directeur du Département de promotion de la santé de l’OMS et actuel directeur de l’Action on Smoking and Health de Nouvelle-Zélande, a pris la peine de s’adresser à l’OMS pour expliquer l’extraordinaire succès de santé publique de l’approche de réduction des risques néo-zélandaise. Une chute de moitié du nombre de fumeurs en 4 ans grâce au soutien gouvernemental à la vape. Cela n’a suscité aucune réaction ni débat dans l’OMS. La science, les progrès concrets de santé, la qualité de vie des personnes ne sont pas pris en compte, parce que l’OMS s’aligne sur la vision de ses gros donateurs.
En l’occurrence sur ce dossier, les grands pays tabagiques, notamment d’Asie, alliés au réseau d’influence du financier Michael Bloomberg sont les donneurs d’ordre. Bloomberg est d’une part, une caricature de l’ultra-milliardaire américain perclus de la vieille mentalité esclavagiste de devoir châtier les pauvres pour leur « propre bien ». Et d’autre part, il a de violents conflits d’intérêts par ses affaires avec plusieurs pays grands producteurs de tabac.
En principe, la Convention antitabac (CCLAT), dont la dixième conférence (COP 10) va se tenir au Panama en février, aurait dû donner la parole aux usagers pour respecter les propres engagements de l’OMS. Cependant, dans la pratique, le secrétariat de la CCLAT exclut les organisations d’usagers. Seules les organisations sous le contrôle des intérêts de Bloomberg ou de proches sont admises.
Cette orientation de l’OMS a effectivement une énorme incidence, de deux manières. D’une part, comme vous le faites remarquer, la position officielle de l’OMS professe l’idéal d’une abstinence universelle, un « monde sans nicotine », qui dans la réalité profite au maintien du tabagisme en entravant ou interdisant l’accès aux moyens de réduction des risques pour le public. D’autre part, le modèle “bloombergisé” de l’OMS est reproduit en livrant des activités fondamentales d’évaluation et d’élaboration de stratégie politique à des groupes privés. Le Vaping Post avait couvert par exemple l’étrange contrat entre la Commission et un consortium sur la révision de la TPD.
Cette infiltration met en place une sorte d’aristocratie 2.0, puisque les décideurs imposant les grandes lignes politiques le font uniquement parce qu’ils sont dans le top 50 des fortunes mondiales et peuvent se payer des groupes de façade soi-disant philanthropiques. La lutte antitabac est un formidable cheval de Troie pour imposer ce changement de gouvernance politique parce qu’elle est présentée sous la forme pour ainsi dire mythique du combat du Bien contre le Mal. Cela permet tous les abus sans aucun débat.
Cependant, la réglementation à venir ne dépend pas exclusivement des positions de l’OMS et nous pouvons agir. Mais une fois encore, le recours contre cette dérive antidémocratique est de s’adresser à nos parlementaires européens pour s’y opposer, avec autant de soutien populaire que possible. C’est en marchant sur ces deux jambes que nous pouvons préserver le droit à protéger sa propre santé par l’accès aux produits de réduction des risques.
Comment avez-vous vécu cet événement ? Qu’en est-il ressorti pour vous ?
De manière anecdotique, c’était la première fois que j’entrais dans le Parlement européen. J’ai été frappé, et presque surpris, du calme et de la grande écoute de Johann Nissinen en particulier, mais aussi d’assistants parlementaires qui étaient venus assister à la table ronde pour faire un compte-rendu à leur député. Cela tranche vraiment par rapport à notre expérience avec la Commission.
Cela m’a permis de mieux réaliser à quel point Parlement et Commission sont vraiment deux entités distinctes. Ce serait une erreur de donner la victoire par avance à ceux qui veulent tuer la réduction des risques contre le tabagisme. Ce n’est pas gagné, mais il est certain que si nous croyons déjà avoir perdu, la partie facile sera pour eux. Il y a des millions de vies en jeu. Des millions de fumeurs qui peuvent mieux respirer, se débarrasser de problèmes de circulation sanguine, éviter un cancer s’ils ont accès à des produits de réduction des risques, et des millions d’utilisateurs de produits de réduction des risques qui méritent de ne pas être forcés de retourner aux cigarettes.
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