Elle fait parler d’elle : la nicotine synthétique est au cœur de l’actualité, et a déclenché une polémique alors même que nous enquêtions déjà à son sujet. Mais en tentant de répondre à certaines interrogations, nous avons finalement soulevé encore davantage de questions.
Ce qu’il faut retenir
- Origine et désignation commerciale : la 6-MN est une molécule synthétique unique, commercialisée sous divers noms commerciaux, tels que Metatine, Imotine, Nixotine ou NoNic.
- Développement initial : elle a été initialement développée dans les années 1970 par l’industrie du tabac pour renforcer la dépendance des consommateurs.
- Propriété intellectuelle : la 6-MN ne bénéficie d’aucune protection par brevet, ce qui permet à divers fabricants de la produire, bien que sa synthèse nécessite des installations sophistiquées.
- Toxicité accrue : des études récentes, notamment celle publiée en 2025 dans Toxicology Letters, indiquent que la 6-MN est plus toxique que la nicotine naturelle.
- Potentiel addictif : bien que certaines observations suggèrent que la 6-MN pourrait être plus addictive que la nicotine traditionnelle, aucune étude spécifique n’a encore confirmé ce potentiel addictif de manière concluante.
- Cadre réglementaire flou : en France, la 6-MN est considérée comme un alcaloïde nicotinique et est soumise aux mêmes réglementations que la nicotine naturelle. Elle nécessite une autorisation avant toute commercialisation.
- Commercialisation non autorisée : malgré l’absence d’autorisation, des produits contenant de la 6-MN sont disponibles sur le marché, souvent présentés de manière trompeuse comme “sans nicotine” ou “clean formula”.
- Actions : le Comité national contre le tabagisme (CNCT) a engagé des poursuites judiciaires contre des fabricants utilisant la 6-MN sans autorisation, soulignant les risques pour la santé publique et les pratiques marketing trompeuses. La Fivape a rappelé que son utilisation en e-liquide n’était pas autorisée.
Sommaire
- Le mystère de la nicotine
- Aux sources de la fausse nicotine
- Breveter le comment à défaut du quoi
- La PMTA entre dans la danse
- Science et toxicité
- Science et dépendance
- La 6-méthyl-nicotine en France
Le mystère de la nicotine
Et tout cela est parfaitement faux. Sous toutes ces appellations commerciales qui revendiquent chacune un produit miracle se cache une seule et unique molécule : la 6-méthyl-nicotine.
Faire un dossier sur cette molécule devait, au départ, être une tâche simple : un rappel historique de qui l’a créée, un point sur qui la fabrique, un résumé de ses propriétés et enfin, dans quels produits la trouver. Sauf que, à notre grande surprise, nous n’avons pas trouvé de réponse simple, à aucun de ces points. Et cette aura de mystère qui règne autour de la 6-méthyl-nicotine serait presque amusante, si la molécule ne finissait pas dans les poumons de ses consommateurs.
Aux sources de la fausse nicotine
Première question : d’où vient la 6-méthyl-nicotine ? En remontant la trace d’archives, d’articles et de publications scientifiques, les premières recherches sur la nicotine de synthèse remontent aux années 1970. À l’époque, l’industrie du tabac règne en maître : le lien entre cigarette et cancer, que les fabricants connaissent pourtant depuis 1950, ne sera établi que dans les années 1980. Les industriels du tabac ont deux préoccupations majeures : semer la confusion dans les recherches scientifiques pour que ce lien ne soit pas établi, justement, et assurer leur avenir commercial.
En 1963, un mémo confidentiel d’un cadre de Brown & Williamson déclarait : “We are in the business of selling nicotine, an addictive drug.”Soit : “Nous sommes dans le business de la vente de nicotine, une drogue addictive.” La question que se posaient les industriels à l’époque était de savoir comment renforcer davantage la dépendance de leurs clients.
Et les premières traces de recherches sur la nicotine synthétique capable d’augmenter la dépendance remontent aux laboratoires des industriels du tabac. Ces recherches ne mèneront à rien, en tout cas officiellement, mais laisseront quantité de données et d’expériences qui seront, soit publiées pour certaines dans des revues scientifiques, soit découvertes lorsque l’accord Master Settlement Agreement a forcé les entreprises du tabac à livrer leurs archives.
Les industriels du tabac ont alors décidé de jouer le jeu… Avec leurs règles, livrant littéralement toutes leurs archives, des milliards de documents, allant de projets scientifiques à des notes de frais de cadres, le but étant de noyer les curieux sous une masse d’information inutiles pour les décourager. L’image est restée célèbre, celle de dizaines de semi-remorques venant livrer les archives au tribunal sous les yeux des greffiers dépités. Tout ceci n’a pourtant pas empêché de courageux investigateurs de s’y plonger.
Il semble que l’industrie du tabac a délaissé, dans le courant des années 1990, ses recherches sur la nicotine synthétique comme facilitateur de dépendance, une autre substance s’étant montrée efficace et moins coûteuse : l’ammoniaque. Mais ceci est une autre histoire.
Cependant, les recherches et découvertes de l’industrie du tabac sur la 6-méthyl-nicotine sont devenues accessibles, et donc récupérables, pour qui voulait continuer le travail.
Tout cet imbroglio a donné lieu à un phénomène rarissime : l’absence de propriété intellectuelle sur la 6-méthyl-nicotine. La molécule n’a pas de propriétaire légal ni d’inventeur officiel. Tout le monde peut en fabriquer, donc ? Ce n’est pas si simple.
Breveter le comment à défaut du quoi
Parce que si la formule de la 6-méthyl-nicotine est connue, la fabriquer est une autre paire de manches.
Nous avons contacté des laboratoires de biochimie universitaires et de recherche, et nous synthétisons ici leur réponse : fabriquer de la 6-méthyl-nicotine nécessite un laboratoire de biochimie sophistiqué, de niveau pharmaceutique ou universitaire, et des biochimistes expérimentés. Dans tous les cas, on parle d’installations de plusieurs millions d’euros, hors de portée d’entreprises de vape.
Sur sa synthèse, il y a deux brevets qui portent chacun sur des techniques spécifiques. Parce que produire une molécule en laboratoire, c’est déjà compliqué, mais en produire en quantité de façon stable, c’est encore plus compliqué.
Le premier date du 6 mai 2022, et a été déposé par Shenzhen True Taste Biotechnology LTD Enterprise sous le numéro CN114437031A. Le second date, lui, du 27 juin 2023, porte le numéro CN114437031B et est détenu par Shenzhen Zhenwei Biotechnology Co., Ltd. Ces deux brevets ont été déposés en Chine. Et, selon nos recherches, toute la 6-méthyl-nicotine actuellement disponible sur le marché mondial est importée de Chine.
La PMTA entre dans la danse
Aux États-Unis, en 2020, la Food and Drugs Administration lance la PMTA (Pre-Market Tobacco Product Application), une réglementation qui exige que les fabricants de produits du tabac et de vapotage soumettent une demande d’autorisation avant de mettre sur le marché de nouveaux produits “du tabac”. Et la PMTA est formatée directement pour tuer toutes les petites entreprises de vapotage.
Deux d’entre elles vont se rebeller : Spree Bar et Five Pawns. Chacune va choisir une approche très différente.
Le fabricant de liquides Five Pawns va poursuivre son activité en utilisant de la 6-méthyl-nicotine comme substitut légal, puisque ce n’est pas un produit du tabac. L’objectif du fabricant, clairement annoncé, est de permettre aux vapoteurs de continuer à consommer malgré les restrictions de la FDA. Cavalier, mais correct : Five Pawns explique clairement que c’est de la nicotine, synthétique certes, mais de la nicotine quand même.
Spree Bar va choisir une approche légèrement différente : le fabricant va expliquer tranquillement que ses produits ne contiennent pas de nicotine et ne représentent donc “aucun danger pour la santé”. De plus, plusieurs de ses campagnes publicitaires vont cibler les jeunes.
Et si l’initiative de Five Pawns aurait pu convaincre la FDA de s’asseoir et de discuter, selon plusieurs observateurs du marché, elle sera tuée dans l’œuf par celle de Spree Bar, assimilée à une provocation.
Science et toxicité
La molécule de la 6-méthyl-nicotine étant encore très récente, il y a peu d’études à son sujet. Suffisamment pour commencer à la considérer avec méfiance, mais pas assez pour aboutir à un consensus scientifique.
L’étude Emerging nicotine analog 6-methyl nicotine increases reactive oxygen species in aerosols and cytotoxicity in human bronchial epithelial cells1, publiée en 2025 dans la revue Toxicology Letters, a été menée par Felix Effah, Yehao Sun, Alan Friedman et Irfan Rahman.
Pour cette étude, les cellules humaines, des cellules bronchiques, comme celles des voies respiratoires, ont été exposées à de la 6-méthyl-nicotine (6-MN). Après cette exposition : elles ont été plus endommagées ou tuées que celles exposées à la nicotine normale. C’est ce qu’on appelle une cytotoxicité accrue (plus toxique pour les cellules). Elles ont produit plus de ROS (espèces réactives de l’oxygène), qui sont des molécules chimiques très réactives pouvant endommager l’ADN, les protéines et les membranes cellulaires.
Et ceci “de manière dose-dépendante”, signifiant que plus la dose de 6-MN était élevée, plus les effets, toxicité et production de ROS, étaient importants. C’est un signe classique d’un effet toxique réel, et non d’un hasard, ce qui n’est pas du tout le cas de la nicotine, par exemple, ce que les auteurs soulignent d’ailleurs.
Pas de quoi sonner l’alarme, à ce stade, mais cette étude soulève des points qui demandent plus d’investigations. Une certitude est acquise : quand on parle de nicotine naturelle et de nicotine synthétique, il est bel et bien question de deux produits différents.
Science et dépendance
Le gros point, concernant la 6-méthyl-nicotine, est sa capacité à engendrer une dépendance plus forte que la nicotine traditionnelle. Très exactement 3,3 fois plus puissante, c’est le chiffre annoncé, en tout cas, entre autres par Imad Damaj, professeur au département de toxicologie de l’Université du Commonwealth de Virginie. Mais…
Mais il y a deux points à prendre en compte. Le professeur Damaj a étudié la toxicité de la 6-méthyl-nicotine, pas son pouvoir addictogène. Et ce qu’a dit précisément le chercheur, notamment à l’agence Reuters, c’est qu’il avait observé que, potentiellement, la 6-méthyl-nicotine pouvait être plus addictogène, mais que savoir si c’était vrai nécessitait des études spécifiques. Des tests sur les animaux ont en effet relevé une stimulation accrue des récepteurs du cerveau, mais, l’étude ne portant pas sur ce sujet, l’équipe n’a pas investigué plus loin.
Le second point, c’est justement qu’il n’existe aucune étude spécifique publiée sur le potentiel addictif de la 6-méthyl-nicotine. En d’autres termes, affirmer que la 6-méthyl-nicotine est plus addictive que la nicotine traditionnelle ne repose sur rien scientifiquement parlant. Mais…
Mais il convient, à ce stade, de se rappeler l’historique de la molécule qui ouvrait cet article. La 6-méthyl-nicotine est née dans les laboratoires de fabricants de tabac pour augmenter la dépendance induite des cigarettes. C’est, littéralement, sa raison d’être.
La 6-méthyl-nicotine en France
En France, la 6-méthyl-nicotine est soumise à une réglementation stricte, car elle est considérée comme un alcaloïde nicotinique. Conformément à la directive européenne 2014/40/UE, transposée en droit français, la définition de la nicotine englobe tous les alcaloïdes nicotiniques, y compris la 6-MN. Ainsi, les produits contenant de la 6-MN sont soumis aux mêmes obligations que ceux contenant de la nicotine traditionnelle, notamment en matière de dosage, d’étiquetage et de restrictions de vente.
Donc, la 6-méthyl-nicotine est autorisée ? Non. Parce qu’il s’agit d’une nouvelle substance, pas encore répertoriée. Et les règlements européens imposent, pour toute nouvelle molécule, de demander une autorisation avant toute commercialisation. Elle doit être notifiée, évaluée, faire l’objet de tests et d’analyses très précisément définis, ce qui n’a pas été le cas. Alors, pourquoi en trouve-t-on ? Le règlement européen sur les produits du tabac ne la mentionne pas spécifiquement. On est dans un angle mort légal, qui va exiger soit une précision réglementaire, soit une jurisprudence.
Le 26 mai 2025, le Comité national contre le tabagisme (CNCT) a annoncé avoir entamé des poursuites judiciaires à l’encontre d’un fabricant d’e-liquide et de pouches revendiquant l’utilisation de la 6-MN. Plusieurs associations de lutte contre le tabagisme ont relayé l’information. Le problème soulevé étant l’utilisation de termes comme “clean formula”, “sans tabac” ou “0 nicotine”.
Dans un communiqué publié en mai 2025, la Fédération interprofessionnelle de la vape (Fivape) a exprimé ses préoccupations concernant la présence de 6-méthyl-nicotine dans certains produits de vapotage commercialisés en France. La Fivape souligne que la 6-MN est utilisée pour contourner les réglementations en vigueur, notamment en matière de taxation et de restrictions sur la teneur en nicotine.
La Fivape appelle les autorités sanitaires françaises à renforcer les contrôles sur ces produits et à clarifier le statut réglementaire des analogues de la nicotine. Elle insiste sur la nécessité de protéger les consommateurs, en particulier les jeunes, contre les risques associés à ces substances.
Plus que tout, la Fivape a rappelé que la 6-méthyl-nicotine était fermement interdite en France, puisqu’elle contrevient à plusieurs points de la réglementation nationale et européenne.
Il est encore beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions sur la 6-méthyl-nicotine. Mais la suspicion dont la molécule fait l’objet semble, pour une fois, justifiée : pensée, ou rêvée, par le tabac pour augmenter la dépendance, semblant produire des effets indésirables, il ne semble pas exagéré, pour une fois, de s’en tenir à l’écart.
La 6-méthyl-nicotine en bref
La 6-méthyl-nicotine est une molécule synthétique unique, également connue sous divers noms commerciaux tels que Metatine, Imotine, Nixotine ou NoNic. Elle a été initialement développée par l’industrie du tabac dans les années 1970 pour renforcer la dépendance des consommateurs.
Des études récentes, notamment celle publiée en 2025 dans Toxicology Letters, ont montré que la 6-méthyl-nicotine est plus toxique que la nicotine naturelle, causant une cytotoxicité accrue et une production plus importante de ROS (espèces réactives de l’oxygène).
En France, la 6-méthyl-nicotine est soumise à des réglementations strictes et doit être autorisée avant toute commercialisation. Actuellement, son utilisation en e-liquide est interdite, et elle est souvent commercialisée de manière trompeuse.
La 6-méthyl-nicotine présente un potentiel toxique élevé et pourrait être plus addictive que la nicotine traditionnelle. Cependant, aucune étude spécifique n’a confirmé son potentiel addictif de manière concluante.
La 6-méthyl-nicotine est au centre d’une polémique en raison de son développement initial pour accroître la dépendance, son potentiel toxique élevé, et son statut réglementaire flou. De plus, elle est souvent commercialisée de manière trompeuse, ce qui a conduit à des actions judiciaires.
Sources et références
1 Effah F, Sun Y, Friedman A, Rahman I. Emerging nicotine analog 6-methyl nicotine increases reactive oxygen species in aerosols and cytotoxicity in human bronchial epithelial cells. Toxicol Lett. 2025 Mar;405:9-15. doi: 10.1016/j.toxlet.2025.01.007. Epub 2025 Feb 1. PMID: 39894318; PMCID: PMC11875870. https://doi.org/10.1016/j.toxlet.2025.01.007
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