La généralisation du contournement de l’interdiction de vente de liquides nicotinés a surgi publiquement à l’occasion du premier salon de la vape helvète les 22 et 23 octobre dernier à Montreux. La question alimente autant les débats officiels et discussions informelles.

«Tant mieux!» Le Pr Jacques Cornuz, Directeur de la policlinique de Lausanne, se réjouit des dons de nicotine par les shops de vape en Suisse. Dans le quotidien 24 Heures, la généralisation du contournement de l’interdiction de vente de liquides nicotinés a surgi publiquement en préambule des Swiss Vaping Days. Au premier salon de la vape helvète les 22 et 23 octobre à Montreux, la question nourrissait débats officiels et discussions informelles. Sur les stands, l’arme des vapoteurs suisses pour défier le tabagisme d’État était mise en pratique in vivo.

Vape social club

Le VapeClub Romand montrant ici un tableau de dosage de nicotine au salon Swiss Vaping Days (octobre, 2016).

Muni d’une impressionnante seringue-pistolet pré-réglée, un producteur de liquides locaux ajoute précisément la dose de nicotine voulue par le client. Cadeau. Tout comme la boite de protection pour les accus que glisse sa partenaire. Variante à un autre stand helvétique, on indique à l’acheteur de se rendre au «club privé».

Ces sortes de Vape social club où l’on peut enrichir de l’alcaloïde le jus de sa fiole. «Les autorités doivent être souples et pragmatiques», explique Jean-Félix Savary dans la salle dédiée aux conférences. «Personne ne comprendrait une répression de la distribution de liquides nicotinés», poursuit le secrétaire général du Groupe romand d’études sur les addictions (GREA).

«Les choses se sont passées à l’envers car on aurait idéalement dû étudier le vapotage avant de le propager», nuance le Dr Jean-Paul Humair, directeur du CIPRET-Genève. Mais loin de ce monde idéal, le tabagisme touche 25% des Suisses. Le pragmatisme semble donc une bonne option. «L’interdiction de vente des liquides nicotinés est une absurdité de santé publique car elle est basée sur une décision bureaucratique», convient la figure genevoise de l’organisation de terrain pour la prévention du tabagisme.

Hate smoke, love smokers

De gauche à droite : Dr Jean-Paul Humair (CIPRET-GE), Pr Jean-François Etter (UNIGE), Dr Jacques Cornuz (UNIL).

Le Dr Humair, également médecin de premier recours aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), insiste: «La nicotine a été diabolisée à tort alors que les problèmes de santé sont dus au tabac et surtout à sa combustion». Le tabacologue Jacques Le Houezec abonde. «J’ajouterais même que la nicotine pourrait avoir des aspects thérapeutiques pour la dépression, l’Alzheimer, le Parkinson, le syndrome de Tourette… Mais les études sont difficiles à mettre en place à cause d’intérêts financiers de l’industrie pharmaceutique», précise le scientifique français.

Dans la conférence suivante, le Pr Cornuz insiste sur l’empathie et le soutien à donner aux fumeurs. «Hate smoke, love smokers», reprend t-il du Pr Steven Schroeder. «La vapote est un formidable outil de prise de pouvoir pour le patient, une forme d’auto-support tout à fait nouvelle dans le domaine», s’enthousiasme le médecin vaudois.

L’illustrant, des usagers de France, d’Allemagne et de Suisse, comme le célèbre reviewer suisse-allemand Phil Scheck et moi-même, relatent leurs expériences du domaine. Des rencontres entre professionnels de santé et vapoteurs ont été organisée en France par Sovape, représentée par Sébastien Béziau et Jacques Le Houezec. Tandis que l’importance de l’information du public notamment sur l’évolution des législations européennes est évoquée par Claude Bamberger, de l’Aiduce, et Hans Holy, de l’IG-ED, son homologue germanique. Ces organisations adhérent toutes à l’INNCO, le nouveau réseau mondial des organisations de consommateurs de nicotine sous forme à risque réduit, bien décidé à se faire entendre par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Sevrage à l’aide du plaisir

Des “drip tips” d’artisans ici présentés lors du salon Vapexpo de Paris.

De l’imminent sommet de l’OMS à New Delhi et son programme de répression de la vape, on n’en discute pas dans les travées du salon de Montreux. Plus pratiques, les vapoteurs romands s’y échangent leurs astuces pour nicotiner à domicile. «Cette appli te donne une tabelle pour les doses à ajouter», explique un vaudois. «On trouve sur internet des bases neutres nicotinées à 10%. Cela ne dilue pas trop les arômes. Il faut faire attention et ne pas laisser à portée des gosses et animaux. Mettre des lunettes, des gants et bien se rincer à l’eau si une goutte va sur la peau. Mais pas de parano non plus», complète un genevois.

Ces astuces ont permis d’ors et déjà à des dizaines de milliers d’ex-fumeurs de lâcher la cibiche. Mais la plupart du million de fumeurs suisses ayant essayé d’arrêter le tabac avec la vape en ont été empêchés par l’interdiction de se fournir localement et facilement en liquides nicotinés. L’amorce d’une généralisation des dons de nicotine pourrait changer la donne en 2017.

La vapote est d’ores et déjà devenue le moyen d’aide au sevrage préféré des fumeurs suisses en 2015. Mais le potentiel, de cette aide jouissant du «principe de plaisir» dixit Marc Szeemann, vice-président d’Helvetic Vape, est largement gâché. Là où plus d’un fumeur britannique sur cinq a quitté la cigarette depuis 2011 et l’émergence de cette alternative, la politique suisse maintient le tabagisme à plus du quart de sa population.

«L’administration traîne des pieds. Par exemple, ils pourraient facilement légaliser les liquides nicotinés dans la révision en cours de l’Ordonnance des denrées alimentaires et objets usuels qui les régit déjà», explique Olivier Théraulaz, président d’Helvetic Vape. Entre autres initiatives, l’association des usagers du vapotage a d’ailleurs envoyé une demande en ce sens. Sans réaction des autorités pour le moment.

Démocratie sanitaire

La vape indépendante Suisse vend environ cinq fois moins par habitant que l’industrie britannique.

Du côté des professionnels de la vape, on s’agace aussi. Le graphique de Stephan Meile, président de la Swiss vape trade association (SVTA), parle de lui-même. La vape indépendante Suisse vend en proportion environ cinq fois moins par habitant que son homologue britannique. L’auto-support par le don de nicotine ne saurait répondre au problème à lui-seul, l’importation de liquides nicotinés à titre professionnel restant interdite. Des recours contre cette prohibition au Tribunal administratif fédéral (TAF) sont pendants. Un verdict positif pourrait donc débloquer la situation.

En cas d’échec, l’obstination des bureaucrates bernois à ne vouloir réglementer la vape que dans la future Loi sur les produits du tabac (LPTab) faiblira t-elle? Peu probable. Dans les associations de défense du vapotage, de la réduction des risques et les anti-tabac favorables, on table sur un travail d’information des décideurs. «Il faut un respect des procédures démocratiques. Une consultation des milieux concernés, une évaluation rationnelle de l’impact des décisions. Tout cela est important pour que la législation soit proportionnée et productive», explique le Pr Jean-François Etter, de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève. L’opposé de ce qui s’est passé pour la directive européenne (TPD). Le directeur de Stop-Tabac.ch glisse dans un souffle: «Mais peut-être faut-il un enjeu électoral pour motiver les politiciens».

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