Certains consommateurs préfèrent acheter des cigarettes électroniques jetables, plutôt que des modèles réutilisables, avec une étrange persévérance. On vous explique pourquoi.

Dissonance cognitive

Pour un vapoteur qui a un matériel qu’il aime bien, parfaitement réglé, bien entretenu, cette envie qu’ont certaines personnes de vouloir absolument acheter un dispositif jetable peut paraître curieuse.

Lorsqu’une personne affirme qu’elle ne vapote pas, mais se procure tout de même un dispositif électronique, elle se trouve confrontée à une contradiction interne. Cette tension, que le psychologue Léon Festinger a qualifiée de dissonance cognitive, crée un inconfort qu’il faut apaiser. Festinger a montré que l’être humain supporte mal l’écart entre ses convictions et ses actes, et qu’il développe des façons de restaurer une cohérence.

L’utilisateur d’une cigarette électronique jetable va considérer son geste comme une entorse passagère. Il peut se dire qu’un modèle jetable “n’est pas vraiment du vapotage”, qu’il s’agit simplement d’un test, ou qu’il en avait besoin sur l’instant. Cela lui permet de réduire l’impression qu’il adopte un comportement contraire à ses principes.

Cette attitude rappelle celle d’un consommateur qui se prétend soucieux d’écologie, mais achète ponctuellement une bouteille en plastique, en se rassurant : ce n’est qu’un cas exceptionnel qui ne remet pas en cause son engagement global.

Je ne suis pas vapoteur

Ce choix relève aussi d’un processus que l’on appelle la distanciation identitaire. Le fait de préférer un produit perçu comme temporaire est une façon de tracer une frontière symbolique entre soi et ceux qui utilisent une cigarette électronique de façon régulière. Dans cette perspective, l’objet devient un marqueur de statut : la personne l’emploie pour signifier qu’elle ne s’inscrit pas durablement dans cette pratique.

Cette mise à distance rappelle la conduite d’un amateur qui fréquente un club sportif en payant uniquement des séances à l’unité, précisément pour ne pas se percevoir comme un adhérent engagé. La différence de support matériel (le jetable contre la vape rechargeable) sert à affirmer que l’on appartient à un autre groupe : celui des consommateurs occasionnels.

Ce comportement s’inscrit également dans ce que la psychologie sociale décrit comme la gestion de l’identité sociale. Henri Tajfel et John Turner ont montré que chacun d’entre nous cherche à préserver une image favorable de soi, en se rapprochant de groupes auxquels on souhaite appartenir et en se tenant à distance de ceux que l’on juge moins valorisants. Dans le cas du vapotage, la cigarette jetable est un moyen d’éviter l’étiquette de “vrai vapoteur”, perçue comme stigmatisante ou trop engageante. De cette manière, l’individu reste psychologiquement du côté des non-fumeurs tout en s’autorisant un usage ponctuel.

Ce phénomène est comparable à celui de certains amateurs de jeux vidéo qui fréquentent des événements spécialisés, mais insistent pour dire qu’ils “ne sont pas des gamers”, uniquement des curieux venus observer.

Psychologie de la nicotine

L’achat d’une cigarette électronique jetable n’est pas seulement un acte pratique. Il reflète une tentative d’apaiser la tension que suscite l’incohérence entre ses valeurs et ses gestes, et de maintenir une identité qui reste acceptable à ses propres yeux comme à ceux des autres. En choisissant un objet transitoire, la personne affirme qu’elle n’a pas adopté cette habitude comme une part stable de sa personnalité. Cela lui permet de préserver l’image d’un comportement sous contrôle, sans engagement durable, et de contenir l’inconfort lié à la contradiction entre ce qu’elle pense être et ce qu’elle fait.

Si tout cela peut sembler abstrait, voire fantaisiste, ces comportements font pourtant l’objet de travaux sérieux, comme ceux de Léon Festinger sur la dissonance cognitive (A Theory of Cognitive Dissonance, 1957), la théorie de l’identité sociale proposée par Tajfel et Turner (1979), ou les recherches de Blake Ashforth et Fred Mael sur la manière dont les individus construisent leur identité en relation avec les groupes (Social Identity Theory and the Organization, 1989).

Tous ces traits ont contribué au succès des puffs auprès d’un public qui avait pourtant accès au vapotage, et participe aujourd’hui au succès des JNR-like. Au-delà d’un produit bien marketé et distribué, c’est à un besoin, non formulé, voire inconscient, qu’il faut répondre si la vape traditionnelle veut reprendre la main.

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