Le dernier rapport de l’OFDT met en lumière les stratégies utilisées par les parents ayant des enfants qui fument ou consomment du cannabis. Il souligne aussi les questions qu’ils se posent parfois.

À chaque parent sa méthode

La parentalité est un combat de chaque instant. Entre volonté de bien faire, de ne pas être un « mauvais parent », ou encore d’éviter à son enfant de reproduire des erreurs que l’on a soi-même faites, élever et éduquer sa progéniture n’est pas une mince affaire. Il y a quelques jours, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a publié les résultats de la seconde édition de son enquête ARAMIS, destinée à étudier le contrôle parental des usages de tabac et de cannabis. 

À la lecture du rapport, le premier élément qui saute aux yeux est la diversité des stratégies mises en place par les parents. Tandis que certains font le choix de contrôles directs, d’autres préfèrent user de la négociation. 

Le contrôle direct

Dans le premier cas, les parents interrogent leur enfant, surveillent ses réseaux sociaux, réalisent des fouilles de sa chambre, ou encore recherchent des signes pouvant prouver une consommation (odeur de tabac, yeux rouges dans le cadre du cannabis, etc.).

Cette stratégie, qui se retrouverait dans tous les milieux sociaux, interviendrait notamment lorsque l’enfant n’a pas respecté les règles mises en place lors d’une précédente discussion. Le cas de madame Berlet (dont le nom a été modifié) est révélateur de cette situation. « Je peux monter quatre fois de suite dans sa chambre […] J’ai l’impression d’avoir été bernée, alors qu’il se défonçait de plus en plus… Donc là c’était terminé, je l’ai vraiment fliqué […] j’ai fouillé sur Instagram… Au début, quand il savait pas, je lisais tout. Donc j’avais des preuves, j’ai même enregistré, j’ai fait des Screenshots », explique-t-elle ainsi. 

Le rapport explique que ce type de contrôle n’est pas forcément révélateur d’un déficit de communication, mais intervient plutôt en cas de non-respect de règles précédemment établies. « Si les parents prennent le temps d’expliquer en amont le bien-fondé de leur décision, ils attendent ensuite que l’enfant s’y conforme sans la discuter », expliquent ainsi les chercheurs. Et lorsque ce n’est pas le cas, certains parents choisissent alors de sévir et de mettre en place ce type de contrôle.

La communication pour éviter le conflit

Dans d’autres familles, et dans d’autres situations, la stratégie utilisée par les parents est tout autre. Ici, point de contrôle « musclé », mais une communication plus ouverte permettant un contrôle « plus diffus et moins conflictuel ». Cette stratégie se retrouverait notamment dans les familles plus favorisées. Lorsqu’ils l’utilisent, les parents semblent choisir avec soin les moments pour aborder ces questions d’addiction, et privilégient par exemple les situations de tête-à-tête, lors des trajets en voiture ou la promenade du chien.

Dans ces familles, l’image des professionnels de santé serait également différente, puisqu’ils seraient « utilisés comme une ressource ». Certains parents n’hésitent pas à prendre rendez-vous chez un médecin ou un addictologue pour compléter l’éducation de l’enfant. « Toute la difficulté c’est que les parents peuvent mettre en garde – ce qu’on a toujours fait moi et mon épouse, mais est-ce qu’on l’a fait avec toutes les qualités requises ? Je ne suis pas médecin, ni addictologue. Est-ce qu’on a les bons mots ? Faire peur, je sais que ce n’est pas forcément une solution. Les médecins qui suivent ces jeunes, ils sont formés pour. On a conseillé notre fille de se faire suivre par un addictologue », explique par exemple ce père de 55 ans. 

Tabac vs cannabis, une perception différente des risques

L’autre point mis en lumière par l’OFDT concerne la perception des risques qui semble varier énormément entre tabagisme et consommation de cannabis. Alors que le tabagisme serait plus facilement relativisé, la consommation d’herbe inquiéterait beaucoup plus les parents, notamment car celle-ci est perçue comme une source de perturbation des performances scolaires. Le cannabis, de par son illégalité, conserve aussi une certaine image qui l’associerait aux mauvaises fréquentations ou encore aux risques encourus lors de l’approvisionnement. 

En revanche, dans certains cas, l’usage de cannabis resterait très bien toléré par les parents tant que celui-ci ne nuit pas aux résultats scolaires. Il serait aussi, parfois, considéré comme une sorte de « récompense méritée » par les enfants, pour leur bon travail le reste de la semaine ou de l’année, et pour toutes les périodes de loisirs « sacrifiées » sur l’autel des révisions.

L’importance de la complémentarité des deux parents

Bien que ce thème ne concerne pas uniquement les comportements addictifs, la complémentarité des parents semble une nouvelle fois importante. Ainsi, dans le cas de parents séparés, il serait plus difficile de faire comprendre à l’enfant les risques de sa consommation tabagique lorsque l’un des parents se montre très ferme à ce sujet, et que l’autre semble plus laxiste, voire l’autorise à fumer.

Le degré d’implication des deux parents devrait également être similaire. D’après l’OFDT, dans certains cas, les pères auraient tendance à adopter une posture « plus détachée par rapport à la mère, sous le prétexte qu’elle serait plus compétente en matière d’éducation ». Un détachement qui serait utilisé par certains enfants face à l’adulte plus impliqué, le mettant ainsi en difficulté et le faisant passer pour le « méchant ». 

Le cas de l’expérience parentale

L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives note que le seuil d’inquiétude diffère selon les parents en fonction de leur propre expérience avec les produits, mais également du regard qu’ils portent sur ceux-ci. Dans certains cas, certains n’auraient pas hésité à utiliser une mise en récit « catastrophiste » lorsqu’il s’agissait de raconter leur histoire.

Le manque de connaissances face à celles de l’enfant

Que ce soit dans le cas de l’usage de cannabis ou du tabagisme, l’expérience d’usage parentale jouerait un grand rôle. Les parents interrogés font ainsi état d’un véritable « choc émotionnel » lorsqu’ils ont appris la consommation de cannabis de leur enfant. Un cas qui serait toutefois limité aux parents n’ayant jamais consommé de cannabis eux-mêmes. Qui plus est, les enfants ayant tendance à s’informer à ce sujet, il leur serait parfois difficile de contrer leurs arguments, comme en témoigne madame Jossrand : « Il me dit ‘‘voilà l’alcool ça me tente pas, et l’herbe c’est pas de la drogue, c’est même médical’’. Il regarde des tutos, il se renseigne, il me dit ‘‘maman, regarde, je peux t’apporter la preuve ! Aujourd’hui si c’était légalisé il y aurait beaucoup moins de merdes qui circuleraient…’’ […] Et puis clairement il se fout de notre gueule, ouvertement ! ‘‘Vous me faites des leçons et j’ai déjà vu papa torché… Ouvrir une bouteille avec des amis, ça, ça vous pose aucun problème, mais sortir de l’herbe, là tout à coup…’’ Et je vais vous dire : il réussit presque à me convaincre. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, je n’arrive pas à lui interdire de fumer – ça serait très difficile »

Le manque de légitimité ressenti par les parents consommateurs

Du côté des parents fumeurs ou consommateurs de cannabis, la difficulté vient d’ailleurs. Certains se questionnent notamment sur leur légitimité à interdire à leur enfant une pratique qu’eux-mêmes adoptent. Les stratégies mises en place diffèrent alors. Certains parents tentent d’alerter leur enfant, en mettant notamment l’accent sur le fait que lorsqu’on commence à fumer, il est difficile de s’arrêter. « La restauration c’est bien connu pour ça. Oui, c’est mon expérience personnelle. Moi, j’ai essayé de passer mon expérience à ma fille aussi. Comme j’ai dit avant, j’essaie de parler dans le même niveau. ‘‘Moi, je suis plus vieux que toi, par contre, je suis passé par le même chemin que toi.’’ Parce que je vois beaucoup de parents qui disent : ‘‘Non ! c’est pas bon, tu fais pas ! ’’ Mais ils expliquent pas. Alors qu’il faut garder la connexion avec leur vécu [aux ados], ça sert à rien de parler que des risques après 15, 20 ans de tabac, mais je parle surtout de comment j’ai commencé et comment ça s’est passé au début, très vite comment j’ai fumé [régulièrement] […] pour faire comprendre que ça s’installe vite », explique ainsi monsieur Magendie. 

D’autres sont plus directs et démontrent les difficultés qu’ils connaissent eux-mêmes pour arrêter de fumer. C’est par exemple le cas de madame Lopez : « Quand on a trouvé des clopes dans sa chambre, déjà le papa venait d’arrêter de fumer, donc il les a fumées, super ! […] Du coup il s’est racheté un paquet. Bref… Là, je lui ai dit : ‘‘Tu vois où on en est, nous, par rapport à notre dépendance à la nicotine ? Papa, il trouve trois clopes dans ta chambre, il les fume, c’est quand même la misère d’en arriver là ! Moi, je suis là avec ma vapoteuse comme une conne à tirer sur mon truc avec la nicotine, et dès que j’en ai plus je suis comme ça… J’ai plus de résistance, c’est dimanche, qu’est-ce que je fais ? Il faut que je trouve un tabac…’’ Je lui dis que, franchement, j’espère qu’elle n’en arrivera pas là parce que c’est un fil à la patte et c’est chiant d’être dépendant comme ça, d’être addict, d’être toxico. Moi, je lui parle comme ça. Et elle me dit : ‘‘Maman, t’inquiète pas, je vois comment vous êtes, je comprends, t’inquiète pas, j’ai pas envie d’être comme ça, j’ai pas envie de tomber là-dedans’’. ».

Le cas de la cigarette électronique n’apparaîtra pas plus que ça dans ce rapport de l’OFDT, ces contacts avec les parents d’adolescents ayant été réalisés entre 2020 et 2021, période antérieure à l’apparition des puffs qui a véritablement fait de la cigarette électronique un sujet de société. 

Reste que ce document rappelle que la parentalité est une tâche ardue et que peu importe la stratégie mise en place par les parents, il ne semble pas exister de « solution miracle », tant pour éviter l’expérimentation de ces substances, que pour réussir à la faire cesser.

Lire le rapport complet de l’OFDT.

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